Magicien et paysan, il enchante petits et grands lors de leur venue à la ferme
D’un air malicieux, il extirpe de sa poche une longue corde. «Là, vous n’en voyez qu’une seule. Mais, si on ajoute un peu de poudre de perlimpinpin, hop, deux autres apparaissent!» lance gaiement Jean-Jaques Estoppey en tournicotant les doigts et en agitant ses grandes mains, légères et habiles malgré plus de cinquante ans de travaux aux champs. «C’est mon tour préféré. Parfois, j’utilise même les ficelles qui servent à faire sécher le tabac. J’aime l’idée de faire de la magie avec trois fois rien», dit l’agriculteur devant nos yeux ébahis, en nous invitant à visiter l’exploitation familiale, à Granges-près-Marnand (VD).
Quand il ne travaille pas avec ses fils sur le domaine, le septuagénaire met sa salopette de côté pour se glisser dans la peau de son double au costume gris satiné. Depuis près de trente ans, celui que l’on surnomme le magicien des collines propose des numéros de prestidigitation et de ventriloquie dans le cadre de l’école à la ferme et de soirées privées. Des activités qu’il se réjouit de reprendre après une longue pause due à la crise sanitaire. «Ça me manque. Hier, je me suis même exercé exprès pour vous, de peur d’être rouillé», confie-t-il en montant sur la scène construite près de l’étable, pour continuer la démonstration et conter sa passion.
C’est mon tour préféré. Parfois, j’utilise même les ficelles qui servent à faire sécher le tabac. J’aime l’idée de faire de la magie avec trois fois rien.
Une fascination tenue secrète
Tout commence lorsque le jeune garçon, âgé de 12 ans, assiste pour la première fois à un numéro de ventriloquie lors d’une fête villageoise. «Fasciné, je me suis entraîné devant le miroir en rentrant chez moi. J’y arrivais plutôt bien! Mais mon père m’a dit de rester concentré sur l’agriculture. Je l’ai écouté.» Ce n’est que de nombreuses années plus tard que Jean-Jaques Estoppey, alors marié et père de famille, redécouvre ce hobby à l’occasion d’une soirée organisée par le club de gymnastique dans lequel il est moniteur. «Il manquait un show dans le programme. J’ai d’abord cherché un ventriloque, mais je n’en ai pas trouvé, alors je me suis lancé.»
En quête d’inspiration, il contacte un magicien neuchâtelois, qui l’autorise à reprendre l’un de ses sketchs, puis se procure une marionnette auprès d’un confrère genevois. Les jours qui précèdent la représentation, le paysan s’exerce du soir au matin, en trayant les vaches. «Mon père ne comprenait pas d’où venait cette voix aigüe qui parlait sans cesse, s’esclaffe-t-il. Je n’ai rien dit jusqu’au soir du spectacle. Là, tout le monde a été bluffé. Les gens pensaient que c’était du play-back!» Fort de son talent, le Vaudois est admis dans le club des magiciens de Lausanne – dans lequel il est toujours le seul membre agriculteur – et rejoint un groupe de passionnés à Yvonand (VD).
Au fur et à mesure des années, son répertoire s’est enrichi et l’illusionniste s’est spécialisé dans les tours de magie avec des colombes, qu’il élève lui-même. Justement, cet après-midi, dans la volière qui jouxte l’enclos des chèvres, Neige, Câline, Flic et Flac roucoulent paisiblement. Notre homme, lui, manipule un ballon de baudruche en discutant. «Ce sont des animaux magnifiques et très familiers, qui peuvent vivre jusqu’à 25 ans. Je les ai même prêtés à l’humoriste français Éric Antoine, de passage à Lausanne», déclare-t-il fièrement. Soudain, le ballon éclate, laissant apparaître deux autres oiseaux à la blancheur immaculée. «Pas mal, hein? se marre le magicien, une aiguille à la main, en nous voyant sursauter. Tout est dans le détournement d’attention pour que les spectateurs ne se rendent pas compte de l’astuce.»
La simplicité pour impressionner
Chaque année, plusieurs centaines d’élèves assistent à ses spectacles, lors de courses d’école, visites d’étable ou nuitées sur la paille. «Nous devons montrer aux consommateurs de demain comment fonctionne l’agriculture. Et si on peut le faire en rigolant, c’est encore mieux!» À la nuit tombée, le prestidigitateur enchaîne allègrement tour de passe-passe avec des cartes, apparition de lapins et de fleurs, quand il ne s’amuse pas à transformer un foulard en œuf – du domaine, bien sûr –, le tout agrémenté de fumée et confettis. «Rien de nouveau. Ces tours existent depuis toujours, concède-t-il. C’est justement ce qui me plaît.» S’inspire-t-il tout de même des stars du milieu, comme l’extravagant David Copperfield? «Je l’admire, c’est vrai, mais il a des dizaines d’assistants derrière la scène et beaucoup de mécanique dans ses tours. Moi, j’aime impressionner avec pour seule magie ma dextérité», affirme-t-il sans pour autant dévoiler ses techniques.
Équilibre vital
À la ferme Le Bochet, anniversaires et enterrements de vie de garçon sont aussi légion. «Afin de personnaliser mon numéro de ventriloque, j’essaie de glaner en amont des anecdotes sur les spectateurs. Mais il est difficile de garder son sérieux quand l’audience est hilare, lâche celui qui se décrit comme un ancien timide. Monter sur scène m’a libéré.» Son épouse Michelle, qui est aussi son premier public, acquiesce: «La magie, c’est son dada. Il a toujours pris du temps pour s’y consacrer, malgré son quotidien surchargé. Il est vital de se divertir quand on est agriculteur. Jean-Jaques a trouvé un bel équilibre.» Qui est loin d’appartenir au passé puisque le retraité de 71 ans travaille toujours aux champs, en attendant impatiemment d’enfiler de nouveau son costume étincelant.
+ d’infos
jj.estoppey@bluewin.ch
Tél. 079 853 15 83.
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