Reportage
Le refuge où les poissons abandonnés coulent des jours heureux

À Sursee (LU), un sanctuaire aquatique unique en Suisse recueille les spécimens dont les propriétaires ne veulent plus. Fondé en 2017, ce lieu permet de sauver chaque année plus de 30'000 sujets.

Le refuge où les poissons abandonnés coulent des jours heureux

En 2022, la ville de Sursee comptait 10561 habitants. Et près du triple de poissons exotiques. Rien d’étonnant, puisque cette localité située à une vingtaine de minutes de Lucerne héberge l’unique refuge du genre en Suisse. Fondé en 2017 par Elias Müller, AquaLuz a recueilli l’année dernière près de 30‘000 spécimens confiés par des particuliers. «La plupart du temps, les gens doivent s’en séparer parce qu’ils déménagent, mais parfois aussi parce qu’ils sont dépassés ou qu’ils ne veulent simplement plus de leur aquarium chez eux», explique Elias Müller. Ce Lucernois de 26 ans, enseignant de profession, consacre tout son temps libre à ce projet, secondé par son frère et une équipe d’une dizaine de bénévoles.

À l’adolescence, les deux frères s’amusent à élever quelques poissons pour gagner de l’argent de poche. Ils se prennent vite de passion pour cette nouvelle activité, mais découvrent également le sort réservé à beaucoup de ces animaux, souvent détenus dans des conditions inadaptées à leurs besoins (lire l’encadré). «Nous avons surtout appris que nombre d’entre eux étaient abandonnés dans les lacs et rivières ou, pire encore, finissaient leur vie dans les toilettes», indique Elias Müller.

En 2016, la responsable du seul refuge de poissons à l’époque, basé alors à Zurich, doit cesser ses activités pour des raisons de santé. Les deux frères récupèrent ses pensionnaires, suivent une formation et obtiennent une autorisation de l’Office fédéral des affaires vétérinaires pour ouvrir leur sanctuaire. AquaLuz était né. Très vite, ils reçoivent de nombreuses demandes pour accueillir des rescapés. Leurs anciens locaux étant devenus trop petits, ils s’installent en 2019 dans la zone industrielle de Sursee, sur une surface de 400 m2 qui accueille aujourd’hui plus de 150 aquariums. Entièrement consacré au sauvetage d’animaux, AquaLuz ne fait aucune reproduction. «Une grande partie du travail consiste à vérifier les pontes dans chaque bassin pour y retirer les œufs, car nous ne voulons surtout pas de naissances supplémentaires», précise Elias Müller.

Une demande pour un requin
Le refuge gère 110 espèces d’eau douce différentes originaires du monde entier. Les plus représentées sont les ancistrus, surnommés «poissons- nettoyeurs», les guppy et les cichlidés, très prisés des particuliers pour leurs couleurs spectaculaires. Toutefois, AquaLuz se heurte parfois à des requêtes plus inattendues. «Il y a quelques années, une femme voulait nous confier son requin. Elle l’avait acheté sur internet et souhaitait s’en débarrasser, car elle déménageait. Nous n’avons pas pu accepter, n’ayant pas de bassin d’eau salée; il a cependant pu être placé dans une structure adaptée», raconte Elias Müller, qui rappelle que la législation interdit, pour les particuliers, la détention de ces spécimens en Suisse.

Récemment, AquaLuz a aussi reçu une demande pour récupérer une dizaine d’individus dont le propriétaire ignorait l’espèce. «C’étaient des piranhas, des carnivores très voraces originaires d’Amérique du Sud», note Elias Müller, qui pointe du doigt l’important trafic en ligne dont sont victimes les animaux aquatiques. «Aujourd’hui, il est possible d’acheter n’importe quoi en deux clics. Certes, la Suisse n’autorise pas la livraison de poissons vivants, mais les amateurs contournent la loi en les faisant entrer sur le territoire depuis les pays voisins. C’est dramatique, car près de 80% d’entre eux meurent durant ces voyages en provenance essentiellement de Pologne, de République tchèque, de Slovaquie et d’Asie, qui alimentent le marché mondial.»

Pas des objets de décoration
Pour Elias Müller, le manque de connaissances du public engendre des souffrances chez de nombreux sujets. Il montre cette femelle gourami géant, arrivée il y a six mois du canton de Neuchâtel. «Vous voyez cette bosse sur son dos? Elle est due à l’étroitesse de son ancien aquarium dans lequel elle vivait depuis quarante ans», affirme-t-il. Le Lucernois pointe encore ces quatre poissons rouges au ventre proéminent. «Leur ancien propriétaire les nourrissait au pain sec, mais leur estomac n’est pas capable de le digérer… Chaque espèce a des besoins spécifiques. Ces animaux silencieux sont trop souvent mal considérés et pris pour des objets décoratifs, c’est triste», déplore le Lucernois.

En plus de sa mission de sauvetage, AquaLuz effectue donc un travail d’information auprès des personnes qui viennent acheter des poissons au sanctuaire. «Nous plaçons environ 10′000 individus par année. Cela nous permet d’abord de libérer de l’espace dans nos bassins pour accueillir de nouveaux pensionnaires, mais aussi de faire entrer un peu d’argent pour payer les charges du refuge.» AquaLuz ne bénéficie, en effet, que des subventions du Swiss Animal Rescue, de quelques dons et de l’engagement sans faille de l’équipe de bénévoles et d’Elias Müller. Ce qui le fascine chez ces animaux? «Leur incroyable capacité d’adaptation. Je l’observe tous les jours en voyant arriver certains rescapés. Ce sont des êtres bien plus intelligents qu’on ne le pense.»

+ d’infos www.aqualuz.ch

Texte(s): Aurélie Jaquet
Photo(s): Pierre-Yves Massot

Des aquariums souvent trop petits

«Avec plus de 3 millions de spécimens accueillis dans les ménages, les poissons d’aquarium sont parmi les animaux de compagnie les plus populaires en Suisse», indique l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV). Pourtant, beaucoup d’entre eux sont détenus dans de mauvaises conditions et meurent après quelques mois, alors que de meilleures connaissances sur leurs besoins permettraient à certains sujets de dépasser les dix ans. En collaboration avec plusieurs associations, dont la Protection suisse des animaux (PSA), l’OSAV souhaite informer le public sur quelques règles de base. Figurent parmi les erreurs les plus fréquentes des aquariums trop petits (il faut notamment anticiper la taille adulte des individus), une nourriture mal adaptée ou trop abondante, qui dégrade la qualité de l’eau, et un environnement malsain – il est indispensable d’installer un système de filtration et de veiller à ce que l’eau soit régulièrement changée, mais pas entièrement, afin d’éviter l’élimination d’un nombre trop élevé de bactéries. L’Office fédéral rappelle encore que l’achat de poissons doit être mûrement réfléchi et conseille de se limiter à deux ou trois espèces lorsqu’on débute, en prenant garde à ce que toutes nécessitent la même alimentation et une qualité d’eau identique. La brochure Poissons d’aquarium – aquariums adaptés, aménagement correct et choix approprié des espèces, rédigée par l’OSAV et la PSA, est disponible en ligne gratuitement.

+ d’infos www.protection-animaux.com/publications/animaux_de_compagnie