«Nos essais visent à améliorer les réponses immunitaires des vignes»

Après de premiers résultats encourageants, l'association Vigne&Avenir, qui travaille depuis 2023 à doper la recherche en bio en Suisse, cherche des fonds pour pérenniser la structure. L'équipe de sept viticulteurs vaudois a lancé un financement participatif.
30 septembre 2025 Diane Zinsel
© Matthieu Spohn

Pourquoi avoir fondé l’association Vigne&Avenir?

Gilles Pilloud: Depuis des années, nous échangeons entre viticulteurs bios sur nos pratiques. À chaque fois, on se rendait compte qu’il nous manquait un protocole scientifique qui nous permette d’appuyer nos essais, de leur donner de la crédibilité pour pouvoir les partager et améliorer la vulgarisation. À plusieurs, on a aussi davantage de poids pour entreprendre des demandes de fonds, trouver des partenariats avec des universités, des start-up et autres instituts.

Guy Cousin: Il faut arrêter de prendre chaque problème séparément et envisager la plante dans son ensemble pour améliorer ses réponses immunitaires. Notre groupe est représentatif des différents lieux de productions vaudois, ce qui lui donne un certain poids: nos résultats seront applicables dans diverses situations géopédoclimatiques. Cela a aussi le mérite de mettre un petit coup de pression sur la recherche en bio à l’échelle suisse.

Qu’est-ce que vous entendez par là?

Guy Cousin: En 2023, la Confédération finançait deux institutions de recherches agronomiques: le FiBL, l’Institut de recherche de l’agriculture biologique, à hauteur de 15 millions de francs, et les Agroscopes pour 200 millions. C’est vrai qu’on profite aussi des variétés de vignes plus résistantes développées par les Agroscopes, mais pour le reste, comme elles n’ont pas de parcelles viticoles en bio, on ne peut pas utiliser leurs résultats sur nos domaines. Tout comme leur utilisation des herbicides perturbe les micro-organismes que l’on recherche pour apporter de la résilience.

Gilles Pilloud: On est à un point de bascule où nos professions sont mises à mal par la baisse de la consommation et la concurrence des vins étrangers. Une des portes de sortie serait de pouvoir prouver à la société qu’on produit mieux qu’ailleurs, en étant respectueux de nos sols, de l’air, de l’eau. On sait aussi que cela ne sera pas possible sans des essais préalables et on reproche un peu aux Agroscopes de ne pas chercher dans cette direction.

Depuis le lancement de Vigne&Avenir, quels résultats avez-vous obtenus?

Gilles Pilloud: Une parcelle de chasselas sur le domaine du Château de Crans (VD) a servi de test à un projet visant à étudier l’impact de l’apport de basalte, une roche volcanique jeune et riche en oligo-éléments, sur la santé du sol et de la vigne, ainsi que son effet sur le stockage de carbone dans les sols. Cette recherche, pionnière en la matière, a été menée par un doctorant de la Faculté des géosciences et de l’environnement de l’Université de Lausanne, Xavier Dupla. Les résultats montrent une meilleure résilience des plants au stress hydrique et aux maladies. Nous avons tous adopté l’épandage de roches volcaniques sur nos parcelles.

Guy Cousin: Nous collaborons avec des start-up et des universités dont l’équipe du professeur Jan Roelof Van der Meer, directeur du Département de microbiologie fondamentale de l’UNIL. Son équipe analyse l’effet des micro-organismes sur nos sols. Il s’agit de mesurer la qualité du microbiote de la vigne et des sols viticoles et leur capacité à lutter contre des maladies foliaires, comme le mildiou.

Bio express

Vice-président de l’association Vigne&Avenir, Guy Cousin (à gauche sur l’image) possède un vignoble de 6,5 hectares sur la rive nord du lac de Neuchâtel, à Concise (VD). Après avoir obtenu un CFC de viticulture et son diplôme à l’école supérieure de Changins, il a créé son vignoble en 2005 et est passé en bio en 2018. Depuis 2021, il a changé d’approche et cherche des solutions dans les pays qui nous entourent avant de les tester chez lui.

Gilles Pilloud est le président de l’association Vigne&Avenir. Son domaine de 22 hectares de vignes et de 150 hectares de grandes cultures s’étend à Crans et Féchy (VD). Après un CFC en viticulture en 1999 et un diplôme de l’école spécialisée en viticulture-œnologie à Changins, il a obtenu en 2012 sa maîtrise fédérale de caviste et a repris les rênes du Château de Crans, domaine aujourd’hui en bio.

Quelles premières conclusions avez-vous tirées?

Gilles Pilloud: Nos sols sont en bonne santé, mais il manque encore énormément de protozoaires, de champignons mycorhiziens et de micro-arthropodes qui en amélioreraient la qualité minérale. Et pour ramener ces bons ouvriers, il faut limiter le tassement de la terre. Ainsi, sur mon exploitation, je ne fauche qu’un rang sur deux, et fais pousser différents couverts végétaux. L’an prochain on fera des profils de sols pour voir ce qui fonctionne le mieux. On ne veut pas se perdre avec de fausses convictions.

Tant que la plante n’aura pas tout ce dont elle a besoin, elle sera davantage sujette aux maladies, et il faudra la traiter plus souvent.

Guy Cousin: La vigne est une liane qui vient du monde forestier et qui sait produire elle-même ses anti-inflammatoires, si on lui en donne les moyens. Mais, tant qu’elle n’aura pas tout ce dont elle a besoin, elle sera davantage sujette aux maladies, et donc il faudra la traiter plus souvent, ce qui déséquilibrera encore plus les sols, et ainsi de suite. Nous sommes conscients que rétablir cet équilibre prendra du temps, mais c’est l’unique solution pour être plus sereins face au changement climatique qui arrive. Une fois que la vigne pourra s’autoréguler et se défendre seule face aux ravageurs, le rendement sera aussi beaucoup plus stable, quelle que soit la météo de l’année. Mais on n’y est pas encore!

Est-ce qu’il y a une différence de goût dans le produit fini?

Guy Cousin: Actuellement, je cherche à me passer de cuivre. Je fais des essais sur une parcelle de chasselas en le traitant notamment avec des lactofermentations qui doivent soutenir les sols et la plante. J’ai constaté des petits changements aromatiques dans nos premières barriques sans cuivre. Je trouve cela très excitant de penser que les profils de vin vont probablement évoluer avec une telle transition.

Comment est-ce que vous financez l’association?

Gilles Pilloud: À l’heure actuelle, Vigne&Avenir peut compter sur le soutien de BioVaud. L’association avance grâce au travail non rémunéré de ses membres. Mais, si on veut passer à l’étape supérieure, il nous faut plus de moyens. L’idéal serait d’engager une personne qui chapeauterait les essais sur toutes nos parcelles et aurait une vue d’ensemble des tests en cours et à faire, des résultats obtenus et de leur mise en valeur. Nous avons donc lancé un financement participatif pour soutenir notre démarche. Les montants d’aide varient entre 10 francs et 1000 francs.

Icône Boutique Icône Connexion