«Symboliquement, le loup représente l'animal sauvage par excellence»

La deuxième édition du festival des Écotopiales, qui se tiendra du 31 octobre au 1er novembre à Lausanne, explorera les relations que nous entretenons avec le vivant. Dans ce cadre, le biologiste et éthologue Jean-Marc Landry ainsi que l'anthropologue Claire Galloni d'Istria initieront le public aux enjeux scientifiques entourant la présence du loup.
29 octobre 2025 Diane Zinsel
© Loïc Herin

Pourquoi avoir accepté d’animer cet atelier à l’Université de Lausanne?

Jean-Marc Landry: Je constate un manque de communication entre éleveurs, bergers, environnementalistes, garde-chasse, politiciens et même journalistes. Dans le débat aujourd’hui, chacun a ses propres intérêts qui vont souvent au-delà du loup. Cette joute va permettre de confronter ces positions, de les décortiquer et de montrer la complexité du vivre ensemble.

Claire Galloni d’Istria: Cet atelier va aussi servir à montrer que les discours peuvent ne pas recouvrir toutes les expériences des individus, souvent plus nuancés. Même si je remarque qu’en ce moment, il y a une forme de cristallisation sur la figure du grand méchant loup.

Quelle est votre relation personnelle au loup?

C.G.I: J’ai consacré ma thèse de doctorat et une partie de mon postdoctorat au loup. En tant qu’anthropologue, mon travail principal est de réfléchir aux relations que l’être humain entretient avec des animaux et d’étudier de quelle manière celles-ci se transforment, tout en mettant à distance mes propres ressentis et opinions. Le loup pousse cette difficulté dans ses retranchements, car quand on le rencontre, la manière dont il se comporte, dont il nous regarde, ne laisse pas indifférente.

J-M.L.: À l’université, mon surnom était «chamois», un autre animal que j’affectionne. Un professeur m’a incité à changer d’espèce pour mes recherches. Les loups étaient dans mon esprit depuis mon enfance. La nature a toujours été un refuge pour moi, et c’est cet animal, à la fois solitaire et social, qui m’a amené à rencontrer d’autres humains. Depuis, le loup me poursuit. Dans certaines mythologies, il est vu comme un passeur de savoir, un médiateur. Je me retrouve dans ces définitions.

Jean-Marc Landry

Biologiste diplômé de l’Université de Neuchâtel, éthologue, spécialiste du loup, le Jurassien Jean-Marc Landry s’est aussi formé à l’institut de recherche Wolf Park dans l’Indiana. En 1995, il organise un congrès international qui sera à l’origine du plan d’action pour la conservation du loup en Europe. Depuis, il travaille essentiellement sur trois axes: connaissance de la biologie des loups en système pastoral, compréhension des comportements du petits et gros bétail et recherche sur les mesures de protection du bétail.

Et que dire des relations entre l’être humain et le loup aujourd’hui?

C.G.I: Dans les régions de Haute-Savoie et du Valais que j’ai étudiées, une partie de nos relations avec le loup est basée sur l’imaginaire, nourri par des contes, et une autre partie basée sur des expériences qui montrent que le loup ne se comporte pas forcément comme on nous l’a appris. Ce décalage créé une forme de doute qui alimente une peur du loup, parfois mieux gérée avant son éradication. J’ai par exemple retrouvé dans les archives des témoignages de gens qui chassaient simplement le loup à coups de poing et de pieds. La deuxième chose, c’est que le loup représente symboliquement l’animal sauvage par excellence et notre positionnement va dépendre de la manière dont on entend ce monde sauvage.

Qu’est-ce que vous entendez par là?

C.G.I: Il y a toujours cette peur qu’en se frottant au sauvage, celui-ci nous contamine et nous ramène à lui. Cette peur-là véhicule la crainte d’un désordre social, une involution culturelle. Cela se retrouve aussi dans l’espace qu’on lui laisse: sur le papier, il a toute latitude d’aller là où il veut, mais, dans la réalité, pas tout à fait, et, quand il fait le loup, ce qu’il est, on le lui reproche. Ce n’est pas parce qu’on a rencontré un loup qu’on les a tous rencontrés: chacun a une personnalité propre.

J-M.L.: Je te rejoins. Le loup reste un peu le dernier rempart d’une nature qu’on souhaiterait maîtriser, mais qui nous échappe. Notre société cherche à tout contrôler, à définir ce qu’est un loup et la manière dont il devrait se comporter. L’utilisation du terme «dysfonctionnel» pour décrire un loup qui ne répond pas aux attentes en est un exemple flagrant. Dans cette configuration, notre rôle tient à révéler le loup comme il est, sans le démoniser, sans le mettre sur un piédestal.

Claire Galloni d'Istria

Chercheuse associée au département de géographie et environnement de l’Université de Genève, Claire Galloni d’Istria est spécialisée dans l’étude ethnographique et visuelle. Afin d’explorer au mieux les renégociations des relations entre humains, faune sauvage et montagne, elle enrichit sa recherche anthropologique par la pratique de la photographie et la prise de son.

Comment expliquez-vous la difficulté ou la peur de revenir à une cohabitation avec cet animal?

C.G.I.: Pour moi, la peur s’est renforcée et amplifiée quand on a mis sous le tapis la fonction de dévoration du prédateur. Et puis il faut rappeler que le loup est revenu dans des zones qui ont beaucoup changé d’un point de vue social, économique et culturel. Déjà difficile, le travail des éleveurs et des agriculteurs s’est drastiquement modifié. Le loup en est le révélateur.

J-M.L.: La France comme la Suisse ont mal géré le retour des loups dans les années 1990 en omettant d’expliquer aux éleveurs et à la population la volonté européenne de réhabiliter les loups depuis la signature de la convention de Berne (1979). Ce retour naturel dans les Alpes a souvent été ressenti comme «un truc illégal» dans le but de nuire au pastoralisme. Le loup est rapidement devenu un objet politique au détriment des connaissances scientifiques. Aujourd’hui, autant les éleveurs que les loups en payent les conséquences. Le loup est devenu le responsable de tous les malheurs, mais on oublie vite les décisions politiques agricoles responsables de la disparition de 32 000 exploitations agricoles depuis 1996 et de la responsabilité de nos choix sociétaux et agricoles sur la dérive climatique, l’apparition d’épidémies, la disparition des sols, etc. Dans un monde de la performance, une décision outre-Atlantique peut condamner 25 000 vaches laitières suisses. Supprimer des meutes ne va pas recoller les pots cassés.

Vous êtes tous les deux impliqués dans des activités artistiques. De quelle manière ces expériences nourrissent-elles votre recherche théorique?

C.G.I.: Ma pratique photographique est une méthode de recherche et d’écriture qui me permet de saisir des réalités sous un angle inédit. Elle me permet aussi de partager mon travail de recherche plus aisément, car échanger sur la base d’une photo permet d’accéder à des repères visuels communs avec les publics.

J-M.L.: La création n’alimente pas du tout ma recherche. Mais j’ai toujours pensé que les artistes arrivent à transmettre au grand public ou à la politique, là où les scientifiques sont parfois un peu coincés dans leur tour d’ivoire. J’ai donc tout de suite été enthousiaste à l’idée que nos vidéos réalisées sur le terrain à des fins scientifiques soient utilisées dans la pièce In bocca al lupo de Judith Zagury qui sera jouée durant les Écotopiales. C’est une bonne occasion d’aborder les loups sous un autre angle et de lancer des débats différents.

+ D’infos wp.unil.ch/ecotopiales

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