Le plus grand lézard de Suisse sous haute surveillance à Genève

En terres genevoises, le lézard vert est une espèce menacée. Pour la troisième année consécutive, les fondatrices de Naries, une association de protection de la biodiversité, effectuent un suivi de sa population afin d'appuyer des mesures de conservation.
4 septembre 2025 Camille Saladin

Malgré l’heure matinale, l’effort de la marche suffit déjà à faire perler la sueur sur les fronts. La réserve naturelle de l’Allondon (GE) se réveille d’une nuit chaude, qui accentue encore l’aridité de ses prairies d’herbe sèche. Devant nous, deux femmes s’engagent sur de minuscules sentiers, le pas décidé, mais tout en légèreté. «Les lézards sont sensibles aux vibrations. Toute irruption bruyante ou fracassante va les alarmer», explique Virginia Le Bourlot.

Émilie, sa sœur jumelle, acquiesce. Ici, à Malval, sur le territoire de la commune de Dardagny, c’est la troisième année consécutive que les deux biologistes, fondatrices de l’association Naries (lire l’encadré), font partie des bénévoles venant observer le lézard vert et dresser le bilan périodique de son occupation, à la demande du Centre suisse de coordination pour la protection des amphibiens et des reptiles (karch). Un suivi qui aidera à appuyer des mesures de conservation – si la nécessité se présente – et de maintenir les biotopes dans lesquels le lézard vert vit; l’espèce étant menacée dans le canton de Genève.

Entraînement et persévérance

Le duo avance avec précaution, les sens en alerte, prêt à s’immobiliser instantanément si un bruit sort de l’ordinaire. «L’attention portée sur le son est indispensable. Il permet d’analyser ce qu’il y a autour de soi. Selon ce qu’on entend, on pourra suspecter un serpent, un oiseau ou un lézard avant même de les avoir aperçus», relève Émilie Tournier.

Pour pouvoir affirmer la présence d’un animal sur le terrain, il faut le voir. «Cela demande de l’entraînement, mais aussi beaucoup de persévérance. Il est là, quelque part, vert sur vert, parfaitement camouflé dans son environnement. Et tout d’un coup, il y a cet œil ou cette écaille qui apparaît comme une évidence», raconte-t-elle avec enthousiasme. Une satisfaction instantanée qui motive les chercheuses à aller sur le terrain par tous les temps, à toutes les saisons.

La chaleur est telle qu’aucun reptile ne semble vouloir montrer le bout de son nez. On admire en passant la beauté des orchidées sauvages et des coronilles bigarrées. Des papillons s’y posent un instant, après s’être poursuivis en virevoltant, puis repartent de plus belle. Un frémissement dans les herbes hautes capte parfois l’attention des marcheuses, mais il se solde à chaque fois par la course folle d’un lézard des murailles.

Le graal sur une fougère

On rentre bredouilles du premier terrain. La faute aux températures, peut-être. On en enchaîne un second, au bord de la rivière, plus frais et ombragé. La présence plus marquée des arbres s’avère de bon augure, car le lézard vert est une espèce forestière. Le temps presse, cependant; l’heure avance et les températures augmentent, forçant les lézards à diminuer leur pic d’activité et à se réfugier à l’ombre dans la broussaille.

Tout le monde retient son souffle, espère une rencontre, tandis que Virginia Le Bourlot part en éclaireuse et disparaît des regards. Tout à coup, elle siffle, pour demander au reste de l’équipe de venir la retrouver. Là, sur la branche épineuse d’une fougère, un énorme lézard vert à la robe splendide prend la pose, peu sensible au ravissement qu’il inspire.

Très vif, avec une collerette turquoise sous la gorge et la tête, il s’agit d’un mâle en fin de parade nuptiale. «La vivacité des couleurs est un signe de bon bagage génétique; elle attire les femelles. Celles-ci sont facilement reconnaissables: d’un vert plus terne et un peu uniforme, elles peuvent avoir des reflets bleutés, mais possèdent toujours deux lignes foncées sur le dessus du dos», détaille Émilie Tournier.

Peu de rencontres

Avec près de trente centimètres de longueur, voire une quarantaine pour certains spécimens, le lézard vert est le plus gros lézard de Suisse. Territorial, le mâle possède un espace de 200 à 1200 m2 qu’il défend ardemment lors d’opiniâtres combats. Il peut vivre une quinzaine d’années.

Ce petit varan européen, à l’allure un peu préhistorique et exotique, possède aujourd’hui un territoire très fragmenté, ce qui accroît sa vulnérabilité. En cause: l’urbanisation croissante et ses conséquences — la construction des routes et la parcellisation du territoire, ainsi que l’agriculture intensive, en particulier dans les vignobles de l’adret lémanique et du Chablais vaudois. L’espèce privilégie les zones où la végétation est dense et ponctuée d’empierrements, appréciant tout particulièrement les buissons épineux qui le protègent efficacement des prédateurs. Hormis dans le canton de Genève, on le trouve encore dans les zones les plus chaudes du pays, comme le Tessin, le Valais, le Chablais vaudois et les vallées des Grisons.

Alors qu’Émilie Tournier prend des clichés du magnifique spécimen, sa sœur note le point GPS de la rencontre dans son application de collecte de données. Elles seront cependant peu nombreuses. Cette année, la pêche n’aura pas été fructueuse. Hausse des températures ou malchance des biologistes? Pour l’heure, impossible de le savoir…

+ D’infos

naries.ch

Centre de référence

Le Centre suisse de coordination pour la protection des amphibiens et des reptiles (karch) est le service de référence de l’Office fédéral de l’environnement en matière d’herpétologie. Il coordonne la collecte d’observations, centralise les données reçues et élabore des cartographies précises pour la mise en œuvre de mesures de conservation. Il met à disposition un centre de documentation regroupant plus de 6000 références scientifiques, y compris des publications techniques et académiques. Un conseil scientifique pluridisciplinaire oriente ses priorités. Le KARCH-GE, son antenne genevoise, agit localement en appui aux actions de terrain et aux suivis régionaux.

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