De ce côté-ci de la Sarine, le raton laveur avance pour l'heure encore masqué
Il a la taille d’un renard légèrement trapu, un masque noir sur les yeux, un museau pointu et des mains particulièrement agiles. Ce qu’on imagine de lui vient souvent de dessins animés ou de films d’Amérique du Nord, région du monde d’où il est issu et où il foisonne en ville.
Mais peu de gens savent que le raton laveur existe aussi en Suisse. Et que, malgré son apparence inoffensive, il fait partie des animaux qui peuvent, selon la loi fédérale sur la chasse, être abattus toute l’année.
Présence au nord de la Suisse
Le raton laveur est en effet une espèce indésirable, car non indigène et invasive. «Il a une influence négative sur la faune sauvage locale, peut transmettre des maladies aux animaux domestiques et aux humains, mais aussi causer des dommages aux habitations», explique Holger Stockhaus, responsable de la section chasse et pêche de l’office des forêts et de la faune de Bâle-Ville et Bâle-Campagne.
Dans ces deux cantons, ainsi que dans celui d’Argovie, cette espèce élevée en Allemagne pour sa fourrure au début du XXe siècle commence à se faire une place. «Après une période où nous recevions seulement quelques signalements isolés, même pas une fois par année, nous constatons une nette augmentation depuis 2021, ajoute Holger Stockhaus. À partir de cette date, nous avons dépassé les cent observations, et avons capturé une trentaine d’individus l’année dernière.»
Agile et peu farouche, le raton laveur est allé jusqu’à pénétrer dans les habitations dans certains cas.
Capturé et éliminé
«Les ratons laveurs causent des dégâts dans les réserves naturelles, précise Michel Blant, docteur en biologie au sein de Faunistique Zoologie Paysage, bureau d’écologie spécialisé en étude et management de la faune sauvage. Alors, comme pour les ragondins ou les rats musqués, si les gardes-faunes ont l’occasion de les éliminer, ils le font.» Pour ce faire, les employés des divers services cantonaux de l’environnement ou de la faune recourent généralement à une «cage-piège». Souvent utilisée pour les renards, elle contient un mécanisme qui fait tomber une trappe enfermant l’animal lorsqu’il y entre. Une fois capturés, les individus sont transférés dans un parc zoologique et la plupart du temps éliminés.
Quelques observations en Romandie
Il s’agit vraisemblablement de quelques sujets qui ont été relâchés ou qui se sont échappés, avant de se disperser dans la nature. Faisant fi des frontières, ils ont passé en Suisse, où leur présence a laissé des traces à partir des années 1970. «Néanmoins, l’espèce n’est pas encore tout à fait établie dans notre pays», relève Cristina Boschi, zoologue chez Infofauna, le centre national de données et d’information sur la faune suisse.
Est-ce la raison pour laquelle il ne fait que peu parler de lui en Suisse romande? Dans le canton de Vaud, exception faite d’une observation par piège photographique à Palézieux en mars dernier, les autres observations officielles remontaient à 2020 et 2021. À Neuchâtel, le seul cas récent date d’il y a cinq ans.
Comme nous manquons d’informations, nous pourrions aussi bien sous-estimer son nombre.
Et à Fribourg, si quelques indices de présence ont été relevés dans le canton entre 2018 et 2020 à proximité de la Grande Cariçaie, seul un individu a été prélevé par le service de la faune en 2021 dans le district du lac, et un signalement, non confirmé, est parvenu en 2024 à l’inspecteur cantonal de la chasse.
Plus proche voisin des cantons bâlois, le Jura constate de son côté une fréquence plus élevée des observations, mais qui reste légère. Sans communiquer de chiffres exacts, l’office de l’environnement parle de signalements passés d’un occasionnel tous les deux ans à environ quatre par année. «Mais difficile de le corréler avec une augmentation de la population, explique Geoffrey Beuchat, contrôleur officiel du domaine Nature au Canton du Jura. Cela pourrait aussi bien être des individus de passage.»
Suppositions plutôt que certitudes
Car les observations faites par les cantons restent anecdotiques. Actif pendant la nuit, vivant dans les zones boisées et étant particulièrement bon grimpeur, l’animal est surtout observé par hasard, par exemple lorsqu’il passe devant un piège photographique. «Il n’existe pas un suivi spécifique au raton laveur», indique Cristina Boschi. Les cantons préfèrent allouer leurs forces à des espèces plus problématiques et dont on sait qu’elles sont plus nombreuses.
D’autant plus que selon la zoologue, le mammifère ne colonise pas le territoire aussi vite que ce à quoi les spécialistes pouvaient s’attendre. «Parmi les pistes d’explications, on peut supposer que, comme il a besoin de forêts de chênes et alluviales avec des cavités dans les arbres qui lui servent de refuges, il ne trouve pas son bonheur dans la Suisse centrale, où ces habitats sont peu fréquents, imagine Cristina Boschi. Mais comme nous manquons d’informations, nous pourrions aussi bien sous-estimer son nombre. Il reste en réalité de nombreux points d’interrogations.»
Appel à la population
Spécialisée dans les petits mammifères, la zoologue précise d’ailleurs ne détenir que des connaissances générales sur la biologie du raton laveur, mentionnant au passage qu’il n’existe en réalité pas d’expert de l’animal en Suisse. «Il faudrait aller se former en Amérique du Nord ou dans des pays où il est plus répandu.»
Alors avec si peu d’informations, pourrait-on comparer la trajectoire du raton laveur à celle d’autres espèces invasives, afin d’imaginer un futur à ses côtés? «Difficile de faire une comparaison avec d’autres animaux, répond Cristina Boschi. Chacun a ses besoins en matière d’habitat, il est donc compliqué d’en prendre un en exemple pour l’autre.»
Tant Infofauna que les cantons devront donc attendre que davantage d’individus soient observés. D’ici là, la population ne doit donc pas hésiter, lorsqu’elle l’observe, à envoyer ses signalements de cet animal invasif aux autorités compétentes.
Un animal qui sait s'adapter
Dans son habitat naturel d’origine, les forêts de feuillus d’Amérique du Nord et d’Amérique centrale, le raton laveur aime les cavités dans les arbres, où il peut se réfugier et donner naissance à ses petits. Il a aussi besoin de milieux humides puisqu’il se nourrit pour un tiers de vertébrés principalement aquatiques (amphibiens, batraciens, poissons, mais aussi rongeurs), les deux autres tiers étant partagés entre invertébrés (insectes ou vers) et végétaux (fruits sauvages, graines). Omnivore, il adapte son alimentation aux saisons et à son environnement. Lorsqu’il s’installe en zone urbaine, il se nourrit de déchets qu’il peut facilement fouiller à l’aide de ses doigts agiles.
+ D’infos infofauna.ch
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