«Des robots à l'intelligence artificielle, Felco doit embrasser le changement»

Le leader mondial des sécateurs fête 80 ans d'existence. Aujourd'hui, 95% des outils fabriqués dans l'usine des Geneveys-sur-Coffrane (NE) sont vendus à l'étranger. Entre taxes douanières et enjeux stratégiques, le point avec son directeur Nabil Francis.
11 mai 2025 Oriane Grandjean
© Clément Grandjean

Les enjeux

L’entreprise neuchâteloise fête ses 80 ans en ce mois de mai.

Le premier sécateur Felco, lancé en 1945, a été une petite révolution sur le marché de l’outil de coupe pour les professionnels de la terre.

La marque mise sur la digitalisation et l’innovation pour conserver sa place de leader.

Huit décennies après la création de Felco, quel est le profil type de votre client?

Difficile à dire, puisqu’il y a entre 10 et 15 millions d’utilisateurs de nos sécateurs dans le monde. Mais nos premiers clients sont des professionnels du travail de la vigne. Notre plus grand marché, c’est la Californie et ses vignobles. Majoritairement mexicains, les ouvriers viticoles sont pour la plupart équipés de Felco. Cela peut sembler étonnant parce que nos sécateurs sont coûteux, mais ce qui explique ce choix, c’est qu’ils sont fiables, réparables et donc plus rentables à long terme. La renommée de la marque vient de la performance de l’outil, pas d’une stratégie marketing.

Les États-Unis représentant votre plus gros marché, on imagine que vous suivez de près les droits de douane imposés par le pays…

Bien sûr. Cela a été un coup de massue: les États-Unis représentent 25% de nos ventes. Pour absorber une augmentation de 34%, le premier chiffre articulé, il faudrait augmenter nos prix de 16%, et risquer de perdre des parts de marché. Donald Trump a abaissé ce taux à 10% pour nonante jours, mais cela reste très important. Nous avons en ce moment des containers qui naviguent vers les États-Unis, et nous ne savons pas à quelle sauce nous serons mangés à leur arrivée. Indirectement, les droits de douane de 145% sur les produits chinois représentent aussi un problème puisqu’ils vont inonder le marché européen, qui est le deuxième plus important pour nous.

En produisant en Suisse, vous êtes aussi tributaires de l’appréciation du franc…

Chaque secousse politique ou économique peut nous faire perdre des millions. Produire en Suisse aujourd’hui n’est pas chose aisée: au-delà du franc fort, nous avons les coûts horaires parmi les plus élevés au monde. Nous devons nous battre. C’est pour cela que nous devons aller vite et proposer de nouveaux produits, sinon nous n’avons aucune chance.

Bio express

L’entrepreneur d’origine franco-libanaise a occupé des postes à responsabilité au sein de multinationales, notamment en Asie. C’est au Sri Lanka qu’il a rencontré Christelle Francis-Flisch, petite-fille du fondateur de Felco. Vingt ans plus tard, en 2021, désormais mariés et parents de trois enfants, ils reprennent respectivement les postes de présidente et de CEO de l’entreprise.

Revenons à l’histoire de la marque: y a-t-il eu une évolution dans le profil de ses clients?

Nos sécateurs sont par essence destinés aux professionnels qui cherchent performance, ergonomie et durabilité. Mais depuis quelques années, de plus en plus de particuliers achètent nos outils, sensibles notamment à leur réparabilité. Pour nous, c’est un nouveau défi: nous devons apprendre à parler à ces nouveaux clients, que l’on appelle des «prosumers», soit des amateurs éclairés.

Est-ce pour répondre aux attentes de cette nouvelle clientèle que vous avez entrepris une montée en gamme?

Précisément. Nous avons par exemple lancé un sécateur aux poignées revêtues de cuir, et toute une gamme d’ustensiles de jardinage. Nous développons aussi d’autres outils, comme un sécateur doté d’une lame en or. Né d’une idée lancée en l’air, il a depuis été breveté.

Votre modèle emblématique, le Felco 2, est toujours un best-seller. Pourquoi innover si un modèle créé en 1948 continue de se vendre?

Nos sécateurs sont les plus copiés au monde. L’innovation permanente et le dépôt de brevets sont des moyens de nous protéger. Au cours des deux dernières années, nous avons mis sur le marché une quarantaine de nouveautés. Elles sont notre indice de vitalité: elles doivent représenter le 10% de notre chiffre d’affaires.

Nos sécateurs sont les plus copiés au monde. L’innovation nous permet de nous protéger.

En parallèle, vous avez lancé une autre marque, Alpen, qui se caractérise par des prix inférieurs. Ne craignez-vous pas de créer une forme d’autoconcurrence?

Dans une certaine mesure, il y aura fatalement une légère concurrence. Mais celle-ci est positive. Et puis nous ciblons un segment différent avec Alpen, en proposant des outils de coupe de qualité au meilleur prix. Je préfère l’optimisme de l’action au pessimisme de l’intelligence.

Quelle est votre stratégie pour poursuivre votre croissance?

Nous avons investi dans plusieurs robots. Il est important de préciser que ceux-ci créent de l’emploi, contrairement aux idées reçues: nos effectifs ont grossi de 10% l’an passé. Nous mettons par ailleurs beaucoup d’efforts dans la digitalisation, tant dans nos ateliers que du côté de la vente, puisqu’un ustensile de jardinage sur trois est acheté en ligne. À terme, je vois également un grand potentiel à intégrer une part d’intelligence artificielle. Une entreprise doit embrasser le changement. Les robots ont créé de l’emploi chez Felco, l’IA en créera aussi.

Voilà quatre ans que vous avez repris l’entreprise avec votre épouse. Le modèle familial a-t-il encore du sens aujourd’hui?

J’en suis convaincu, d’autant plus dans un contexte économique délicat. Et c’est le cas aujourd’hui: la viticulture, qui représente notre premier marché, est en difficulté, les jeunes boivent moins et la productivité augmente, par conséquent il y a moins d’hectares à tailler. Le modèle de l’entreprise familiale, fortement capitalisée et avec peu, voire pas de dettes, permet de faire face aux crises. Au-delà des objectifs financiers, notre but, c’est de durer.

+ d’infos felco.ch

Envie de partager cet article ?

Achetez local sur notre boutique

À lire aussi

Accédez à nos contenus 100% faits maison

La sélection de la rédaction

Restez informés grâce à nos newsletters

Icône Boutique Icône Connexion