Un projet pour tester des stratégies de lutte contre les rumex et les chardons
Dans les champs de Stéphane Deytard, à Suchy (VD), c’est l’heure de la recherche de rumex et de chardons, ces adventices tant redoutées. Difficile d’en trouver en cette saison. Cette situation plutôt réjouissante s’explique surtout par le travail de fond que mène l’agriculteur pour réduire la présence de ces plantes.
Ce labeur, il l’effectue dans le cadre deChardRum, un projet mené par le FiBL en partenariat avec BioVaud et soutenu par le Canton de Vaud. Le but: rassembler des informations, des expériences, des connaissances empiriques, et de les mettre en parallèle aux connaissances scientifiques pour établir des liens, note Raphaël Charles, le responsable du projet. «Dans un deuxième temps, nous allons développer des outils d’accompagnement et de gestion à travers des fiches techniques qui aident autant les travaux de prévention que la lutte ciblée et efficace», complète le chercheur.
Arrachages insuffisants
En conventionnel, les herbicides permettent de modérer la présence des adventices, pas de les faire disparaître. En bio, la lutte est le plus souvent mécanique, mais ça ne suffit pas sans des mesures préventives. «Il y a des périodes où il faut sortir les racines à la main, ajoute le chercheur. À la clé, beaucoup de travail et un important stress psychologique.»
On va chercher à vivre avec ces adventices plutôt que de les combattre.
Stéphane Deytard en a fait l’expérience. Malgré un travail intensif du sol avec une charrue déchaumeuse et des heures d’arrachage manuel, il n’a vu aucune réelle amélioration, au contraire. «À un moment, c’est devenu un vrai stress avec le sentiment d’être submergé et pointé du doigt», témoigne l’agriculteur. C’est ce qui l’a motivé à chercher des solutions ailleurs. Il en a trouvé dans l’agriculture régénérative, une approche qui propose un ensemble de pratiques – maintien d’une couverture végétale permanente, réduction du travail du sol, maintien de racines vivantes dans le sol pour le nourrir et stocker du carbone, etc. – qui ont déjà en partie amélioré la situation. «Avec son approche, Stéphane Deytard challenge nos connaissances, ce qui est très enrichissant pour améliorer les moyens de gestion», se réjouit Raphaël Charles.
La lutte contre le chardon et le rumex est un problème systémique. «Plutôt que de chercher à les combattre, à traiter les symptômes, on va apprendre à vivre avec, en essayant de traiter les causes, relève Raphaël Charles. Car le chardon et le rumex sont l’expression d’un problème plus profond et on doit se demander ce qu’ils veulent nous dire. On peut donc parler de plantes indicatrices et l’action principale devrait pouvoir s’inscrire dans la prévention.» Sur cette base, ChardRum propose des stratégies préventives et des mesures de lutte ciblées et économiques.
Stratégies préventives
Le travail du sol est crucial. «On doit le faire dans de bonnes conditions, pour éviter de le tasser, car le chardon a un avantage concurrentiel sur les autres plantes grâce au pouvoir de pénétration de ses racines», détaille le chercheur. Il est aussi essentiel d’éviter les sols nus. Cela passe par le semis d’une prairie, en particulier de la luzerne, dont le système racinaire et la repousse rapide ont la capacité de concurrencer ces mauvaises herbes en profondeur. «On recommande de mettre des luzernes pendant trois ans. Au terme de cette période, la plante invasive n’a pas totalement disparu, mais elle s’est calmée.»
Dans la lutte contre les fleurs de chardons, l’écimage est préférable aux arrachages qui, en plus d’être pénibles, n’ont souvent aucun effet, car trop tardifs. Pour être efficace, l’arrachage des plantes et racines de chardons doit être répété plusieurs fois, se faire au bon stade (à une hauteur de 10 cm environ) et avant la reconstitution de réserves. L’arrachage des racines de rumex doit quant à lui se faire à une profondeur minimale de 12 cm pour éliminer la partie bourgeonnante. À terme, si les causes du problème sont bien traitées, il ne devrait plus être nécessaire de procéder à des arrachages, ou alors de manière très limitée. «C’est l’objectif que je me suis fixé, mais il suppose que les sols aient pu se régénérer, ce qui peut prendre du temps», relève Stéphane Deytard.
Grâce au GPS
ChardRum entend aussi aider les agriculteurs à cartographier les ronds de chardons à l’aide de GPS et bientôt de drones. La cartographie rend la lutte plus ciblée et efficace. Il est en effet difficile de repérer des chardons dans des grandes parcelles, des champs de maïs ou des couverts végétaux, indique Raphaël Charles. Grâce à la dernière génération de GPS, on peut aller directement dans les ronds où se trouvent les plantes pour les surveiller ou les éliminer.
Et la suite du projet? Le travail de compilation des connaissances technoscientifiques et des savoirs pratiques va se poursuivre et débouchera, en 2026, sur la mise à disposition de fiches techniques, avant que la vulgarisation agricole ne prenne le relais pour un accompagnement plus individualisé, conclut le scientifique.
Fort pouvoir de régénération
Les conditions dans lesquelles prolifèrent ces deux adventices sont bien connues: sols nus, terrains tassés, ayant reçu des excédents d’engrais organiques mal décomposés ou de fertilisant, etc. Un seul pied de rumex peut produire plusieurs dizaines de milliers de graines par an, qui peuvent rester viables dans le sol pendant cent ans. Enlever la plante ne suffit pas, il faut aussi éliminer la racine qui a un fort pouvoir de régénération. Quant aux chardons, ils se diffusent par les graines contenues dans les fleurs et par leur système racinaire. «Un rond de chardon a des racines qui sont principalement en dessous du seuil travaillé, dès 30 cm et jusqu’à 2 m. Ce n’est pas exagéré de parler d’un organisme souterrain», détaille Raphaël Charles.
