Mieux avec moins: un projet pour optimiser l'usage des vermifuges
Dans la pratique, les vermifuges – on parle aussi d’anthelminthiques – sont souvent administrés de manière préventive afin d’atteindre le plus rapidement possible des objectifs d’élevage. C’est le constat de départ que pose l’étude coordonnée par Pamela Staehli, responsable Recherche et vulgarisation en santé animale au sein du FiBL. Le projet visait dès lors à tester des solutions alternatives et naturelles pour le traitement des parasites chez les bovins.
Mené sur quatre ans, il a impliqué quatre cabinets vétérinaires, qui ont été chargés de sélectionner une dizaine d’exploitations agricoles, dont deux bios. Ces dernières sont un peu à part, puisque le cahier des charges biologique leur impose déjà une forme d’interdiction d’utilisation des vermifuges à titre prophylactique. La gestion raisonnée est donc a priori plus ancrée dans leur pratique, ce qui explique leur moindre représentation dans le projet.
Pression économique
«L’enjeu est de proposer une gestion agronomique non médicamenteuse pour conserver l’efficacité de la molécule comme traitement en cas de maladie, et de montrer qu’il est possible d’atteindre les mêmes objectifs d’élevage grâce à une bonne gestion de pâture», explique Pamela Staehli. Les bovins adultes sont en effet dotés d’un potentiel d’immunité qui, une fois établi, leur permet de développer une autoprotection efficace contre les parasites. «Il s’agit de favoriser cette immunité, précise la chercheuse. On sait que c’est faisable, mais ça demande parfois une autre stratégie de pâture et un temps de contact bien géré avec l’herbe.»
La pratique de l’application de vermifuges de manière préventive s’explique par la pression économique: «Le vermifuge est considéré comme un élément qui va aider à atteindre un accroissement de l’animal le plus rapidement possible. Car l’animal qui lutte pour son immunité doit y consacrer de l’énergie et partager la nourriture qu’il ingère avec un parasite. Forcément, à un moment donné, si la charge en parasite est trop élevée, il va prendre moins de poids qu’un animal sain ou déparasité.»
Risque pour la biodiversité
Agriculteur bio à Oulens-sur-Lucens (VD) et membre de BioVaud, Christophe Rey fait partie des dix éleveurs sélectionnés pour l’étude. Il confirme l’ancrage profond de cette pratique dans les mœurs agricoles: «Lors de ma formation, vermifuger les animaux en automne était systématique. On nous disait qu’en tuant tous les parasites, on serait tranquille.» Mal à l’aise avec cette vision, il a toujours considéré que «les antiparasitaires doivent être utilisés pour soigner et non d’office en mode préventif».
Il faut dire que les risques ne sont pas seulement sanitaires, mais aussi environnementaux. Certains antiparasitaires ont un effet délétère sur la faune coprophage, soit l’ensemble des organismes qui se nourrissent d’excréments. Il a été démontré qu’une classe de molécules, les lactones macrocycliques et l’ivermectine en premier lieu, a un impact très fort sur cette faune, explique Pamela Staehli. Or, cette catégorie est la plus utilisée du fait de sa facilité d’application, puisqu’elle peut être administrée directement sur le dos de l’animal.
«Une partie de la molécule est métabolisée dans l’animal, mais une autre reste quasi intacte et ressort telle quelle dans les excréments. Quand les bousiers les mangent, cela les tue, ainsi que toute leur progéniture. La dégradation des bouses prend donc beaucoup plus de temps. Il y a aussi des répercussions secondaires avec le risque que les insectes soient contaminés et transmettent des résidus chimiques aux insectivores, comme les chauves-souris, qui les auront ingérés.»
Indispensable suivi diagnostic
La gestion raisonnée accorde une grande importance au suivi du risque parasitaire, qui relève de la compétence des vétérinaires. Des tests diagnostics sous forme de coproscopies (soit l’examen au microscope des excréments) sont préconisés avant de passer à d’éventuels traitements. Les coproscopies étant relativement coûteuses, l’étude propose de procéder par regroupement: on analyse un échantillon tiré du mélange des excréments de dix bêtes sélectionnées sur la base de leur poids conforme au but d’élevage. L’échantillon moyen est analysé et des analyses individuelles ne sont menées que si le résultat est jugé trop élevé. En revanche, les plus chétives sont tout de suite analysées en individuel. Une prise de sang à la fin de l’automne pour analyser le pepsinogène est vivement conseillée.
Plusieurs solutions naturelles
La gestion des pâturages est l’un des piliers de l’utilisation raisonnée des antiparasitaires. Elle comprend un éventail de pratiques qui passe par un bilan global du domaine en matière de surface, d’espèces, de qualité de fourrage et de durée de contact des animaux avec une parcelle. Sur cette base, différentes actions s’offrent à l’éleveur. Il peut réduire la pression des parasites en ajoutant à leur ration alimentaire du fourrage sec, car il ne contient pas de parasites, ou en procédant à une fauche. Il est aussi encouragé à agir sur la durée durant laquelle il va laisser son troupeau sur une parcelle et à étudier s’il peut faire des parcs plus petits en procédant à des rotations plus fréquentes.
Les antiparasitaires doivent être utilisés pour soigner et non en mode préventif.
Les autres options? Intégrer une espèce supplémentaire dans le troupeau, équidé ou ovin par exemple, qui va «aspirer» les parasites spécifiques aux bovins. Ou faire pâturer les veaux en alternance avec les vaches. Christophe Rey recourt fréquemment à cette pratique: «On fait pâturer deux semaines les veaux, puis on laisse repousser l’herbe avant d’y remettre les vaches qui vont manger les parasites se trouvant dans l’herbe, indique l’agriculteur vaudois.
Comme elles sont immunisées par leur âge, elles ne sont pas affectées et ça permet de casser la chaîne de parasites.» Il est également conseillé de procéder à une analyse de la qualité du sol de l’exploitation, de bien supplémenter en minéraux et protéines et d’agir en fonction de l’humidité et de la température tout en prenant en compte l’altitude, puisque le cycle parasitaire est nettement ralenti à partir de 1500 mètres.
Conclusions encourageantes
Au terme de l’étude, Pamela Staehli nous livre ses conclusions: «Après quatre années, il ressort, sur la base du jeu de données pepsinogène, que l’utilisation d’un vermifuge n’est souvent pas indiquée pour lutter contre les parasites internes des bovins dans les fermes du projet. Elle se justifie principalement pour améliorer l’état général d’un animal affaibli, souvent par la coccidiose, ou atteint de parasites externes, dont les quelques parasites présents pourraient aggraver la situation.»
Quant à l’impact sur la pratique des participants, il dépend en bonne partie de la situation de départ. Si le projet n’a pas provoqué de gros changements pour un éleveur bio comme Christophe Rey, la chercheuse a vu un agriculteur changer totalement de vision en cours de projet. «On lui avait inculqué qu’il serait très difficile de faire sans ou avec moins de vermifuges, tellement le système est imprégné de l’idée qu’ils sont nécessaires au développement de l’animal.» Quant aux vétérinaires, la chercheuse juge leurs retours plutôt encourageants: «Ils ont déjà changé de perspective, allant davantage vers une gestion de la situation ainsi que la vente d’analyses de laboratoire et de conseil en fonction des résultats», se réjouit-elle.
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