Interview
«Même les cèdres bleus de l’Atlas souffrent de la sécheresse actuelle»

La nouvelle vague de canicule qui touche la Suisse soulève une fois encore la question de la survie des forêts. Mais qu’en est-il des arbres de nos villes? Le point avec Jonathan Leuba, arboriste à Gollion (VD).

«Même les cèdres bleus de l’Atlas souffrent de la sécheresse actuelle»

Les villes recourent aux arbres pour lutter contre les îlots de chaleur, mais sont-ils eux-mêmes capables d’y résister?
➤ La majorité d’entre eux souffrent. D’autant que le milieu urbain offre des conditions déjà difficiles au départ, puisque ces arbres évoluent dans des fosses de plantation de 2 mètres cubes et un environnement bétonné. En forêt, on trouve non seulement un peu d’humidité, mais aussi un sol beaucoup plus riche qu’en ville, où les végétaux doivent se faufiler entre le bitume et les canalisations.

Certains font-ils preuve d’adaptation face aux changements climatiques?
➤ Un stress met souvent plusieurs années pour montrer ses conséquences. Mais les arbres ont des moyens de défense connus, comme celui, par exemple, d’arrêter leur évapotranspiration pour ne pas avoir à puiser trop d’eau en cas de sécheresse. Ils ont également tendance à faire moins de feuilles et de fruits pour économiser leur énergie.

Quels soins permettent de les soutenir lors de ces grandes chaleurs?
➤ On peut leur apporter des éléments nutritifs, comme du thé de compost, des extraits fermentés de prêle ou d’ortie. Ces ajouts activent la vie microbienne du sol et recréent un climat plus favorable au développement racinaire. Cela leur donne de l’énergie pour refaire de la photosynthèse, de la sève et des sucres. Mais ce dont manquent la plupart des arbres en ville, c’est surtout d’eau.

Recourir à l’arrosage semble paradoxal à l’heure où l’eau se raréfie, non?
➤ C’est une mesure qui doit permettre aux individus déjà présents de survivre. Mais tout l’enjeu de l’arborisation en ville réside dans le bon choix des espèces à planter. Il faut privilégier des essences capables de résister aux épisodes de sécheresse attendus. Les dernières études préconisaient des arbres du sud de la France ou du centre de l’Italie, mais le problème est qu’ils souffrent des coups de gel. Actuellement, on se tourne donc plutôt vers les espèces de la région du Caucase, qui connaît elle aussi d’importantes variations de température.

Mais que faire des arbres déjà plantés et qui ne sont plus adaptés à notre climat?
➤ Beaucoup d’entre eux sont trop grands pour être transplantés. Il faudra donc les gérer au mieux avec les soins évoqués plus haut, sans les mettre toutefois sous perfusion ni que leur entretien ne nécessite trop de ressources. D’autant que certains gros spécimens originaires du centre et du nord de l’Europe ont des besoins en eau importants. Je pense aux hêtres, aux bouleaux, aux peupliers et aux charmes, qui sont très représentés dans les villes romandes. Les coups de stress hydriques qu’ils subissent affaiblissent leurs défenses et favorisent l’apparition de toute une série d’agents pathogènes. Il y a des essences qu’on ne verra plus à l’avenir. Y compris parmi les espèces exotiques. En ce moment, par exemple, beaucoup de cèdres bleus de l’Atlas sèchent. Ce sont des individus présents chez nous depuis une centaine d’années, qui se sont habitués à un climat plus favorable que le leur et qui aujourd’hui rebasculent dans ce que leurs ancêtres ont connu, sans savoir comment se réadapter.

Existe-t-il des techniques nouvelles pour soulager les arbres en difficulté?
➤ De tout temps, l’homme a cherché à soigner l’arbre comme on soigne les humains. Certains praticiens posent du mastic sur des plaies de coupe ou du ciment et de la mousse expansive dans les cavités d’un tronc abîmé, comme un dentiste remplirait une dent vidée. Quelques entreprises proposent d’injecter dans la sève différents nutriments pour favoriser le développement et la croissance de l’individu. Mais, à mon avis, il est trop tôt pour savoir si ces techniques sont vraiment efficaces. De plus, il importe quand même de laisser la nature la plus autonome possible. En revanche, les villes romandes planchent sur la mise en place de fosses de Stockholm. Cette technique préconise, à la plantation, des creusements continus faits de macadam qui laissent mieux passer l’air et l’eau. Cela permet aux racines de coloniser davantage d’espace et d’obtenir plus de nutriments tout en déformant moins le bitume.

On sait que les arbres communiquent entre eux. L’isolement d’un individu en ville le rend-il d’autant plus vulnérable?
➤ Oui. Un spécimen isolé ne bénéficie par exemple pas de la fraîcheur que s’apporte un groupe d’individus dans un milieu naturel. Les arbres sont interconnectés au niveau du système racinaire et des champignons présents dans le sol. Ils s’échangent non seulement des informations sur les ravageurs ou les différents stress rencontrés, mais communiquent également sur ce qui leur arrive. Et surtout, ils s’aident mutuellement en se transmettant de l’eau et des nutriments. Cette communication est encore accentuée quand l’arbre sait que le congénère qui est en train de germer provient de sa propre graine. Il y aurait donc une notion de sentiment et d’empathie proche de ce qu’un être humain ou un animal peut ressentir.

Au fond, il est alors complètement contre nature de les isoler en ville?
➤ C’est un peu comme capturer une orque qui vit dans l’océan avec quinze congénères pour l’emprisonner seule dans une piscine. L’arbre est programmé pour être en groupe depuis des millions d’années. Les graines qui tombent vont germer à son pied pour coloniser l’espace et perpétuer l’essence. Il en va de la survie de son espèce.

Texte(s): Propos recueillis par Aurélie Jaquet 
Photo(s): François Wavre/Lundi13