Le «psy du marché» qui croque l’actualité, sans forcer le trait
Romain Mange, c’est un peu le psychologue du marché de Morges. «Il écoute les gens plutôt que de parler de lui-même. Sa carrure donne l’impression qu’il va vous protéger. Il vous offre son sourire, sa bonne humeur. Vous repartez le cœur léger, une salade sous le bras.» Arlette fait partie des petites dames habituées à venir dire bonjour à celui qui les accueille toujours avec un mot gentil.
Dessinateur de presse, conducteur de bus scolaire la semaine, Romain Mange pose son étal d’un mètre carré tous les samedis dans la Grand-Rue de Morges et ce depuis seize ans. Une histoire qui ne compte pas pour des prunes.
Son propre patron
«Un jour à la table familiale, mon père arrive avec trois petites prunes sauvages dans le creux de sa main. Délicieuses, elles venaient de l’arbre à côté de la ferme. Je me suis dit que j’allais les cueillir et les vendre pour me faire quelques sous. J’ai confectionné des barquettes, j’ai trouvé deux chevalets au fond de la grange, un petit parasol et le lendemain je me suis pointé au marché de Morges.»
À la fin de la matinée, il avait tout vendu. «Je suis rentré tout content à la maison.» Le samedi suivant, il y retourne. «Je suis allé chercher les dernières prunes sur l’arbre, j’ai demandé à ma sœur productrice à Gollion de me mettre quelques paniers de fraises, pour étendre un peu mon offre. Et de nouveau, tout est parti. Me sentir un peu mon propre patron, c’était royal.»
Son univers
Un livre
«Le tome 7 des Bidochon, «Assujetis sociaux». Avec un humour au vitriol, Binet nous fait partager le lit d’hôpital de Robert Bidochon.»
Un objet
«Ma tablette graphique. Mon outil favori de création.»
Une couleur
«Une association de bleu et de gris. Comme l’eau et le ciel.»
Le meilleur moment de la journée
«Le samedi matin à 4h30. Quand je sors pour le marché et tout est endormi.»
Percutant, jamais méchant
Né en 1977 à Morges, habitant de Pompaples, «local comme mes produits», précise-t-il en rigolant, Romain Mange a commencé par un apprentissage de pâtissier-confiseur chez Fornerod avant de se perfectionner dans la boulangerie, chez Mercuri à Senarclens (VD). En parallèle, il a la fibre du dessin. Il décide alors de franchir le pas, d’entamer une formation de graphiste à Fribourg. Son CFC en poche, il peine à trouver du travail dans un métier qui se fait de plus en plus rare. «À l’époque, j’ai pas mal galéré. Je me suis rendu compte que financièrement, il fallait me diversifier et élargir le spectre.»
Courageux, motivé, il envoie quelques dessins au Journal de la région de Cossonay qui les publie. Son humour? Plutôt poétique, comme ce poisson rouge dans son bocal qui espère que la montée des eaux va le libérer. Toutes les semaines, les lecteurs du journal savourent son trait percutant, jamais méchant. Il collaborera également avec Vigousse, le petit satirique romand ainsi qu’avec La Torche, dans le Jura. Mais sa principale activité reste chauffeur de bus scolaire.
Pour moi, le marché, c’est plus qu’une transaction, c’est le contact humain.
«C’est aussi un métier de proximité. On rigole, les enfants se mettent souvent derrière moi pour me raconter leurs histoires, leurs problèmes, ou simplement ce qu’ils ont fait pendant le week-end.» Autant d’activités qu’il mène de front, sans jamais se plaindre. Il collabore également avec une agence de pub à Cossonay et la commune de Morges lui commande parfois des affiches, notamment pour encourager le commerce local.
Justement, on le retrouve au marché. «Ce qui me plaît, c’est de garder le lien avec la terre, car je viens d’une famille d’agriculteurs. Loraine, ma sœur, est spécialisée dans les fraises, les framboises et les asperges, à Gollion. À ma très modeste échelle, j’ai à cœur de défendre les produits de notre région.»
Des échanges enrichissants
Pour cela, il travaille avec une dizaine de producteurs locaux. La veille, il fait sa tournée, passe chez eux choisir pommes, poires, pruneaux, radis, herbes aromatiques, bientôt les légumes d’hiver, poireaux, céleris, choux de Bruxelles… Le samedi, par n’importe quel temps, qu’il pleuve, vente ou fasse beau, il commence à 6h du matin, installe son étal, met en valeur ses produits dans les cageots et attend les premiers clients. Il lui faudra additionner, rendre juste la monnaie, remettre fruits et légumes sur la table, tout remballer, rentrer à la maison, nettoyer et faire les comptes. Une grosse journée.
«Pour moi, le marché, c’est plus qu’une transaction, c’est le contact humain. J’aime bien faire de petites blagues, discuter avec les gens, leur donner des recettes, des conseils, car j’adore cuisiner. Je les retrouve de semaine en semaine, c’est un rendez-vous. Certains viennent pour parler d’eux. Je les écoute, la fois suivante, je leur demande comment ils vont, je m’enquiers de leur santé.»
Cerises et pot de confiture
Une attention que les clients lui rendent bien, à leur manière: «Je leur vends un kilo de cerises, et la semaine d’après ils reviennent vers moi avec un pot de confiture. Ou l’hiver quand je grelotte, il n’est pas rare que l’on me propose un petit café ou un chocolat chaud. La palme de la gentillesse revient à Arlette avec son sourire, sa tendresse et sa bonne humeur. Elle m’apporte des livres, me fait lire les contes qu’elle écrit, m’offre des petits cadeaux. Elle est géniale.»
L’amitié quand elle se crée, le partage quand il est sincère, c’est cela qui motive Romain Mange. Il a plein d’histoires à raconter, d’anecdotes, de moments de bonheur en mémoire. «Cet été, une cliente est partie en vacances un mois dans la région de Sète, au sud de la France, et m’a ramené de délicieuses pâtisseries de la région. J’ai le droit à ces petits échanges et cela me fait plaisir.» Et quand on lui demande si lui part bientôt en vacances, c’est pour être sûr qu’il est bien là le samedi suivant.
