Noter les délices de nos régions se révèle être un marathon
Ce mercredi matin, c’est l’effervescence dans les locaux de la Fondation rurale interjurassienne (FRI), à Courtemelon. Des dégustateurs y viennent de tout le pays pour élire les meilleurs produits laitiers de Suisse.
Leur tâche est gargantuesque: noter pas moins de 486 fromages, yogourts ou encore fondues, un record. «Ce n’est pas de la rigolade, n’oublions pas que derrière chaque création se trouve un producteur, rappelle Nadège Koller de la FRI. S’il a choisi de vous la présenter, c’est qu’il l’estime bonne. Elle mérite notre respect.»
Éviter les odeurs parasites
Autour des tables, la pression monte d’un cran lorsqu’un morceau de gruyère surchoix est amené, servant d’étalonnage. La FRI veille à ce que les juges soient sur la même longueur d’onde avant d’entrer dans le vif du sujet. Dans chaque groupe, on retrouve un expert de l’analyse sensorielle, des personnalités du monde de la gastronomie, mais aussi des consommateurs, comme moi.
À trois ou à quatre, on décidera quelle note attribuer aux quelque 25 produits laitiers qu’on devra goûter. Chaque verdict sera rendu après des discussions au cas par cas, en respectant un consensus tout helvétique. «Il faut y aller franco, confie Nadège Koller, en souriant. Consacrez entre cinq et sept minutes par échantillon afin de tenir le rythme. Il sera soutenu, je ne vous le cache pas!»
Médailles en jeu
La tâche est sérieuse, car il y a des médailles à la clé: en or, en argent ou en bronze et celle convoitée du Prix de l’innovation, garantissant une mise en valeur d’un produit d’exception. Pour que ces dégustations à l’aveugle se passent au mieux, chacun s’est engagé à ne pas boire de café ni à fumer une heure avant le début des évaluations. Se parfumer ce jour-là est aussi interdit, afin qu’aucune odeur ne parasite nos sens.
À 10 h précises, le silence. On n’entend plus que les couverts qui s’entrechoquent. À l’étage, les juges prennent la première bouchée de pâte dure, de flan ou encore sirotent un chaï latte. Au rez-de-chaussée, la journée des examinateurs démarre fort, avec un test de fondues ou de fromages à raclette. Tous les délices proposés ont été sortis des frigos à l’avance, de manière à être servis à la température idéale. «Les producteurs nous les ont envoyés afin qu’ils soient affinés parfaitement le jour J, explique Olivier Boillat, responsable de la communication de la FRI. Cela demande une sacrée organisation pour que les conditions de dégustation soient optimales.»
En chiffres
1227 denrées sont inscrites au 10e Concours suisse des produits du terroir, contre 1177 lors de la précédente édition
138 exposants seront présents au marché ce week-end.
353 médailles ont été décernées en 2021.
Seul un tiers des produits peut être récompensé, selon le règlement.
1,7 milliard de francs, le chiffre d’affaires généré par les quelque 18′500 denrées certifiées élaborées par 2800 producteurs, selon l’Association suisse des produits régionaux.
À la recherche d’un accord
Peu à peu, les effluves de fromage envahissent les pièces et les langues se délient. Parfois, le verdict est unanime et les premières médailles sont inscrites sur les fiches. Aucune information ne doit filtrer, avant la remise des décorations, le vendredi 22 septembre, veille du Marché des produits du terroir. Il arrive que des créations soient plus clivantes. Mais là encore, le jury cherche à se mettre d’accord, quitte à mettre les goûts personnels de chacun au second plan.
«Techniquement, cette pâte dure est parfaite mais je ne l’aime pas du tout», estime Sandrine Gury, fromagère et membre de mon équipe, en observant la croûte de cette meule recouverte d’herbes aromatiques. «Il est fruité, un peu sucré, je l’aime bien», répond Florian Voumard, consommateur séduit par ce produit, qui me laisse également perplexe. Impossible de trancher, on fait donc appel à la présidente du groupe, qui nous donne son avis.
Un tiers des produits primé
Cette pâte dure ne gagnera finalement pas de médaille, mais aura droit à de belles critiques. Elles seront transmises au producteur, afin qu’il puisse améliorer son fromage et, pourquoi pas, le proposer de nouveau dans deux ans. Pas le temps de s’attarder cependant, les assiettes repartent en cuisine, la dégustation continue. Croquer dans une pomme et boire une grande gorgée d’eau permet de nettoyer nos papilles avant d’enchaîner avec le prochain lot.
À 13 h, on se dit qu’une pause est plus que bienvenue avant de s’attaquer aux six yogourts aux fruits qui nous attendent. À la cafétéria de la Fondation rurale interjurassienne, de nombreux juges préfèrent manger une salade plutôt que le menu, puisqu’ils ont déjà le ventre bien rempli… Une petite vingtaine de minutes plus tard, nous voilà de nouveau attablés, prêts à continuer notre mission.
On y prend de plus en plus goût, en sirotant du thé de manière à ôter le sel ou le sucre qui tapissent notre palais. Le lexique propre à ce genre de dégustation devient familier et on gagne en confiance. À 16 h, notre mission s’achève. Un tiers des délices testés recevront une médaille. On repart l’estomac plein, avec un sentiment de devoir accompli et une admiration réelle pour les artisans qui nous ont soumis des denrées de qualité. Ce qui ne nous a pas simplifié la tâche.
Un concept qui fait des émules
Cette compétition, imaginée par la Fondation rurale interjurassienne (FRI), séduit bien au-delà des frontières helvétiques. La venue du Maroc, invité d’honneur du 5e Marché des produits du terroir, a même attiré l’attention de l’ONU. Elle a depuis mandaté la FRI pour développer son concept à l’international. L’objectif: «favoriser les échanges entre les différents pays afin d’assurer l’amélioration des revenus des agriculteurs ou producteurs». La FRI a ainsi contribué à la création de concours similaires au Maroc – avec le soutien du Secrétariat d’État à l’économie – ainsi qu’en Tunisie, en Égypte et au Cameroun. «Ce sont les petits producteurs qui nourrissent la population à travers le monde, souligne Olivier Boillat, de la Fondation rurale interjurassienne. Ces événements leur permettent de se mettre en communication et de réaliser des affaires via une plateforme et le programme que nous avons mis en place, dans le but de promouvoir la durabilité et la valorisation des circuits courts.»
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