Décryptage
Les champignons mycorhiziens font rêver chercheurs et industriels

Invisibles et souterrains, ces symbiotes aident les plantes à prélever l’eau et le phosphore dont elles ont besoin. Avec pour effet essentiel une augmentation de croissance non négligeable.

Les champignons mycorhiziens font rêver chercheurs et industriels

Stimuler la croissance de ses parcelles sans engrais de synthèse, ni même fumier ou compost, grâce à l’action de champignons vivant en symbiose avec les plantes cultivées, «aidant» ces dernières à s’alimenter en eau et en nutriments: l’idée est séduisante. Mais si cette alliance naturelle offre effectivement des perspectives intéressantes, on est (encore) loin du miracle. Certes, les champignons mycorhiziens sont quasiment présents partout et nouent leur idylle souterraine avec 80% de toutes les plantes, y compris celles cultivées. «Seuls quelques genres comme les brassicacées (choux) et les chénopodiacées (betteraves, carottes, entre autres) font exception. Les sols trop riches en phosphore ne leur sont guère favorables», explique Daniel Wipf, chercheur et enseignant à l’Université de Dijon (F).

Alliance intéressée
Les bases de ce mariage symbiotique sont plutôt bien comprises: les plantes sécrètent des substances attirant les champignons mycorhiziens, qui vont se développer autour de leurs racines. Elles vont alors être en mesure, grâce à la photosynthèse, de fournir à ces derniers le carbone dont ils ont besoin, en «sacrifiant» jusqu’à 20% de leur production; en contrepartie, elles
profitent d’une multiplication spectaculaire de la surface de sol explorée par leurs racines (de 40 à 1000 fois!) et augmentent d’autant leur capacité à en tirer eau et nutriments, en particulier du phosphore. «Ces interactions trophiques forment la base de l’échange, mais la plante mycorhizée en retire d’autres avantages annexes, ajoute Daniel Wipf. Elle développe des éléments de défense utiles contre les agresseurs, selon un mécanisme similaire à celui d’un vaccin; elle peut s’adapter à des terres polluées et contribuer ainsi à la fixation des polluants; et, dernier effet positif, elle émet des globulines, des protéines contribuant à la stabilisation et à l’agglomération des sols.»

Évidemment, c’est la capacité à augmenter la croissance végétale qui fait le plus rêver. À Reckenholz (ZH), le Néerlandais Marcel van der Heijden dirige le groupe de recherche d’Agroscope sur les interactions sols-plantes; comme son collègue français, il fait autorité en la matière. «Nos expériences de mycorhizes naturelles de souches suisses sur du maïs ont montré dans un quart des cas une différence de croissance de 15% à 40%», relève-t-il. «Des projets similaires menés sur de la patate douce attestent d’une production de biomasse augmentée de 17,44%, avec 14% de sucres et 23% de carotène en plus, ajoute Daniel Wipf. On a également vu que certaines souches mycorhiziennes favorisent considérablement la production d’huiles essentielles sur du basilic, permettent d’obtenir des pommes de terre de calibre davantage homogène ou des oignons plus riches en composés soufrés.»

Privilégier les souches présentes
Paradoxalement, les inoculats du commerce n’ont pour l’heure guère montré de résultats aussi probants: des recherches récentes menées par des chercheurs suisses ont montré que si certains «fonctionnent» très bien, plus de 50 % des produits commerciaux ne contiennent pas de propagules mycorhiziennes viables, relève Marcel van der Heijden. «Six préparations sur les huit que nous avons testées étaient sans effet réel, appuie son confrère. Sur le marché, on ne trouve que très peu de souches différentes. Or, la symbiose dépend évidemment de la spécificité de celles-ci et des plantes cultivées associées. Une solution globale, unique, n’est pas envisageable.» Autre difficulté: l’inoculation doit se faire directement sous la racine, sans quoi le champignon, après une ou deux tentatives, renonce pour ainsi dire à s’apparier à celle-ci et finit par s’éteindre.

«On a donc meilleur temps de favoriser en amont la présence naturelle des champignons mycorhiziens dans les sols, poursuit Daniel Wipf. En soignant les rotations de cultures et en pratiquant des couverts aussi variés que possible, synonymes de diversité des souches, en limitant le labour et les apports d’engrais, voire les fongicides ou le cuivre, qui ont peut-être pour effet d’affaiblir les mycorhizes.» L’utilisation de ce genre de biostimulants pour une production végétale durable n’en suscite pas moins beaucoup d’intérêt, et de plus en plus d’agriculteurs voient dans les champignons mycorhiziens un moyen d’améliorer la santé des plantes et du sol. «La production d’inoculats coûte très cher, mais des préparations efficaces pourraient être mises à disposition relativement rapidement, pense Daniel Wipf. D’abord pour le maraîchage, l’horticulture ou l’arboriculture, la viticulture venant immédiatement après. Les grandes cultures seront les dernières à être servies, en raison des frais de développement.» Pour une application à grande échelle dans l’agriculture, des recherches supplémentaires sont nécessaires, estime pour sa part Marcel Van der Heijden.

Texte(s): Blaise Guignard
Photo(s): DR

Questions à

Raphaël Charles, chercheur au FiBL, l’institut de recherche de l’agriculture biologique

Les mycorhizes, est-ce tendance?
Oui, auprès des producteurs de fertilisants et des agriculteurs intéressés par leur sol, notamment des praticiens en bio sans bétail cherchant à stimuler le fonctionnement vivant du sol. Dans les cultures spéciales, telles que maraîchères, avec des sols davantage stressés, on y voit un certain potentiel. Mais l’efficacité des inoculations reste difficile à démontrer.

Pour quelle raison?
Les interactions sols-plantes sont complexes à décrypter. En gros, amener du vivant sur des sols bien habités risque de rester sans effet… Or, les professionnels qui se tournent vers les mycorhizes sont déjà engagés dans des démarches visant à la résilience de leur terre.

Comment améliorer l’efficience de ces démarches?
Le FiBL teste beaucoup de préparations biofertilisantes en conditions contrôlées. Sur les essais menés par des agriculteurs eux-mêmes, il faudrait systématiquement laisser un témoin ou n’inoculer qu’une seule bande sur une parcelle. Pour attester d’un effet vraiment univoque, on doit être rigoureux et rester critique.