En deux siècles, la Suisse est devenue un leader du sauvetage en montagne
Demandez à quelqu’un ce qu’il ou elle connaît du secours en montagne, et on vous parlera sans doute d’un saint-bernard portant un tonnelet de schnaps, voire d’un hélicoptère rouge et blanc. Ce n’est pas une mauvaise réponse, mais elle est un peu lacunaire: entre le mythique Barry et les dernières technologies, le savoir-faire helvétique en matière de secourisme s’appuie sur 200 ans d’expérience.
Les débuts du sauvetage en montagne coïncident avec ceux de l’alpinisme. «Tout commence avec la découverte des Alpes sous l’angle de cette pratique, explique Christian Reber, président du Secours alpin romand (SARO). Nous sommes dans la seconde partie du XIXe siècle. S’il y a alors certes une poignée de locaux qui connaissent la montagne, c’est à l’enthousiasme des alpinistes anglais que l’on doit l’apparition et le développement de cette discipline dès 1855.»
De lieu arpenté par les bergers et les savants, les Alpes suisses et françaises deviennent rapidement un objectif sportif: on se dispute les «premières», on ouvre de nouvelles voies, on cartographie un territoire encore peu connu. On en découvre les dangers, aussi: les accidents, aux conséquences parfois dramatiques, se multiplient avec l’augmentation de la fréquentation.
La colonne de secours
Les opérations de sauvetage sont l’apanage des guides et des habitants des vallées alpines: «Porter secours fait partie des responsabilités légales des guides, note Christian Reber. Plus qu’un métier, qui s’officialise avec les premiers brevets dans les années 1880, c’est une corporation où l’on se prête naturellement main-forte lorsqu’un collègue est en détresse.» Le Club alpin suisse (CAS) prend l’initiative dès 1903 de créer des postes de secours dans les régions les plus prisées. «Un tel poste, c’est du matériel, comme un brancard, une pharmacie et des cordes, mais c’est surtout un groupe de spécialistes prêts à partir en cas d’alarme: la colonne de secours, formée de guides, d’aspirants et d’amateurs expérimentés.»
Chiens et hélicoptères
Au fil des ans, les processus d’intervention se perfectionnent, le système d’alarme également avec l’apparition du téléphone et des radios: «Les secours ne pouvaient jusqu’alors se mettre en route que si l’un des membres du groupe accidenté était en mesure de redescendre jusqu’au village, dit Christian Reber. Il s’écoulait souvent une bonne dizaine d’heures avant que les éventuels survivants ne soient pris en charge.»
Le savoir-faire des guides est complété par celui de l’armée lorsque, dès la Seconde Guerre mondiale, celle-ci prend en charge la formation de conducteurs de chien. C’est dans le cadre militaire aussi que se déroulent les premières opérations aériennes: en novembre 1946, le pilote suisse Victor Hug pose son avion sur le glacier du Gauli (BE) pour secourir les survivants du crash d’un appareil américain. Puis il y a
Hermann Geiger, cet as des airs qui multipliera les interventions dans les Alpes dès les années 1950.
Popularisé par deux compagnies, Air Glaciers et la Garde aérienne suisse de sauvetage – bientôt rebaptisée REGA, l’hélicoptère représente la plus grande révolution du secours en montagne, faisant passer le temps de transfert du patient vers l’hôpital de plusieurs heures à quelques minutes. La filière se veut de plus en plus pointue. «Aujourd’hui, chaque membre d’une colonne de secours a suivi une instruction articulée en trois niveaux.
Elle s’accompagne de modules de formation continue et de spécialisations pour les conducteurs de chien, les spécialistes en sauvetage héliporté ou encore le canyoning.» Malgré quelques disparités cantonales, le Valais disposant de sa propre structure, la méthodologie s’uniformise d’un bout à l’autre du pays pour plus d’efficacité.
Une vaste terrain de jeu
Des brancards aux vêtements en passant par les skis, la technologie évolue et facilite le travail des sauveteurs, mais la fréquentation de la montagne change aussi. Dès les années 1980, le temps où seuls des alpinistes chevronnés arpentaient les Alpes semble bien loin. Randonnée, escalade, parapente, VTT, via ferrata, canyoning ou base jump, les hauteurs deviennent un terrain de jeu pour un public moins au fait des dangers du milieu, et ce à toute saison: près de 2000 personnes sont désormais secourues chaque année.
Cette multiplication des missions s’accompagne d’un défi financier: des stratégies de financement public-privé se mettent en place, comme la contribution cantonale au secours alpin de 4 centimes par habitant votée en 1996. «Les interventions elles-mêmes sont remboursées par l’assurance des patients. Mais l’équipement et l’infrastructure qui permet la disponibilité des secouristes ont un prix.»
En 200 ans, la montagne a changé. Mais une chose est restée la même: les membres des colonnes de secours sont toujours bénévoles, fidèles à une tradition plus actuelle que jamais. «Pour agir rapidement et de manière sûre, la connaissance du terrain est déterminante, martèle Christian Reber. Le modèle de la colonne formée de montagnards qui maîtrisent les particularités et les dangers du lieu a fait ses preuves. Ils interviennent 7 jours sur 7 et par tous les temps, en hélicoptère ou à pied s’il le faut. C’est un service inestimable.»
Le secours alpin en quelques dates
1810: «Barry»
Pas facile de démêler la légende de la réalité dans l’histoire du plus célèbre des saint-bernards: les chiens des chanoines de l’Hospice du Grand-Saint-Bernard (VS) étaient destinés à garder les lieux et non à secourir les marcheurs égarés. Reste que l’odorat de Barry lui aurait permis de repérer des alpinistes dans la tempête, valant à la race de devenir un symbole national.
1903: Premiers postes de secours
Le Club alpin suisse (CAS) crée les premiers postes de secours à Glaris et Zermatt. Leur nombre grimpe rapidement: il y en a 49 (plus 7 postes secondaires) en 1912, et 114 en 1938.
1903: L’armée forme des chiens d’avalanche
Dans le sillage des chiens sanitaires, utilisés pour retrouver les soldats blessés sur les champs de bataille, l’armée suisse met en place une filière de formation pour les chiens d’avalanche. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le CAS reprend la responsabilité du domaine.
1952: La révolution de l’aviation
Le 10 mai 1952, aux commandes d’un Piper doté de skis rétractables, Hermann Geiger se pose sur le glacier de la Kander. C’est une première, et le début d’une longue série pour le Valaisan qui, en avion puis en hélicoptère, contribue à l’invention du sauvetage aérien dans les Alpes.
1968: Le détecteur de victimes d’avalanche
Sur mandat de l’armée, la firme soleuroise Autophon AG développe son premier détecteur de victimes d’avalanche (DVA). Auprès des troupes de montagne puis des alpinistes, cet émetteur-récepteur radio qui permet de repérer une personne sous la neige connaît un succès fulgurant.
2010: Indispensable smartphone
Après le téléphone portable dès les années 1990, le smartphone accélère encore la prise de contact entre victime et secours: avec les dernières applications, il est possible de partager instantanément sa géolocalisation.
+ d’infos
www.secoursalpin.ch
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