Le jeune vigneron cherche à maîtriser la vinification nature de ses terroirs
En ce matin grisâtre, le charme de la brume opère à merveille sur le vignoble du Chambet, à Gy (GE). Un joli tableau, rapidement agrémenté d’une touche de bonne humeur à l’arrivée d’Anthony Fonjallaz, qui gère le domaine avec son petit frère Benoît. Ils font partie de la quatrième génération à cultiver ces terres, en mains familiales depuis 1921.
Leur père Gérald, à la tête de l’exploitation avant eux, s’occupe maintenant des céréales. Benoît s’est lancé dans la culture de la pomme avec une cidrerie artisanale et Anthony, quant à lui, se charge de la partie viticulture et œnologie. Ce dernier, né en 1991, avait 21 ans quand il a manifesté sa volonté de rejoindre le domaine. Après quelques années de formation, dont un CFC, il est passé de l’horlogerie à l’agriculture et a intégré l’équipe en 2017, prenant soin des vignes dès 2021.
Faire son vin, sinon rien
Avant de commencer la visite, le photographe s’inquiète en songeant aux clichés: où pourrions-nous poser? «Si vous voulez, on peut réaliser des images pendant que je fais la “compta”, c’est mon activité du moment, plaisante Anthony Fonjallaz, admettant qu’il s’agit d’une partie de son travail. Je pense que la masse administrative est plus grande qu’à l’époque de mon père. Nous produisons aussi davantage de bouteilles, ce qui signifie plus de téléphones, d’emails, de facturation…»
En effet, l’une des premières envies du jeune homme a été de vinifier la totalité des récoltes du domaine, quand seule une partie l’était auparavant, le reste des fruits étant vendu. «Si je cultive la vigne, c’est pour faire du vin.» Une simple phrase qui en dit long. «Et la coopérative ayant fixé à 95 centimes le kilo, c’était soit nous arrêtions, soit nous encavions tout», poursuit-il. Ce tournant l’a amené à réorganiser quelque peu la structure, en agrandissant notamment l’équipe, avec sa collègue Gabrielle à la cave, ainsi que deux autres personnes, Thierry et Anaïs, à la vigne.
En chiffres
42 hectares, dont 23 de grandes cultures, 10 de vignes et 3 de fruitiers, tous labellisés Bio Suisse Bourgeon.
2 frères associés à la tête du domaine.
6 employés permanents.
1 cidrerie artisanale.
Respecter le cahier des charges
L’une des autres grandes décisions qu’il a prises a été de respecter au mieux le cahier des charges de l’Association suisse vin nature. L’approche se concrétise à la cave, où Anthony et Gabrielle observent les levures indigènes du vignoble fermenter le raisin sans additifs. «Lorsqu’il fait chaud et que la vigne puise l’eau dans le raisin, celui-ci se flétrit et l’équilibre entre la peau et le jus change.
En nature, nous ne corrigeons pas cet équilibre par des collages et le millésime est davantage imprégné», explique le Genevois, dont la façon de procéder définit différemment ce qu’est un cru plaisant. «J’aime sentir les particularités et me dire: ça me rappelle 2017, quand il y a eu beaucoup de pluie. Sans quoi il ne reste plus que “du bon vin”. C’est peut-être un peu romantique, mais quand j’en bois, je veux goûter une région, une histoire, la typicité d’un terroir.»
Accepter les erreurs et avancer
Vinifier de cette manière apporte son lot de défis. Selon le vigneron, il s’agit de retrouver un savoir-faire oublié: celui de cultiver la vigne à la recherche du bon équilibre entre acidité, tanins et sucre, pour un vin stable. Ce cheminement, Anthony l’a courageusement amorcé dans cette exploitation à succès qui n’était plus habituée aux échecs. «C’est peut-être ce qui a été le plus dur pour mon entourage, estime-t-il. En passant du meilleur vin suisse en 2021 à quelque chose de plus expérimental, il y a forcément des petits couacs. C’est toute une façon de vinifier qui doit être réapprise, et le rôle de ma génération est de l’expérimenter. J’espère que les trente millésimes qui nous restent pour l’explorer apporteront une base aux générations suivantes.»
À l’aube de ses 33 ans, Anthony Fonjallaz réfléchit aussi à son métier et son avenir. S’il a beaucoup innové dans sa cave, il admire celles et ceux qui tentent différentes approches dans le vignoble, en essayant par exemple des cépages hybrides. Il cite notamment Raphaël Piuz, qui s’est fixé pour objectif d’en tester cent. «Comme j’aime le dire, à la cave, un essai dure une année. Quand on innove dans la vigne, c’est celui de toute une vie.» Lui s’est timidement lancé avec une parcelle de sauvignon gris, sa priorité restant d’atteindre une maturité solide dans son expérience des vins nature. Et il espère y parvenir rapidement, afin de pouvoir investir la même énergie à un dessein plus grand: repenser ses méthodes de culture.
Les plus grands défis restent à venir
Si le passage aux vins nature a paru comme une évidence pour Anthony Fonjallaz, cette étape, certes importante, se veut surtout le reflet des valeurs et de la vision du vigneron genevois, mais ne répond pas aux véritables enjeux de demain. Ceux qui l’inquiètent quand il pense à l’avenir. Crise de l’eau, de la biodiversité, état des sols, diminution du nombre de paysans… «Afin de prendre ces problématiques à bras-le-corps, la réflexion dépasse le mode de production. Le tout n’est pas de cultiver bio ou nature, on s’en fiche. Il va maintenant falloir parler de couverts végétaux, de plantation d’arbres dans les vignes et de création d’écosystèmes diversifiés dans nos cultures.»
+ d’infos
www.chambet.ch
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