Deux sœurs et deux regards qui font rayonner la viticulture valaisanne
Le soleil chauffe déjà le coteau, dehors les grillons et les oiseaux donnent de la voix dans les vignes qui entourent la cave, à l’intérieur il fait frais et calme, c’est tout juste si on entend le tintement régulier qui trahit les mises en bouteilles au rez-de-chaussée. Nous sommes à l’entrée du village de Vétroz, dans une cave La Madeleine doublement distinguée par les dernières Étoiles du Valais, ce classement qui récompense chaque année les meilleurs crus du canton.
Histoire de famille
Un fendant et une syrah, un blanc et un rouge, deux millésimes pour deux médailles. Et deux femmes pour présider à la destinée de ce domaine fondé il y a plus de trente ans par André Fontannaz. Sous l’impulsion de ses filles Chloé et Camille, la cave La Madeleine, baptisée en l’honneur de la patronne du village de Vétroz, Sainte Marie-Madeleine, connaît une deuxième jeunesse.
Elles sont là toutes les deux, aussi détendues devant leur café que devant la responsabilité que représente le pilotage d’une cave commercialisant chaque année près de 150 000 bouteilles. L’aînée, c’est Chloé, 35 ans, deux CFC de viticultrice et de caviste, un bachelor en œnologie à Changins (VD), des expériences au sein de grands domaines de Sion à l’Afrique du Sud.
Apprendre à travailler ensemble
La cadette, Camille, a trois ans de moins, des études d’italien et de russe au compteur puis une école de tourisme, «pour valoriser des lieux et des terroirs». Deux parcours singuliers mais complémentaires qui se rejoignent sur un point: ils ramènent l’une comme l’autre vers la cave familiale, où elles se retrouvent en 2019.
La première est en charge de la technique, la seconde du marketing et des événements. L’une arrive à l’aube, l’autre préfère rester jusqu’à ce que les étoiles ponctuent le ciel au-dessus de la vallée du Rhône. Il leur aura fallu un peu de temps pour apprendre à travailler ensemble, mais aujourd’hui la machine est lancée, le fonctionnement organique et fluide entre elles, heureusement d’ailleurs parce qu’«il faut que ça roule», comme le dit Camille.
Leur univers
Un sujet de discorde
Les prix des vins: «ou alors les horaires! On est tellement différentes…»
Celui qui ne fait jamais débat
La stratégie de la cave: «on a la même vision au sujet des grandes questions stratégiques.»
Le plat qui les rassemble
Une tagliata de bœuf: «celle de François, le mari de Chloé.»
Le vin préféré de chacune
Chloé: «Notre Magdalena rouge, ou peut-être notre fendant.»
Camille: «Un Magdalena blanc, notre assemblage de païen, arvine et amigne.»
Savoir se préserver
Pour faire tourner une cave, il ne faut pas compter ses heures. «Mais on tient à notre qualité de vie, nuance Chloé. Il faut savoir se ménager, sinon tu deviens fou.» Entre l’équitation et les randonnées en montagne, chacune s’octroie des parenthèses loin des cuves et des claviers. Il n’empêche que pour le duo, la fin de l’été est le dernier moment pour prendre une grande bouffée d’air avant de plonger corps et âme dans la frénésie des vendanges, qui sera immédiatement suivie par les premiers travaux en cave.
Lorsqu’elles ressortiront du maelström, l’hiver sera là. «Le métier de vigneron-encaveur est de ceux où vous devez tout savoir faire. Cela peut être rude. Alors être deux, ça change la donne.»
Respect du terroir
Le terrain de jeu de Chloé et Camille est un grand vignoble de 25 hectares, la plupart autour de Vétroz mais certaines parcelles vont jusqu’à Ardon et Chamoson. Un patrimoine qui se cultive entre respect des traditions et souffle de créativité. «Le respect du terroir prime toujours, explique l’œnologue. Nous valorisons nos vignes en terrasses en vins qui ont de l’expression.»
En parallèle de la gamme historique de la cave, entre l’incontournable amigne de Vétroz et les rouges en barrique, les deux sœurs n’hésitent pas à jeter un pavé dans une mare vinicole un peu trop calme à leur goût: il y a quatre ans, elles lancent «Les Gamines», un rosé décomplexé «qui nous ressemble et plaît à nos copains». Au cœur de leur démarche, un souhait: «Nous voulons porter une vision du vin valaisan d’aujourd’hui», explique Camille.
Travailler en duo permet de prendre du recul, de remettre chaque décision et chaque processus en question.
Pas question de rupture néanmoins: «Nous ne remettons pas en cause nos protocoles, mais nous les modernisons pour nous adapter à l’évolution du marché, note Chloé. Au changement climatique, aussi. Le fondement de ce métier, c’est l’expérience, et celle de nos aînés, comme nos parents ou notre chef caviste, Marc-André Pitteloud, ici depuis trente ans, est précieuse.»
Nouvelle cave en gestation
Derrière le canapé où sont assises les deux sœurs, une fenêtre laisse passer le regard vers le vert éclatant des vignes qui s’accrochent à la pente. Agrandi à plusieurs reprises par le paternel, le bâtiment atteint désormais ses limites.
Depuis des mois, Chloé et Camille conçoivent un nouveau lieu de travail, pas loin d’ici mais plus vaste et plus pratique, pour accompagner la croissance de l’entreprise et répondre aux attentes des clients. «Elles ont beaucoup évolué, relève Camille. Aujourd’hui, la fidélité à une cave se noue au fil d’événements, de dégustations, d’expériences.»
En attendant l’autorisation de construire, les sœurs Fontannaz poursuivent leur route, entre rigueur et inventivité. «Il faut s’amuser dans ce qu’on fait», dit Chloé, qui rêve notamment de produire un mousseux. Pousseraient-elles l’expérimentation jusqu’au vin nature?
À peine le temps de sentir une légère retenue chez Chloé que sa cadette s’exclame: «Et pourquoi pas? Tu as bien voulu planter du sauvignon blanc!» Dehors, le soleil poursuit sa course vers le zénith. Les deux étoiles de La Madeleine aussi.
