L'avenir de la Suisse agricole sera technologique

Quel rôle la Suisse peut-elle jouer sur la scène des agritech? Réputée pour sa capacité d’innovation, la créativité de ses start-up et son savoir-faire en matière de haute technologie, elle ambitionne de se faire sa place parmi les nations qui comptent dans le domaine de la technique agricole. Il faut dire que le pays peut s’appuyer sur des ambassadeurs de choix, à l’instar d’Ecorobotix, dont le robot de désherbage part aujourd’hui à l’assaut du marché mondial, ou de SenseFly, leader des drones de cartographie racheté par une firme d’outre-Atlantique. Et les exemples ne manquent pas.

La révolution des robots

Il faut dire aussi que le contexte est propice à l’innovation agricole: entre une pression économique accrue et un changement climatique qui nous forcent à repenser notre manière de gérer aussi bien les ressources naturelles que les intrants, le métier évolue en profondeur. Dans ce domaine, la technologie accompagne le changement autant qu’elle le provoque. «La dernière vraie révolution? Le robot de traite, assure Thomas Anken, chef du groupe Digitalisation des exploitations chez Agroscope et membre du comité de pilotage de notre hors-série agritech (lire l’encadré ci-dessous). C’est un élément central de la tendance qui voit les exploitations laitières devenir moins nombreuses mais plus grandes. Il y a encore vingt ans, on n’imaginait pas un tel potentiel de la numérisation et de l’automatisation.»

Pour autant, le monde paysan n’a pas attendu pour prendre le virage: «Dès les années 1980 et le développement d’internet, l’agriculture a rapidement intégré cet aspect, pour l’attribution des paiements directs d’abord, puis avec la nouvelle identification numérique dès le début des années 2010», retrace Cédric Moullet, sous-directeur de l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG) et responsable de l’unité Transition numérique et gestion des données.

Maîtriser les données

Au chapitre des arguments historiques de la technologie agricole, l’optimisation du rendement et la réduction de la pénibilité de certaines tâches. S’y ajoute une nouvelle promesse, plus actuelle que jamais: la simplification administrative. «Elle est au cœur des préoccupations des paysans, note Cédric Moullet. Le numérique permet de faciliter les échanges, d’obtenir un label en quelques clics, d’optimiser la gestion et donc la rentabilité de son exploitation. Mais cette plus-value s’accompagne aussi d’un nouveau paramètre: il faut garantir la maîtrise totale de ces données.»

Le sujet est sensible, et l’OFAG le sait bien. L’office a tiré les leçons du projet digiFLUX, cette plateforme qui a suscité l’ire du monde agricole il y a deux ans: la nouvelle stratégie de numérisation de l’agriculture suisse, baptisée DigiAgriFoodCH, mise sur une transparence totale pour rétablir la confiance. «Le principe de l’autodétermination numérique est central, explique Cédric Moullet. Nous devons à tout prix conserver un contrôle total sur nos données. Si nous n’exploitons pas ces données, d’autres le feront.»

Numérisation galopante

Si des garde-fous sont de mise, c’est parce que les experts s’accordent sur le fait que la numérisation s’imposera, qu’on le veuille ou non: «Les logiciels permettant d’avoir une vue d’ensemble de son exploitation sont un must, dit Thomas Anken. La gestion d’un domaine est devenue trop complexe pour se passer de ces outils, au risque de perdre en efficacité. Imaginez un médecin qui passerait la moitié de son temps à faire de la paperasse plutôt que d’être auprès de ses patients! Eh bien, c’est la même chose pour un agriculteur.»

Dans cette course au progrès, la Suisse a des atouts à faire valoir, aussi bien sur le plan des logiciels que du machinisme. «Elle constitue un hub d’innovation, note Eric Plan, secrétaire général de la plateforme CleantechAlps et lui aussi membre du panel d’experts du hors-série. Plus largement, c’est le cas dans le domaine des technologies propres: nous faisons figure de leader sur le plan technologique, avec quelques entreprises qui font rayonner ce savoir-faire au-delà de nos frontières.»

La clé, c’est la maîtrise des données. Si nous n’exploitons pas nos données, d’autres le feront.

Même son de cloche chez Thomas Anken: «Si son poids est limité par sa taille réduite, la Suisse existe sur la scène des agritech, en particulier dans des niches bien spécifiques, comme la technique destinée aux régions de montagne. S’y ajoute une expertise dans les capteurs et l’électronique de haute précision.»

Entre explosion des volumes de données en ligne et nécessité de les protéger, multiplication des solutions technologiques et sobriété, enjeux économiques et sociaux, l’agriculture de demain se dessine sous nos yeux, une avancée à la fois accompagnée de son lot de questionnements. Son visage de demain, lui, ne nous en reste pas moins inconnu.