Reportage
À 26 ans, il ne craint nullement de remettre ses pratiques en question

Chaque mois, Terre&Nature met la relève à l’honneur. Président des Jeunes agriculteurs jurassiens, Christophe von Däniken se destine à reprendre le domaine laitier familial de Corban (JU).

À 26 ans, il ne craint nullement de remettre ses pratiques en question

La trentaine de holsteins lèvent la tête lorsque la silhouette de Christophe von Däniken apparaît à l’entrée de la stabulation. Tout est calme en ce début de matinée: la traite est terminée, les bêtes affouragées et quelques bandes de brume se dissipent, dégageant la vue sur le vallon isolé où est nichée la ferme. C’est en 1989 que le grand-père de Christophe von Däniken a quitté le canton de Soleure et s’est installé à Corban(JU).

Trois décennies et une génération et demie plus tard, le jeune homme de 26ans gère avec son père cette exploitation mixte de 35hectares où se conjuguent grandes cultures et élevage laitier. Côté céréales, du blé panifiable, livré au moulin de Vicques, ainsi que du maïs destiné aux bovins. Les herbages, partagés entre prairies permanentes et artificielles complètent le tableau, tandis que s’y ajoute de temps à autre de l’épeautre ou de l’avoine, en fonction des attentes des acheteurs. Et c’est principalement dans le but d’améliorer les débouchés pour son lait – qui est livré à la coopérative Mooh – que la ferme est passée au bio en 2019.

Des expériences enrichissantes
Suivi de son imposant chien, Christophe von Däniken continue la visite guidée: la grange, le parc de machines, le silo «tranchée» et la tour au maïs, l’enclos des veaux puis l’espace dévolu aux porcs à l’engrais, qui disposent d’une vue imprenable sur ce coin du val Terbi. Le parcours du jeune homme a commencé par un apprentissage dans des exploitations conventionnelles et biologiques, en Suisse alémanique et dans le Jura. Après son service militaire, il est parti trois mois aux États-Unis afin de parfaire son anglais avant d’obtenir une maturité et de s’inscrire à la HAFL de Zollikofen, cursus qu’il a terminé en 2021.

Aujourd’hui, il prête main-forte à son père à côté de son activité principale: Christophe travaille à 60% comme conseiller agricole et enseignant à la Chambre d’agriculture neuchâteloise de Cernier. Quant à ses soirées, elles sont souvent consacrées à ses multiples engagements en faveur de la défense professionnelle (lire l’encadré). «Avec mon père, on s’entend très bien. Chacun respecte les idées de l’autre. On a mis en place un système de tournus pour la traite, afin de nous ménager un maximum de confort. Tous les samedis, on mange avec mon grand-père. C’est génial d’avoir le regard de trois générations sur un même outil de travail.»

Le Jurassien en est convaincu, ce n’est pas parce qu’on se destine à reprendre le domaine familial qu’on ne doit pas jeter un œil sur ce qui se fait ailleurs, au contraire. En automne 2021, il est parti quelques semaines dans une exploitation laitière hollandaise. «Je suis très content de l’avoir fait. C’est essentiel d’observer comment on pratique l’agriculture dans d’autres pays, ne serait-ce que pour relativiser notre approche suisse.» Il y a acquis la certitude que la croissance n’est pas la réponse à tout. «Je pense qu’un domaine diversifié est plus à même de tenir le coup face aux imprévus, qu’ils soient climatiques ou politiques. La crise du Covid ou le conflit en Ukraine nous l’ont encore montré.»

Ouverture et lucidité
Demandez-lui comment il imagine sa ferme dans une vingtaine d’années et il bottera en touche avec le sourire de celui qui sait à quel point son métier pourrait être amené à changer, entre réchauffement, enjeux énergétiques et évolution des habitudes de consommation. «Je pense que le modèle mixte est le plus équilibré à l’heure actuelle, mais nous devons être prêts à nous adapter.» Lucide, il souligne l’importance d’établir des priorités. La première? Savoir lire les signaux du marché: «Face à l’érosion des revenus, il faut remettre de la valeur ajoutée dans le secteur agricole. Nous devons exiger des prix corrects, mais en contrepartie nous devons aussi maîtriser nos coûts.»

À l’exploitation familiale, cela se traduit par la mutualisation d’un parc de machines au sein d’une coopérative, ainsi que par une réflexion sur l’affouragement avec une utilisation ciblée des concentrés, ce qui est d’ailleurs nécessaire en agriculture biologique. Une évolution, sans craindre de remettre en question ses pratiques: pour Christophe von Däniken, l’agriculture de demain réserve son lot de mystères. L’aventure promet d’être passionnante, et il se réjouit d’en être.

Texte(s): Oriane Grandjean
Photo(s): Oriane Grandjean

En chiffres

  • 35 hectares, dont 7 de blé, 3,5 de maïs, 3,5 de surfaces de promotion de la biodiversité et le reste en herbages.
  • 30 vaches laitières, holsteins et red holsteins, et 20 génisses de tous âges.
  • 60 porcs à l’engrais et 2 juments.
  • 555 mètres, l’altitude de la ferme.

Personnalité engagée pour la jeunesse

Convaincu que l’union fait la force, Christophe von Däniken ne compte pas ses heures lorsqu’il s’agit de s’engager en faveur de sa branche. Ainsi préside-t-il depuis deux ans l’association des Jeunes agriculteurs jurassiens (JAJ). Outre ses activités de défense de la profession, l’organisation fédère notamment ses membres autour d’ateliers consacrés à des thématiques d’actualité comme la production laitière, la reprise d’un domaine ou la politique agricole. «On utilise les outils de notre génération, comme les réseaux sociaux, pour montrer que c’est un métier où il y a des jeunes, éveiller des vocations et rester en contact avec la population», note Christophe von Däniken. À ce mandat exigeant et exposé s’ajoute son rôle de représentant jurassien au sein de la commission des jeunes agriculteurs de l’USP (COJA). «Le nombre d’exploitations baisse malheureusement de manière constante en Suisse, mais les écoles d’agriculture sont pleines. Cela donne de l’espoir, parce que cela veut dire qu’on aura des gens formés pour répondre aux enjeux et aux défis de demain.»

+ d’infos www.agrijura.ch/jaj