Décryptage
Le salut du franches-montagnes se trouve aussi hors de nos frontières

Si les éleveurs suisses vont célébrer cette race en fin de semaine, lors du traditionnel Marché-Concours de Saignelégier (JU), ils ne sont plus les seuls à l’élever. À terme, les meilleurs sujets pourraient partir à l’étranger.

Le salut du franches-montagnes se trouve aussi hors de nos frontières

Si l’élevage de franches-montagnes a longtemps été associé aux pâturages jurassiens, le berceau de la race n’a plus le monopole en la matière. Belgique, France, Hollande et même États-Unis: l’équidé a d’abord séduit des amateurs toujours plus nombreux, avant que certains d’entre eux commencent à se lancer dans la reproduction. Avec un succès croissant.
Le meilleur étalon 2023 de la sélection annuelle, bien que présenté par un Suisse habitué de l’événement, Pierre Koller, avait été réservé à l’âge de six mois par un Belge. Qui s’est empressé de rapatrier le champion dans son pays, une fois approuvé à 3ans. «Nexus a déjà sailli cette année une quinzaine de juments ici, se réjouit Dominique Frenoy, son heureux acquéreur. Avoir pu acheter le vainqueur est incroyable, cela n’arrive qu’une fois dans une vie. C’est le premier étalon stationné en Belgique à être autant au top du top.»

Avec près d’une centaine de naissances par année et de multiples importations, la Belgique connaît une augmentation fulgurante du nombre de franches-montagnes. «Ils suscitent un intérêt incroyable ces dernières années, s’enthousiasme Dominique Frenoy, basé dans les Ardennes, une terre d’élevage. En attelage, mais également en saut d’obstacles amateur, on en voit de plus en plus.» Quelque 90% des sujets présents dans le Plat Pays étaient jusqu’à il y a peu importés de Suisse; le président de l’association belge du franches-montagnes en a d’ailleurs fait venir plus de 1000 en vingt ans. Mais depuis deux ou trois ans, l’élevage indigène belge permet d’en proposer davantage sur le marché, évitant ainsi de coûteux frais d’importation.

Veiller à la qualité
Pour qu’un poulain soit considéré comme franches-montagnes, il faut que ses deux parents soient inscrits au Stud-book de la race. Les juments d’élevage doivent réussir le test en terrain, un examen qui a lieu à l’âge de 3 ans et qui évalue les aptitudes de l’animal à l’attelage et sous la selle. «On ne peut qu’être content du développement de l’élevage en Belgique, se réjouit Pauline Queloz, gérante de la Fédération suisse du franches-montagnes (FSFM). Les producteurs travaillent très bien, dans la même ligne que ce qui se fait dans notre pays. Le seul risque est qu’à terme, l’élevage devienne meilleur en Belgique qu’ici, et que des Suisses doivent racheter des sujets là-bas.»

Dominique Frenoy a d’ailleurs déjà fait naître un poulain qu’il a vendu à un juge helvétique, séduit par son modèle. «Pouvoir développer l’élevage à l’étranger contribue à la notoriété de la race et offre une belle vitrine qui profite également aux éleveurs suisses, estime-t-il. Le particulier s’intéresse d’abord aux chevaux autour de chez lui, avant de regarder plus loin. La Suisse est petite: pour produire suffisamment de poulains qui contribuent au maintien de la race, elle est obligée au moins d’exporter certains sujets.»

Une race en danger
Certains puristes craignent toutefois une perte de contrôle de la qualité des équidés. Il est en effet difficile pour la fédération suisse de garder un œil sur ce qu’il se fait hors de nos frontières. Le nombre total de naissances de franches-montagnes à l’étranger n’est ainsi pas connu, seules les bêtes présentées lors de concours en France et en Belgique – et uniquement dans ces deux pays – le sont. «L’objectif de la fédération belge est de produire un cheval sûr, qui soit sélectionné selon les mêmes critères en vigueur qu’en Suisse, insiste Dominique Frenoy. D’ailleurs, lors des concours d’élevage, un juge helvétique est toujours présent.»

La gérance, à Avenches (VD), confirme qu’en France et en Belgique, les règles sont suivies à la lettre et que le risque que se développent des lignées ne correspondant pas au but d’élevage s’avère faible. La situation est néanmoins tout autre en Allemagne, où certains adoptent leurs propres règles de sélection. Des étalons non approuvés pour la reproduction en Suisse y sont utilisés afin de donner naissance à des franches-montagnes sans papiers. «C’est dommage, déplore Pauline Queloz. Mais ces chevaux de moindre qualité ne représentent pas une grande menace pour la race. Hormis cette exception, nous sommes très fiers que notre cheval intéresse des amateurs jusqu’aux États-Unis. L’un des buts de la FSFM est d’ailleurs de permettre à la race de prendre de l’ampleur et d’être promue aux quatre coins de la planète. Pour rappel, celle-ci est en danger, son développement à l’étranger s’avère donc indispensable pour contribuer à sa survie.»

Texte(s): Véronique Curchod
Photo(s): Adobe Stock

En chiffres

  • 241 étalons franches-montagnes approuvés disponibles pour la saillie, dont 169 en monte naturelle, le reste en insémination artificielle.
  • 31 d’entre eux, soit près de 13%, se trouvent à l’étranger: 14 en Belgique, 14 en France, 2 aux Pays-Bas, 1 en Autriche. Il n’y a actuellement plus d’étalons approuvés en Allemagne.
  • 1 seul lieu d’approbation définitive pour les étalons franches-montagnes: le Haras national suisse d’Avenches (VD), lors du test en station.
  • Environ 1800 naissances en 2022.

Dans la patrie du quarter horse

L’intérêt pour le franches-montagnes et son élevage ne se limitent pas à l’Europe. En Virginie, aux États-Unis, Nina C. McKee et son frère ont fait venir six équidés de notre pays. Neuf poulains sont déjà nés au Piedmont Freibergers, le plus âgé ayant 4 ans. «Nous n’avons pas d’étalons, mais importons de la semence du Haras national suisse, explique l’Américaine. Nous enregistrons ensuite nos chevaux en Suisse. Notre rêve serait de mettre sur pied une association d’élevage américaine affiliée à la Fédération suisse du franches-montagnes. À l’exception d’une autre jument, que nous avons vendue, nous pensons être les seuls détenteurs de cette race en Amérique du Nord.»

Nina C. McKee possède des équidés depuis plus de cinquante ans, mais n’avait jamais entendu parler du franches-montagnes… jusqu’à un coup de cœur lors d’un voyage en terre helvétique. «Je pense qu’il est parfait: beau, facile à détenir, polyvalent et d’un excellent tempérament. Si les quarter horses et les morgans, qui sont très répandus chez nous, ont des similitudes avec les franches-montagnes, je suis convaincue que ces derniers sont supérieurs à n’importe quel cheval ici aux États-Unis. Et ceci avant tout parce que les éleveurs helvétiques sont beaucoup plus attentifs à conserver les bonnes qualités de leur race.»