Des paysans vaudois se battent pour ne pas perdre du terrain au profit d'arbres

Entre Villars-Sainte-Croix et Mex (VD), trois agriculteurs attendent une décision du Tribunal administratif fédéral. Ils s'opposent à l'emprise sur leurs terres cultivables, prévue en compensation écologique au projet de désengorgement autoroutier de Crissier.
9 novembre 2025 Milena Michoud
La parcelle sur laquelle Gaëtan Pieren réalise la majeure partie de son maraîchage pourrait être réquisitionnée provisoirement par la Confédération.
© DR

L’affaire dure depuis 2018. Elle oppose l’Office fédéral des routes (OFROU) à trois agriculteurs ayant saisi la justice. Au cœur du conflit: des parcelles agricoles le long de l’autoroute A9, à proximité des villages de Villars-Sainte-Croix et de Mex (VD), qui leur appartiennent ou qu’ils exploitent, et qui pourraient bien être réquisitionnées par la Confédération pour planter… des arbres.

La raison est simple: dans le cadre de l’opération de désengorgement de l’échangeur autoroutier de Crissier, les services de l’OFROU doivent compenser les terrains défrichés pour les besoins du chantier. Pour cela, ils sont tenus par la loi sur les forêts de sélectionner des parcelles sur lesquelles replanter des arbres à hauteur de ce qui aura été rasé.

Parcelle bloquée

Tout remonte au mois de novembre 2018, quand l’OFROU met à l’enquête son projet, indiquant les lieux où il prévoit ses mesures de compensation. Problème: parmi ces parcelles, certaines sont occupées. Chez Gaëtan Pieren, le terrain choisi abrite des bâtiments maraîchers et de bétail, inscrits à la Centrale des autorisations en matière de construction depuis début 2018.

«Pendant plus de deux ans, ils n’étaient cependant pas sur les plans de l’OFROU», précise le trentenaire. Depuis, l’affaire étant en cours, la parcelle est bloquée au registre foncier. «J’ai encore des tunnels en attente de construction, mais je ne peux plus rien faire qui modifie la valeur du terrain.»

De nombreuses oppositions

La mise à l’enquête pour l’ensemble du chantier a débouché sur une centaine d’oppositions, toutes levées, comme l’a annoncé en début d’année le Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC). Parmi les arguments avancés: le fait que ces emprises ne seraient que provisoires.

«Mais la réalité, c’est qu’après m’avoir pris ce terrain où je fais pousser des légumes qui me rapportent, je récupérerai un terrain avec une forêt à entretenir, souligne Gaëtan Pieren. De plus, c’est ma parcelle principale. S’ils me la retirent, j’ai de grandes chances de passer sous le seuil d’unité de main-d’œuvre me permettant de recevoir les paiements directs.» Craignant pour la survie de son exploitation, Gaëtan Pieren a donc choisi de faire recours auprès du Tribunal administratif fédéral.

Manque de dialogue

«Étant agriculteur bio, le problème n’est pas celui de la biodiversité, constate Claude Peguiron, agriculteur de Mex faisant également appel. C’est plutôt celui de la déconnexion entre les experts ayant pris ces décisions et la réalité du terrain.» Si l’éleveur est agacé, c’est que, mi-septembre, durant une séance de conciliation avec l’OFROU, il s’est heurté à ce qu’il considère comme une décision unilatérale. «Si on n’avait rien eu à proposer, je comprendrais, mais nous leur avons montré d’autres parcelles. Ils ne sont pas entrés en matière.»

Leur argument? «On nous a dit que les terrains proposés en échange avaient plus de valeur écologique et qu’ils ne pouvaient donc pas être sélectionnés pour le reboisement, répond Claude Peguiron. Mais malgré nos demandes, nous n’avons pas pu rencontrer les experts à l’origine de ces évaluations.»

Des compensations peu réalistes

L’agriculteur déplore des propositions de compensation peu réalistes. «Sous la parcelle visée se trouve une conduite d’eau alimentant la commune. Cela ne fait pas de sens d’y planter des arbres dont les racines pourraient mettre à mal les tuyaux.» D’autant que cette parcelle lui permet aujourd’hui de déplacer à pied ses bêtes d’un bout à l’autre du domaine, ce qu’il ne pourrait plus faire si le terrain venait à être boisé. «Ils m’ont proposé d’aménager un chemin, mais cela me ferait perdre de la surface… et qui se chargerait ensuite de l’entretenir?»

Évoquée, la question d’une indemnisation financière estimée par les services compétents ne s’est, quant à elle, pas accompagnée de proposition concrète, selon les agriculteurs. Contactés, l’OFROU et le DETEC ne souhaitent pas s’exprimer sur la procédure en cours. Dans l’attente d’une décision du Tribunal administratif fédéral, Gaëtan Pieren et Claude Peguiron ont pour l’heure une certitude: tous deux sont prêts à aller défendre leurs intérêts jusqu’au Tribunal fédéral, s’il le faut.

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