Le crime paie pour cette Bulloise, à la fois postière et autrice de polars
La pluie hésite encore à s’abattre sur Fribourg, en ce mercredi après-midi. Dans la grisaille qui s’installe doucement, on se sent happé dans l’univers glaçant du nouveau roman de Géraldine Lourenço. Incendie volontaire, menaces de mort, meurtres, vengeance…
Le ton est posé. Les personnages torturés qui hantent les pages de Morts à Fribourg semblent pourtant aux antipodes de celle qui leur a donné naissance. «Je suis plutôt gentille et bienveillante», acquiesce l’intéressée.
Ville de cœur
Cette nouvelle fiction – la septième de la Bulloise et son cinquième roman policier – s’ouvre sur un mystérieux incendie qui ravage une maison, sise au chemin de Lorette. Plus de vingt ans plus tard, un piège se referme brutalement sur une mosaïque de personnages qui déambulent dans ce dédale de rues.
Le titre de l’œuvre l’annonce: c’est sur le parcours de la mythique course Morat-Fribourg que le meurtrier frappe en premier. L’autrice avoue d’emblée: «Je n’ai jamais participé à cette course; je n’y ai même jamais assisté.» La description précise des rues arpentées par les protagonistes laisse en revanche supposer une connaissance fine de la Cité des Zähringen.
«Google Maps aide un peu… Je me demande comment les écrivains faisaient au XIXe siècle! Cette ville est très chère à mon cœur. J’allais y trouver ma grand-maman et pouvoir y poser le cadre d’un roman est un grand plaisir.» Ses personnages font d’ailleurs un crochet à la rue Jean Grimoux: c’est là que vivait son aïeule. «Et j’ai aussi donné un petit rôle à mon fils, Jonathan, et à mon chat, Chausson.»
Clin d’oeil à Agatha Christie
Douée pour la rédaction dès son enfance, la native d’Estavannens, en Gruyère, semble se plaire à mettre en scène son canton. C’est pourtant presque par hasard qu’il est devenu l’écrin de ces meurtres en série. Après deux romances publiées à Paris aux Éditions Vérone, Géraldine Lourenço fait la connaissance de Francis Antoine Niquille. Le président des Éditions Montsalvens est alors en quête d’auteurs locaux, prêts à imaginer des intrigues enracinées dans le canton. «J’avais eu de la peine à trouver une maison d’édition pour mon premier livre et là, on me proposait de me publier avant même que je commence à écrire. J’ai sauté sur l’occasion.»
Le Foulard rouge de la forêt de Bouleyres voit le jour en 2018, suivi notamment de Maudite Bénichon et du Crime du Golden Pass, clin d’œil au monument d’Agatha Christie, Le Crime de l’Orient-Express. «Pour ce quatrième polar, c’est mon éditeur qui m’a mise au défi d’imaginer une fiction à bord du Golden Pass.» De la même manière, l’intrigue de Morts à Fribourg naît d’un pari: au guichet de la poste de Bulle où elle travaille, la quinquagénaire se voit suggérer ce jeu de mots en guise de titre. «J’en ai parlé à Francis Antoine Niquille qui a été emballé.»
Son univers
Un thriller
«Da Vinci Code», de Dan Brown. J’aime la manière dont la symbolique chrétienne y est exploitée. C’est très bien mené.»
Une boisson
«J’apprécie le bon vin, mais pas lorsqu’il s’agit d’écrire: là, je préfère le thé.»
Une citation
«Je fais au mieux avec les cartes de l’instant, le reste appartient à la vie.»
Une région
La Bretagne. Une authentique terre de légendes. Je prévois de m’exiler une semaine sur une île bretonne pour travailler sur mon prochain roman.»
Explorer le traumatisme
Dès les premières lignes, on fait la connaissance de Natalia, mais la rencontre est de courte durée: une cinquantaine de pages plus loin, on apprend que la jeune femme a succombé à l’incendie de la maison. Le drame fait écho à un autre que Géraldine Lourenço a dû affronter: en 2006, elle perd son fils de 13 ans dans un accident. À l’époque, elle a déjà dans ses tiroirs l’ébauche de ses deux premiers romans, mais la tragédie balaie toute velléité d’écriture. Il lui faudra neuf ans avant de se pencher à nouveau sur ses écrits.
L’évocation de la mort de Natalia a-t-elle ravivé la plaie de son deuil? «Je ne fais pas forcément le lien entre les deux. Lorsque j’écris, je suis dans ma bulle. En revanche, je pense que ce que j’ai traversé me donne peut-être plus de facilité à explorer les séquelles du traumatisme.» Et si elle ne s’identifie pas à ses personnages les plus sombres, elle affirme aimer explorer les méandres de leur psyché et parvenir sans peine à imaginer le cheminement de leurs pensées.
Une écriture pudique
Pour autant, Géraldine Lourenço ne nourrit pas de passion pour le fait divers sordide. Et là où d’autres auteurs du genre se plaisent à dépeindre les détails les plus gores, la Bulloise reconnaît s’imposer parfois une forme d’autocensure.
J’ai appris à me faire confiance, tout comme j’ai appris à faire confiance à la vie. Le décès de mon fils m’a aidée en ce sens.
Un exemple? L’un des personnages de son dernier livre cache un rapport torturé à la foi chrétienne. Elle-même croyante, elle a renoncé à explorer plus avant cette relation pour se concentrer sur d’autres aspects. «J’imaginais aller plus loin sur ce sujet, mais je n’étais pas à l’aise avec cette idée. Il n’y a pas davantage de scènes de sexes. J’aimerais parfois me montrer plus «piquante». J’apprends à me lâcher.»
Se relever de tout
Dans le polar, la Bulloise a toutefois trouvé une forme de liberté. «C’est un genre qui laisse de l’espace pour créer du suspense. On essaie de tenir le lecteur en haleine, mais ça me tient, moi aussi, en haleine: je découvre l’intrigue au fur et à mesure de l’écriture.»
Pour une personnalité qui évoque ses doutes quant à sa capacité à mener une intrigue à bien, la chose tient du tour de force: «Des fois, j’ai l’impression que ce que j’écris ne va nulle part. Mais j’ai appris à me faire confiance, tout comme j’ai appris à faire confiance à la vie. Je pense que le décès de mon fils m’a aidée en ce sens: on arrive toujours à se relever et à continuer. Pour moi, cette confiance est un moteur.»
+ D’infos Morts à Fribourg, Éditions Montsalvens, 200 pp. En dédicace samedi au Marché de la Bénichon à Écuvillens et le 14 septembre à Fribourg.
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