Les friches sous les pylônes se muent en mares pour amphibiens menacés

En ce mois de janvier, Pro Natura démarre la construction de plus de vingt plans d'eau sous des mâts électriques vaudois, malgré des démarches administratives complexes et la réticence de certains agriculteurs.
26 janvier 2025 Lila Erard
© Marcel G.

Drôle de lieu de rendez-vous pour une réunion matinale. Hier, un petit groupe de personnes se retrouvait à Bex (VD) sous un impressionnant pylône électrique d’une cinquantaine de mètres de haut. Le but: creuser une mare dans cet endroit aussi insolite qu’inhospitalier.

Premier sur sol romand, ce chantier sera suivi d’une série de réalisations similaires dans dix sites chablaisiens le long de la ligne à haute tension, jusqu’à Villeneuve. Ces projets sont menés par Pro Natura, qui a déjà construit 63 plans d’eau sous 53 mâts en Suisse alémanique depuis 2020, en collaboration avec la Société nationale du réseau de transport de l’électricité Swissgrid (lire l’encadré ci-dessous).

Coup de pouce aux tritons

En plus de bénéficier d’un accès à la forêt et d’un cours d’eau, ces lieux ont été sélectionnés en raison de la présence proche d’amphibiens vulnérables, dont le sonneur à ventre jaune et le triton palmé.

«Ces espèces utilisent des microstructures aquatiques peu profondes pour féconder leurs œufs. Malheureusement, ces endroits disparaissent de plus en plus, parce qu’ils empêchent d’exploiter efficacement le sol, explique Andrea Haslinger, chef du projet au sein de l’organisation. Les emplacements sous les pylônes, majoritairement situés sur des terres agricoles ou en forêt, sont idéals pour les recréer, car leur utilisation n’est souvent pas rentable. De plus, ils se trouvent à quelques centaines de mètres les uns des autres, ce qui permet la mise en réseau des biotopes.»

Au programme du jour: couper les ronces, excaver la terre, mettre une bâche et un tissu protecteur, installer un système de vidange puis déposer des graviers. «Cette mare sera vidée en hiver pour simuler l’habitat naturel du sonneur à ventre jaune. Cela limite la présence des prédateurs comme les larves de libellules», relève 
Judith Reusser, biologiste à naturschutzlösungen, bureau bernois mandaté pour coordonner les projets dans toute la Suisse. Parmi les 27 plans d’eau prévus dans la région, de simples bassins en plastique enterrés, plus petits, seront aussi installés.

Tueurs d'oiseaux

Autre initiative en faveur de la biodiversité, un projet de sécurisation des mâts électriques est mené par l’Office fédéral de l’environnement (OFEV). En effet, l’électrocution est l’une des causes de mortalité non naturelles les plus fréquentes chez les oiseaux en Suisse, notamment chez les rapaces qui utilisent les pylônes comme perchoirs, tels que le hibou grand-duc d’Europe et l’aigle. «Parmi les différentes mesures, on peut citer la construction de structures respectant des distances minimales entre les câbles conducteurs, afin d’épargner les espèces à grande envergure, ainsi que l’assainissement des mâts existants à l’aide de matériaux isolants», liste Moritz Heiser, chargé d’information à l’OFEV.

27 plans d’eau chablaisiens

Chargée des travaux vaudois, la société de renaturation Biolnat effectue pour la première fois un tel aménagement sous un pylône. «Cette diversification de nos activités est dans l’air du temps», se réjouit le directeur Urbain Girod, également à la tête des pépinières Girod au sein desquelles se situe l’un des mâts concernés. Pour lui, la construction d’une mare artificielle entre les quatre piliers de béton qui soutiennent la structure a du sens. «Nous ne pouvons planter aucun arbre sur cette surface de cent mètres carrés, notamment parce qu’on ne peut pas y accéder avec des machines. Nous sommes ravis, car plus de biodiversité fera du bien à nos cultures.»

Mais tous les chantiers ne sont pas aussi faciles à mettre en œuvre. Une fois les pylônes adéquats identifiés, les propriétaires des terrains ont dû donner leur feu vert. «En moyenne, la moitié des gens contactés ont accepté, dont les communes et les particuliers. En revanche, il est plus difficile de convaincre les exploitants agricoles», souligne Judith Reusser. En cause: la nécessité de respecter une zone tampon de six mètres autour de la mare sans utilisation de pesticides et de fumier. «C’est dommage, car les fermes peuvent jouer un rôle important pour connecter les habitats», avance la biologiste, qui informe que 20 à 30% des plans d’eau construits sont situés sur une zone agricole.

Monitorage scientifique

Des démarches administratives longues et complexes ont également entravé l’avancement des projets, entre formulaires multiples, permis de construire et oppositions. «Parfois, nous avons dû attendre plus d’un an pour avoir toutes les autorisations», témoigne-t-elle.

Du côté de la Municipalité d’Aigle, l’initiative avance sereinement. «Cela est en partie dû au fait que les mares prévues sur nos sites ne sont pas proches des habitations, ce qui a limité les oppositions. Il arrive que des personnes craignent la prolifération du moustique tigre en raison des eaux stagnantes», expose Cynthia Roulin, responsable du service de l’urbanisme, de la durabilité et de l’économie, qui précise que ce projet est en accord avec le Plan Climat de la commune, ratifié en 2024.

«Nous soutenons toutes les mesures qui peuvent améliorer la biodiversité sur notre territoire.» D’ici fin mars, la totalité des plans d’eau du Chablais devrait avoir vu le jour, afin d’accueillir le sonneur à ventre jaune dès sa période de migration, au printemps. Un monitorage sera effectué durant deux ans afin de suivre sa population. Outre-Sarine, de nombreux amphibiens ont déjà été identifiés dans près de la moitié des mares créées.

Questions à…

Jeannine Suremann, ingénieur environnement à Swissgrid, Société nationale du réseau de transport de l’électricité

Quelle est l’implication de Swissgrid dans ces projets?

Nous les soutenons en expertisant les sites sélectionnés, en fournissant les données géographiques et en rappelant les conditions de sécurité. En effet, l’exploitation de lignes à très haute tension ne doit pas être menacée par ces aménagements. De plus, nos gardes forestiers contrôlent l’entretien et prennent contact avec les exploitants en cas de non-respect.

Voyez-vous d’un bon œil ces initiatives?

Bien sûr, cela s’inscrit dans nos principes «éviter, protéger, restaurer, substituer». Dans le cadre de nos constructions, nous tentons de minimiser les impacts négatifs sur l’environnement. La richesse naturelle doit être la même avant qu’après une intervention.

Dans ce contexte, quelles autres mesures sont mises en place?

Au total, 107 petites structures ont été construites sous des pylônes dans le cadre de partenariats, que ce soient des mares, des tas de branches ou de pierres pour créer des habitats pour les animaux. Des aides à la nidification ont aussi été installées sur quinze mâts. Le nombre de demandes de ce type n’a cessé d’augmenter ces dernières années.

Envie de partager cet article ?

Achetez local sur notre boutique

À lire aussi

Accédez à nos contenus 100% faits maison

La sélection de la rédaction

Restez informés grâce à nos newsletters

Icône Boutique Icône Connexion