Où en est la paysannerie sur le front de l’égalité des sexes?
Elles sont 3472 femmes à diriger une exploitation agricole en Suisse. Soit en proportion un maigre 7,2% du total, selon le rapport agricole 2023 de la Confédération. La paysannerie demeure ainsi largement une affaire de mecs, même si les choses évoluent progressivement. À ce petit pourcentage, il faut en effet ajouter les 30% de cas où des femmes occupent le rôle de coexploitante.
«En 2012, on était à 5%, relève Anne Challandes, présidente de l’Union suisse des paysannes et des femmes rurales (USPF). La part des exploitantes est plutôt élevée dans la tranche des moins de 35 ans, atteignant 26%. J’y vois le signe très positif d’une amélioration qui va se poursuivre dans les années à venir. Le fait que les femmes soient aujourd’hui également plus nombreuses dans les filières de formation le confirme.»
Ce que disent les statistiques
En affinant l’analyse de ces statistiques, on remarque d’autres disparités. «Il y a encore une surreprésentation des femmes à la tête de petites structures, poursuit Anne Challandes. Cela peut indiquer qu’elles sont davantage disposées à reprendre de petites fermes ou que celles-ci leur sont plus volontiers «laissées». Mais ce qui est significatif, c’est que la proportion de femmes à la tête de plus grandes exploitations augmente.»
Le modèle de l’homme à l’étable et de la femme au bureau demeure très ancré: 53% d’entre elles exercent une activité lucrative hors de l’agriculture. «Que ce soit pour des raisons personnelles, parce qu’une personne ne veut pas se couper de sa formation initiale, ou pour des raisons économiques: cela permet d’assurer un revenu propre et, surtout, une couverture sociale, analyse la présidente de l’USFP. Mais en marge de cet emploi, les femmes doivent également œuvrer dans l’exploitation.»
Travail mieux visibilisé
Pour Anne Challandes, la reconnaissance de cette implication a augmenté ces dernières années. «Ce travail a très longtemps été invisibilisé. Or, dans un système où l’agriculture familiale est prépondérante, les femmes contribuent pour une large part, que ce soit en effectuant différents travaux ou en assurant des tâches de bureau.»
Preuve toutefois qu’il reste du chemin à faire, selon un sondage réalisé par Agridea auprès de 772 paysannes, seuls 55% d’entre elles disent être rémunérées pour ce labeur. «Là encore, il y a une évolution, puisqu’en 2012, elles n’étaient que 31%. Mais qu’en est-il des 45% restants? Si l’on enlève les 12% qui répondent ne pas savoir si elles sont rémunérées, ne répondent pas ou cochent la case «autre», il reste 33% qui ne le sont clairement pas.»
Le cas du divorce
Cette absence de rémunération contribue à entretenir les inégalités. «Prenez le cas d’un divorce: non seulement le mari est le plus souvent le propriétaire de la ferme, mais lorsqu’il s’agit de déterminer les apports de chacun, celui de l’épouse peut s’avérer très difficile à déterminer. Il arrive aussi fréquemment que la femme renonce à tout ou une partie de son dû pour ne pas mettre en péril l’exploitation. Je conseille donc de toujours discuter soigneusement des apports de chacun et de conserver les documents», explique Anne Challandes.
Certaines inégalités échappent aux statistiques. Une Lucernoise citée dans le rapport d’Agridea raconte une mésaventure qui en dit long: «Des personnes sont venues chez nous à la ferme et, à table, c’était comme si je n’existais pas: ils parlaient des vaches avec mon mari. J’aurais tout aussi bien pu être invisible. Ils lui posaient des questions et c’est moi qui répondais.»
Le tableau n’est pourtant pas totalement noir. Le rapport cite «l’importance croissante de l’activité professionnelle exercée hors de l’exploitation, la mécanisation et la baisse du nombre d’employés dans l’entreprise agricole» comme des facteurs qui ont contribué à réorganiser les tâches au sein des exploitations au profit des femmes.
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