Des anges gardiens veillent au grain

Le raisin est un trésor à préserver à tout prix. Un peu partout en Romandie, la récolte du millésime 2023 débute dans quelques jours. En plein sprint final, des «patrouilleurs» protègent le vignoble de Cortaillod (NE).
14 septembre 2023 David Genillard 
© Matthieu Spohn

Quelques minutes de balade dans les vignes de Cortaillod (NE) suffisent pour que notre chemin croise celui d’un élégant maraudeur: un chevreuil se fige, nous observe puis détale. Il faut dire que les grains presque mûrs sont appétissants. Dans quelques jours, les vendanges battront leur plein.

En attendant, les vignerons surveillent leur précieux trésor. La plus grande menace? Les étourneaux. «En une quinzaine de minutes, un grand vol peut vendanger une vigne complète», précise Antoine Péter-Contesse.

Patrouilles quotidiennes

Pour la troisième année consécutive, le jeune retraité patrouille quotidiennement au cœur des 56 hectares du vignoble carcoie. Payés par la Commune et les viticulteurs du lieu, ils sont quatre à se partager, cet été, le rôle de gardes-vignes. À pied ou à vélo, le quatuor arpente le territoire, dégainant occasionnellement un «pistolet» de façon à effrayer les étourneaux.

L’expérience aidant, il sait où se cachent les volatiles. Ceux-ci ne sont pas en reste. «À force, ils nous repèrent et s’éloignent quand ils nous voient arriver… Mais reviennent à la charge dès qu’on a le dos tourné», s’amuse Werner Dalrio, un autre ange gardien.

Menaces localisées

Le passereau n’est pas le seul à inquiéter. «Les moineaux piquent les baies pour se nourrir. Les guêpes et les abeilles finissent le travail», décrit François Montet, producteur à Blonay et président de la Fédération vigneronne vaudoise. À la clé, des pertes et du travail en plus pour les vendangeurs, qui doivent trier les grains porteurs de bactéries.

À ces menaces ailées s’ajoutent celles des chevreuils, des blaireaux ou des renards. «Elles sont généralement assez localisées, liées à la topographie de chaque parcelle», précise Nadine Pfenninger-Bridy, cheffe de l’Office valaisan de la vigne et du vin.

Moyens limités

Les moyens à disposition afin de protéger les grappes existent, mais ont leurs limites. Les filets sont couramment utilisés, mais aussi régulièrement pointés du doigt par les défenseurs de la faune. Ces dernières années, lors de ses rondes, Antoine Péter-Contesse a dû dégager deux pics-verts. «L’an dernier, j’ai sorti un épervier», renchérit Werner Dalrio.

Les effaroucheurs optiques, des bandes de plastique jaunes, ont, quant à eux, un effet limité dans le temps: les oiseaux finissent par s’y habituer. Les systèmes sonores qui envoient des détonations ou des cris de corneille sont monnaie courante, mais posent rapidement des problèmes dans les zones habitées.

L’étourneau préfère le Plateau

Les cartes de répartition de la Station ornithologique suisse l’indiquent assez clairement: tous les vignerons ne sont pas égaux face à l’étourneau. En Valais, Nadine Pfenninger-Bridy relève que cette menace n’est pas particulièrement marquée. «D’ailleurs, assez peu de vignes sont couvertes par des filets», ajoute l’œnologue cantonale. Le danger est bien plus présent sur la Riviera vaudoise et le Plateau suisse. «Nous sommes situés sur un couloir migratoire», précise Basile Monachon. Le vigneron de Rivaz est toutefois serein: «Contrairement à 2021 où la vendange avait commencé tard, cette année, on devrait avoir terminé avant l’arrivée de ces immenses vols.»

Une tradition fragile

«Finalement, les gardes-vignes sont la réponse la plus douce», résume Antoine Péter-Contesse. Dans le domaine familial à Rivaz (VD), en Lavaux, Basile Monachon abonde: «Quand on réfléchit à la dimension écologique, la démarche est intéressante. Avec les filets, ce sont des tonnes de plastique qui sont installées chaque année.» Dans le canton de Vaud, les plus anciens se souviennent d’ailleurs que cette solution était prisée, il y a encore quelques décennies. «Des gardes-champêtres surveillaient les vignes et les cultures maraîchères», raconte François Montet.

Faute de volontaires, cette coutume a disparu. En terres neuchâteloises, elle est bien vivante, mais demeure fragile. «Cressier et Milvignes ont aussi leurs gardes-vignes, signale Antoine Péter-Contesse. Mais ça ne se bouscule pas au portillon. Il a fallu deux annonces cette année pour trouver quatre personnes. Aujourd’hui, on parle de fusion; je ne suis pas sûr que cette tradition va perdurer si ça se fait.»

Promeneurs de chiens dans le viseur

Beaucoup de producteurs sont pourtant convaincus de la pertinence de la démarche, «ne serait-ce que pour remettre à l’ordre les marcheurs. Certains ont tendance à confondre les vignes avec des parcs publics», observe François Montet. «Ce sont les promeneurs de chiens qui posent le plus de problèmes, confirme Antoine Péter-Contesse. On doit leur rappeler de ne pas les laisser faire leurs besoins dans les vignes.»

Les vols de raisin restent relativement rares. Sur la Riviera vaudoise, François Montet y a toutefois été confronté. «Bizarrement, la quantité emportée représentait pile le volume d’une bonbonne. C’est également arrivé à un voisin: on lui a pris juste assez pour faire une barrique.» Selon le Blonaysan, pas de doute, ces larcins sont l’œuvre d’amateurs éclairés. «Je ne vois pas un professionnel faire ça. C’est un petit milieu; celui qui se fait pincer est mort, socialement.»

Des problèmes en Valais

Le Valais avait aussi connu ce type de problème en 2021, se souvient Nadine Pfenninger-Bridy. «Cette année-là avait été marquée par des pertes importantes, causées par le mildiou. Il y avait eu pas mal de vols. Certaines communes avaient demandé à la police municipale de patrouiller ou engagé des gardes-champêtres.»

Alors que la récolte s’annonce généreuse (lire l’encadré ci-dessous), ces vols devraient être très limités. Mais même le maraudage épisodique peut avoir des conséquences, souligne Werner Dalrio. «Les gens ne se rendent pas compte du travail qu’il y a derrière. Et si vous piquez deux ou trois grains, c’est toute la grappe qui est endommagée.»

Le millésime 2023 demandera du soin

Grêle et canicule ayant marqué cet été, la récolte devra être travaillée avec application. «C’est un millésime qui va refléter le savoir-faire du vigneron, pronostique Nadine Pfenninger-Bridy, œnologue cantonale du Valais. Les périodes de canicule ont parfois provoqué un stress hydrique et l’activité de la plante a pu se bloquer. Les maturités sont assez hétérogènes selon les endroits.» Le mildiou a frappé dans le Vieux-Pays, mais en tout début de saison, avec peu de conséquences. Œnologue du domaine familial à Cortaillod (NE), Sophie Porret souligne: «Le raisin est très sain cette année. Mais du fait des fortes chaleurs, l’acidité risque de manquer. Il faudra le corriger en cave pour maintenir un équilibre et ne pas se retrouver avec des vins trop «alcooleux.» Basile Monachon, vigneron à Rivaz (VD), se montre serein: «On connaît les millésimes chauds. On a appris à les travailler. On s’achemine vers une belle récolte.» Celle-ci devrait battre son plein dès cette fin de semaine. En 2022, elle avait commencé quelques jours plus tôt. «En 2021, en revanche, on avait vendangé plus tard. Mais en moyenne, sur les dix dernières années, on est dans la norme en 2023», signale Basile Monachon.

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