Cet été extrême fragilise nos forêts et leur rôle dans l’environnement 

Le déficit hydrique de ces derniers mois associé à des températures historiquement chaudes mettent sous tension les milieux forestiers. Leur mission dans la lutte contre les gaz à effet de serre se complique aussi.
1 septembre 2022 Aurélie Jaquet
WSL

Des arbres qui perdent leurs feuilles avec un mois et demi d’avance, des forêts tessinoises embrasées par la foudre, des feuillus aux couleurs automnales en plein mois d’août. Si la Suisse a été épargnée par les incendies dévastateurs qui ont touché l’Europe, où plus de 700’000 hectares sont déjà partis en fumée, la météo extrême de cet été met les environnements boisés à rude épreuve.

Le milieu forestier évoluant sur le temps long et la sécheresse étant toujours en cours, il est difficile pour l’heure de tirer un bilan, mais une chose semble toutefois se dessiner: cette saison au climat hors norme impactera de nombreux arbres dans les mois et les années à venir. «Ce qui frappe surtout, c’est de constater que même des essences jugées tolérantes, comme le chêne, montrent des signes de faiblesse», analyse Charlotte Grossiord, professeure assistante au Laboratoire d’écologie végétale de l’EPFL et chercheuse à Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage (WSL).

Brûlures en quelques heures

Cette situation extraordinaire est due à un été 2022 marqué par un double phénomène: d’une part une sécheresse inédite et de l’autre des records de chaleur quasi historiques. «En moyenne nationale, les mois de juin et août ont été les deuxièmes plus chauds depuis le début des mesures en 1864», rappelait récemment MeteoSuisse dans un communiqué. Or c’est bien l’addition de ces deux effets qui malmène nos forêts. «Pendant longtemps, les scientifiques se sont en priorité intéressés au manque d’eau et au processus de déshydratation pour expliquer la mortalité des arbres. Mais ce qu’on constate de plus en plus, c’est que les fortes températures semblent jouer également un rôle prépondérant. Nous nous retrouvons donc un peu pris de court et ce manque de connaissances nous rend pour l’heure incapables de modéliser le problème ou d’en prédire les conséquences», continue Charlotte Grossiord.

L’étude des arbres en milieu urbain permet toutefois certaines projections. Les scientifiques du WSL ont par exemple observé que l’irrigation du sol lors de très grandes chaleurs ne déployait pas d’effets bénéfiques sur les végétaux. «La sécheresse atmosphérique devient si importante qu’elle prend le dessus sur toutes les réponses provenant des racines», détaille la chercheuse. En ville, certains feuillus sont entrés dans une sénescence extrêmement prématurée. Lorsque ce phénomène intervient de manière naturelle, l’arbre peut puiser les nutriments et ressources carbonées stockés dans ses feuilles pour affronter l’hiver. C’est d’ailleurs cette diminution progressive de la chlorophylle qui induit les changements de couleur observés l’automne.

Or, dans les cités, certains spécimens ont vu leurs feuilles brûler et tomber en quelques heures seulement sous l’effet des très fortes chaleurs, ont observé les spécialistes. «Comme nous, les végétaux transpirent pour faire baisser leur température. Mais si la sécheresse est trop importante, cette sudation ne peut avoir lieu, et les feuilles, qui peuvent atteindre les 50 à 60 °C à certains endroits, se décomposent. Les plantes se protègent alors en fermant leurs stomates. Non seulement elles ne prélèvent plus de carbone, mais elles en rejettent dans l’atmosphère pendant la nuit, lorsqu’elles respirent», détaille Charlotte Grossiord.

Certains spécimens fragilisés deviennent alors plus vulnérables aux agents pathogènes. Sur la commune du Val-de-Travers (NE), une plantation d’épicéas déjà mise à mal par un événement climatique en 2021 a ainsi été entièrement décimée par le bostryche cet été (lire l’encadré).

Des arbres plus résistants

Au WSL, de nombreux programmes de recherche travaillent pour assurer l’avenir de nos forêts. À Apples (VD) notamment, un projet de plantations expérimentales sous serre teste depuis l’automne dernier différentes essences plus résistantes destinées à prendre la place, à terme, des indigènes comme le sapin, le hêtre ou l’épicéa, qui risquent de se raréfier, voire de disparaître ces prochaines décennies.

Mais amener de nouvelles espèces pose la question de la biodiversité. Tout l’enjeu réside donc à trouver des remplaçants qui utilisent les mêmes niches écologiques. Et à s’assurer qu’ils résistent vraiment mieux que leurs prédécesseurs. «Planter des arbres semble une solution miracle, mais cela fausse un peu le message. Car les épisodes de sécheresse augmentent fortement les risques de mortalité. Or, il ne faut pas oublier qu’en se décomposant, ces végétaux rejettent d’importantes quantités de carbone qu’ils ont stockées pendant des centaines d’années d’existence. Alors, certes, nous pouvons tenter d’améliorer la tolérance de nos forêts, mais la vraie priorité reste surtout de réduire nos émissions de CO2», conclut Charlotte Grossiord.

Questions à...

Claude-André Montandon, sylviculteur et garde forestier dans le Val-de-Travers (NE)

Comment s’expriment les dégâts sur le terrain?
C’est très variable selon les endroits. Notre commune compte neuf domaines forestiers. Sur huit d’entre eux les dégâts sont limités, mais une plantation de Couvet nous cause de gros soucis. La zone avait subi une très forte grêle en juin 2021 et certains épicéas ont perdu jusqu’à 80% de leurs aiguilles. La sécheresse de cet été ne leur a pas permis de se remettre sur pied, et de nombreux spécimens doivent être abattus parce qu’ils sont attaqués par le bostryche, jusqu’à 50% des arbres dans ce secteur.

Avez-vous dû adapter vos plans d’abattage?
Sur cette zone-là, oui. En ce moment, nous ne faisons que récolter des arbres malades. Cela pose problème, car ces gros volumes prélevés déstructurent la forêt en créant des trouées immenses qui demanderont 80 à 100 ans pour redevenir les futaies d’aujourd’hui.

Quels risques ces événements climatiques font-ils peser sur l’industrie du bois?
Nos forêts ont accusé un déficit hydrique trois ans consécutifs, en 2018, 2019 et 2020. Et cette année nous subissons une sécheresse inédite. Nous savons que l’épicéa ne survivra pas encore des décennies sur le Plateau. Si ces épisodes se répètent, il faudra donc changer la forme de nos peuplements et revoir les proportions entre feuillus et résineux ainsi que le diamètre du bois abattu. Cela impliquera probablement des pertes de production à l’avenir.

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