Reportage
Snatch, le chien qui va en prison pour soulager les peines

Une expérience unique vient de se mettre en place au sein des Établissements de la plaine de l’Orbe (VD). Un canidé passe régulièrement du temps avec les détenus, afin de les aider à recréer un lien social.

Snatch, le chien qui va en prison pour soulager les peines

«Il nous regarde comme des êtres humains, et non comme des criminels, sans préjugé ni jugement.» Assis en cercle, cinq détenus observent un chien qui circule librement entre eux. Sans leur tenue rouge, facilement identifiable, nous pourrions presque oublier que nous sommes dans le quartier de haute sécurité de la prison de Bochuz, à Orbe (VD). Ces hommes y purgent une peine allant de quelques mois à plus de dix ans, pour des délits de type agression sexuelle, viol ou homicide.

Jusqu’à l’automne passé, leur seul contact avec un animal se résumait aux chiens de garde des agents de sécurité. Depuis, ils bénéficient de la visite régulière de Snatch, un beagle, à raison de plusieurs rendez-vous répartis sur quelques mois. «J’aime son caractère indépendant. Le simple fait de le regarder me permet de me sentir libre quelques instants», témoigne un prisonnier.

Snatch guide la séance, au gré de son intérêt pour telle ou telle personne, ou de ses envies de renifler ici ou là une odeur, alors que sa propriétaire, psychologue de formation, reste en retrait. Au début, les détenus parlent peu, chacun se plongeant dans son monde intérieur. Certains sont émus devant la présence réconfortante du beagle, clignent des paupières pour retenir quelques larmes. Parfois, un sourire se dessine sur les lèvres. Si le déroulé de la visite semble tout simple – observation, caresses, lancer de balle ou brossage rythment l’heure passée ensemble – l’impact sur les prisonniers s’avère phénoménal. «Ici, tout nous manque, en particulier la nature, les animaux. Chaque petit événement prend alors une dimension beaucoup plus importante. Ce chien nous rappelle notre famille, tout ce qu’on avait et qu’on a perdu.»

 

Des interactions constructives
Les discussions s’animent peu à peu, les langues se délient, quelques plaisanteries fusent. La présence du canidé libère la parole et les détenus échangent plus facilement entre eux. Sans pudeur, ils évoquent des souvenirs de la vie d’avant, dévoilent un peu de leur parcours, partagent des anecdotes parfois intimes. Ainsi, n’est-il pas rare que les conversations débouchent sur des réflexions profondes. «Chaque groupe a sa propre dynamique en fonction de la personnalité de chacun», note Camille Collet, assistante sociale à l’origine de ce projet.

«Snatch me permet de m’évader de mon quotidien, en me rappelant des souvenirs, notamment mon bouledogue que j’aimais promener en montagne. Voilà cinq ans que je suis emprisonné. La liberté est si loin que j’ai presque oublié à quoi cela ressemblait», confie l’un des hommes. Si certains préfèrent juste regarder le beagle, d’autres ne lésinent pas sur les caresses et autres gratouilles qu’ils lui dispensent. «Ce lien charnel apaise nombre de détenus, qui souffrent parfois de détresse affective et d’angoisses, explique Cindy von Büren, directrice adjointe des Établissements de la plaine de l’Orbe. Il s’agit souvent de leur unique contact physique avec un autre être vivant.»

 

Montrer de l’empathie
Cette activité remporte un grand succès auprès des prisonniers, les inscriptions étant plus nombreuses que les places disponibles. «L’objectif est de favoriser la réinsertion des détenus, et non de leur proposer simplement un moment récréatif, souligne la directrice adjointe. Si nous n’oublions pas que des gens ont perdu un être cher ou que des victimes ont gardé des séquelles, nous devons tout mettre en place pour éviter les récidives.»

Les personnes incarcérées ayant parfois tendance à s’isoler, ces moments permettent d’apprendre à recréer des liens à travers un intérêt commun. Le chien aide aussi à la responsabilisation et donne l’occasion aux participants de montrer leur empathie, ce qu’ils ont rarement l’opportunité de faire. Se passer la brosse, partager le temps d’attention du canidé, faire preuve de bienveillance, s’inquiéter du bien-être de Snatch: des compétences relationnelles qui doivent être revalorisées pour ces gens qui ont vécu une cassure. «Je sors d’ici vidé, mais paradoxalement rempli de positivité.»

La séance touchant à sa fin, chacun donne quelques croquettes au beagle pour le remercier. En peu de temps, les prisonniers se sont attachés à lui. «Il est comme un ami qu’on retrouve toujours avec plaisir, relève un des hommes. Beaucoup d’entre nous n’ont plus l’attention de leurs proches. J’ai beaucoup d’amour pour lui, il va me manquer.» Aucun doute, l’attachant chien s’est fait une place à part dans le cœur de ces détenus.

Texte(s): Véronique Curchod
Photo(s): François Wavre/ Lundi13

Projets encore exceptionnels

De telles initiatives en milieu carcéral restent encore très rares en Suisse. Les craintes liées à la sécurité et la peur du non-respect du bien-être animal font partie des freins à leur organisation. Chiens de Cœur intervient avec un autre canidé en Suisse alémanique, alors que la Fondation Barry, à Martigny (VS), effectue également quelques visites outre-Sarine avec des saint-bernards. Au sein des Établissements de la plaine de l’Orbe, la volonté est de développer ce type de prise en charge. À noter qu’aux États-Unis, les chiens ont leur place en prison depuis des dizaines d’années. Des programmes ont été mis en place, les détenus ayant notamment pour mission de s’occuper de bêtes abandonnées avant qu’elles soient proposées à l’adoption.

Apporter une bonne dose de réconfort

Snatch et sa maîtresse font partie de l’association vaudoise Chiens de Cœur. Ses bénévoles rendent des visites principalement dans les établissements médicosociaux, mais également au sein d’hôpitaux et de foyers d’accueil. L’objectif est ainsi d’apporter réconfort et tendresse aux personnes âgées, handicapées sur le plan physique ou mental, en rééducation ou en fin de vie. Pour devenir «chien de cœur», les canidés doivent passer un test d’aptitude. Celui-ci comprend une partie d’obéissance, où le candidat doit être capable d’exécuter les ordres de base comme la marche en laisse ou le coucher. La deuxième partie comprend l’aptitude pour le «métier», à savoir avant tout la sociabilité et le plaisir que montre l’animal à aller vers des gens inconnus. Une fois le test réussi, les chiens doivent suivre une formation de six jours, validée par un examen.