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A La Brévine, le débardage se fait au rythme des chevaux

Accueillant les vaches en été, le pâturage boisé de la ferme des Sorbiers (NE) constitue une précieuse source de bois. Lorsqu’il se pare de neige, les bovins laissent place aux équidés pour les travaux forestiers.

A La Brévine, le débardage se fait au rythme des chevaux

Installés aux Sorbiers depuis 2016, Lili, Jonas Lichtenberger et leurs deux enfants vivent dans une bâtisse de 1819 rénovée. Chèvres, brebis, oies, canards, poules, cochons, vaches, chiens, chats, lapins et chevaux y cohabitent. Parmi ces animaux, ce sont les vaches qui profitent des 40hectares de pâturages boisés entourant la ferme de La Brévine (NE). Mais durant l’hiver, le couple d’agriculteurs est occupé, une grande partie du temps, par les travaux forestiers. Et pour ce faire, ils emploient leurs chevaux.

Quand Lili et Jonas Lichtenberger préparent leurs juments, ils n’ont pas besoin d’échanger la moindre parole: les gestes, répétés, sont aussi doux que sûrs. Voilà seize ans que le duo fonctionne au rythme de leurs montures, autant pour les moissons et les fenaisons en été que pour le débardage du bois en hiver. Loin de tout folklore, ce type de travail s’inscrit dans la continuité des activités agricoles saisonnières. La plupart des machines achetées par les deux paysans sont d’ailleurs uniquement adaptées aux équidés. Le vieux tracteur de 60chevaux est surtout utilisé afin de faire fonctionner la botteleuse durant la belle saison et d’extraire les troncs qui se trouvent dans des endroits trop escarpés grâce à son treuil.

Martelage, puis tronçonneuse

Dans un premier temps, en fonction de la densité du pâturage boisé et de la répartition des essences sur celui-ci, un agent du service forestier cantonal marque les végétaux à couper en collaboration avec Jonas: c’est le martelage. Puis, si Lili et Jonas Lichtenberger utilisent des tronçonneuses classiques pour abattre et ébrancher les arbres, le lieu retrouve son calme avec la suite des opérations. Orientés à la voix et au moyen de guides, les chevaux sont amenés au plus près du tronc à déplacer. Une modeste rampe en bois permet alors de faire le lien entre le sol et la luge à laquelle les équidés sont attelés. Si le tronc est relativement fin, sapie et tourne-bois suffisent aux agriculteurs pour en faire rouler l’extrémité. Pour les arbres plus conséquents, un treuil mécanique fixé sur la luge permet d’en faciliter le hissage. Une fois le chargement solidement arrimé, chevaux, cavalier et tronc parcourent le kilomètre qui les sépare de la ferme.

Entretenu de manière extensive, le pâturage boisé sur lequel ces travaux ont lieu est majoritairement composé d’épicéas. Au fil des coupes, l’espace est nettoyé des branches et autres résidus de bois afin de ne pas entraver le déplacement des vaches qui y paissent pendant l’été. Mais, affaiblis par l’épisode de grêle de 2021 et les sécheresses qui se succèdent, les arbres font désormais face au bostryche: sans aiguille, secs, au milieu d’autres épicéas, de sapins, de quelques hêtres ou érables, ils feront du bois de moindre qualité. Ils sont de ce fait plus difficiles à vendre et cela constitue une réelle source d’inquiétude pour la famille Lichtenberger. En effet, une partie de leur bois est transformée dans la petite scierie installée dans leur domaine. Jonas façonne lui-même des planches qu’il vend ou utilise pour des travaux à la ferme. Une autre partie sert à chauffer la maison. Habituellement, le reste est vendu à une scierie qui cette année n’en prendra pas: le marché est actuellement saturé de bois marqué par l’insecte typographe.

Tout dépend des températures

Au fil de la descente vers la ferme, la quiétude ambiante surprend: seuls le bruit des pas des chevaux et celui des troncs qui glissent sur la neige se font vraiment entendre. Les mots prononcés par Lili et Jonas en direction des chevaux sont rares et discrets, et s’avèrent le plus souvent des encouragements. Les chiens accompagnent eux aussi énergiquement le cortège. Une fois les luges délestées des troncs, on remonte la pente pour regagner les hauts du pâturage et effectuer une nouvelle rotation. Mais cela dépend de la qualité de la neige: si les températures grimpent, les troncs glissent mal et le travail devient pénible pour les animaux. Lili et Jonas  Lichtenberger attendent alors que les conditions redeviennent idéales pour le transport du bois.

La lumière hivernale est de plus en plus discrète, troncs attelés, chevaux et cavaliers se confondent avec la forêt pour la dernière descente de la journée. Les aboiements des chiens se font entendre au loin, le retour à la ferme approche et les chevaux pourront comme à leur habitude se rouler quelques instants dans la neige, allégés de leur équipement.

Texte(s): Margaux Mauran
Photo(s): Margaux Mauran

Une pratique marginale

Le débardage avec les chevaux reste anecdotique en Suisse romande. C’est auprès des communes qu’il rencontre l’intérêt le plus notable. Et même dans ce cadre, les chantiers restent le plus souvent de l’ordre de la démonstration destinée au grand public. Reste qu’une poignée de forestiers, tels que Freddy Golay aux Charbonnières (VD), effectuent des mandats réguliers avec des équidés. Pour celui qui devrait réaliser une vingtaine de sorties en 2024, l’utilisation des chevaux constitue un vrai atout dans des zones sensibles, telles que les prairies sèches ou les abords de rivières, où des engins motorisés porteraient atteinte à ces milieux fragiles.

Exploitation forestière et élevage

Emblématiques des paysages du canton de Neuchâtel, les pâturages boisés représentent 10% de sa superficie. Légalement assimilés aux forêts, ils s’en distinguent par leur «ouverture» – c’est-à-dire la faible densité d’arbres qui y sont présents – et la possibilité d’y faire pâturer des bovins, ce qui est interdit dans une forêt. Ces zones sont réparties par l’État dans des catégories donnant droit à des contributions financières, en fonction de leurs apports à la biodiversité locale: maintien d’une diversité floristique, renoncement à l’ajout de fumure, taux de boisement en lien avec les objectifs fixés… Leur exploitation repose donc sur un équilibre sylvo-pastoral mêlant bétail, qualité des herbages, entretien de la forêt et attention portée à la biodiversité.