Cette «magicienne» appenzelloise tire de son jardin tout un bouquet de soins

Martina Rocco utilise ses plantes aromatiques et médicinales pour créer des cosmétiques naturels. Baptisée Kräuterzauber, son entreprise est la seule du pays à en produire sous le label Bio Bourgeon.
27 avril 2023 Véronique Curchod
Reto Martin/Benjamin Dittli

En pénétrant dans le laboratoire de Martina Rocco, à Wald (AR), on est immédiatement saisi par une agréable odeur d’huiles essentielles. Des parfums de lavande, de rose et de menthe poivrée se mêlent à des senteurs plus subtiles et moins connues. Les substances actives d’une centaine d’espèces végétales sont extraites ici, avant d’entrer dans la composition de produits de beauté ou de soins. «Ma grand-mère m’a transmis son intérêt pour les plantes médicinales. Lorsqu’un membre de la famille était malade, elle nous soignait avec des remèdes naturels qu’elle avait elle-même élaborés», confie l’herboriste, qui réalise ses créations tout au long de l’année, dans l’atelier de sa ferme appenzelloise.

Longtemps, cette passion est restée en arrière-plan, avant que la découverte du jardin de plantes médicinales d’Alfred Vogel, à Teufen (AR), ne lui serve de déclic. «Mon propre lopin de terre contenait tellement de variétés que je me suis demandé comment les valoriser», raconte Martina Rocco. Ses amis et collègues – elle travaillait alors dans le domaine du marketing pour une société vendant du matériel de sport – sont les premiers à tester ses créations et en redemandent. Il y a quelques années, elle décide donc de se consacrer uniquement à la production de cosmétiques.

«J’utilise encore d’anciennes recettes qui remontent à mon enfance, comme la crème d’arnica ou de souci officinal, mais en les ayant remis au goût du jour. Si, à l’époque, on recourait fréquemment à la vaseline dans leur composition, j’ai remplacé ce distillat du pétrole par des matières plus naturelles, telles que l’huile d’olive ou le beurre de karité.» Le nom de son entreprise, Kräuterzauber – soit «la magie des plantes» –, ne doit rien au hasard. «Avec les végétaux, chacun peut être magicien, il suffit d’être créatif, que cela soit en cuisine, pour la décoration ou la confection de produits de soins.»

Multiples vertus

À l’extérieur, le jardin, en forme de spirale, s’éveille gentiment après le repos hivernal. Les premières semences de souci et de mauve germent dans la pouponnière, alors que les vivaces reprennent de la vigueur. L’exploitation de Martina Rocco est labellisée Bio Bourgeon, ce qui implique un cahier des charges strict et un processus de certification pour chaque nouveauté mise sur le marché. «Je n’ai jamais eu recours à des agents chimiques, préférant trouver des solutions alternatives, explique l’Appenzelloise d’origine autrichienne. Je n’ai donc pas dû changer mes pratiques. Le mot clé est la diversité.»

Le chardon bleu et l’échinacée côtoient la salicaire commune, la rose trémière ou l’onagre. Plus de 10% du jardin est composé de fleurs uniquement destinées aux insectes, afin qu’un équilibre entre nuisibles et prédateurs se crée. Parmi toutes ces variétés, Martina peine à élire sa plante préférée. Elle a cependant un petit faible pour la molène. «Elle ressemble presque à un arbre, de par sa silhouette élancée. Et elle est difficile à utiliser, car ses fleurs ne peuvent être récoltées que dans un laps de temps assez court. Je suis la seule à proposer une crème – la Cléopâtre – qui en contient. La molène est connue pour ses propriétés anti-âge.»

En chiffres

1000 m, l’altitude de la plantation de Martina Rocco.

500 m2 de surface de production.

100 espèces végétales.

300 kilos de matière végétale récoltés chaque année.

80 produits différents réalisés sur place, du dentifrice au shampoing, en passant par des crèmes pour les mains ou du gel douche.

2021, la certification en Bio Bourgeon.

+ d’infos
www.kraeuterzauber.ch

Transformation par étapes

Les cueillettes ont lieu de juin à fin octobre, tôt le matin ou en fin d’après-midi, afin de bénéficier de tout le potentiel des végétaux. «Contrairement aux grandes cultures, je peux récolter une quantité intéressante de plantes sur une petite surface.» Une bonne planification aide à avoir assez de matériel durant l’hiver de façon à assurer la production. Les fleurs sont alors mises à sécher dans la grange attenante, ou conservées en macérat ou en teinture. «Les médicinales possédant plusieurs principes actifs, ces différentes techniques permettent d’extraire l’entier des substances.» Elles entreront ensuite dans la composition de cosmétiques pour la peau ou les cheveux, par exemple, ainsi que de remèdes naturels.

L’Appenzelloise a développé de nombreuses coopérations avec des coiffeurs ou des hôtels, et vend aussi ses préparations en direct par le biais de son site internet ou sur les marchés. «La clientèle apprécie de venir admirer le jardin et de voir où poussent les plantes qui composent la pommade ou le shampoing qu’elle utilise quotidiennement.» Et toujours avide de partager son savoir, elle propose également des ateliers ou des balades, afin que tous puissent apprivoiser ce monde végétal.

Une longue tradition d’herboristerie

La région d’Appenzell est réputée depuis des siècles pour la naturopathie. Les bains de petit-lait, développés au XIXe siècle, font partie des us et coutumes. Tout comme les traitements à base de plantes, dont certaines recettes ont été popularisées par des pionniers, tel l’herboriste Alfred Vogel. Appenzell Rhodes-Extérieures connaît d’ailleurs la législation la plus libérale de Suisse en matière de phytothérapie, les médecines alternatives étant ancrées dans la Constitution cantonale depuis 150 ans, ce qui a contribué à l’établissement d’un nombre élevé de naturopathes.

Ceux-ci y sont en effet habilités à prescrire des remèdes maison – 400 préparations sont décrites dans la liste d’autorisations édictée par l’État –, alors que dans les autres cantons, seuls les droguistes en ont le droit. Un examen préalable à l’exercice de la naturopathie est toutefois exigé. Quant aux entreprises, des dizaines d’entre elles fabriquent également des produits naturels. Par ailleurs, les plantes sont aussi fortement enracinées dans le patrimoine culinaire, à l’image du fromage Appenzeller, qui est affiné avec une saumure aux herbes dont la recette est jalousement gardée secrète. Ou de l’Appenzeller Alpenbitter, une liqueur à base de 42 plantes créée en 1902.

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