Le sel extrait des entrailles du pays sert avant tout à dégeler les routes

Toute l'année, des mineurs prélèvent le sel à Bex, alors que leurs confrères en retirent des sites de Schweizerhalle (BL) et Riburg (AG). La majorité de cette substance minérale sécurisera le réseau routier.
12 février 2025 Céline Duruz
Les mines de sel de Bex (VD) fournissent du sel pour sécuriser les routes vaudoises et valaisannes. Leur stock est cependant bien moins important que celui des deux autres salines du pays. À Riburg, 240 000 tonnes sont extraites dans ce but.
© Salines suisses
Les mines de sel de Bex (VD) fournissent du sel pour sécuriser les routes vaudoises et valaisannes. Leur stock est cependant bien moins important que celui des deux autres salines du pays. À Riburg, 240 000 tonnes sont extraites dans ce but.
© Salines suisses

Lorsque l’on roule en hiver, on oublie souvent que l’on circule sur une fine couche d’un minéral vieux de 200 millions d’années: le sel. Ce vestige de l’ère jurassique, durant laquelle le pays était recouvert par la mer, ne sert en effet pas qu’à assaisonner nos plats.

La grande majorité de cette substance extraite des gisements helvétiques, à Riburg, Schweizerhalle et Bex (VD), est utilisée pour sécuriser les voies de communication lorsque le thermomètre chute. Pour répondre à la demande, qui fluctue selon la rigueur des saisons, les Salines suisses ne s’arrêtent jamais.

Les derniers mineurs

Sur les hauts de Bex, le sel est stocké dans une étrange halle octogonale, nichée sur la rive de l’Avançon. Plus de 12 000 de tonnes peuvent y être conservées des mois, voire des années, à l’abri des intempéries.

Dans cet espace, un tapis roulant déverse la fine poudre blanche par une ouverture sur le toit. Ces cristaux sont prélevés au cœur de la montagne grâce à de l’eau qui s’évapore ensuite, pour être entreposés en vrac. Les quatre mineurs œuvrant sur le site – les seuls à encore exercer ce métier en Suisse – en extraient toute l’année depuis des galeries, percées dans le massif dès le XVIIe siècle. Ils peuvent ainsi approvisionner les cantons, les communes et l’Office fédéral des routes dès l’été, bien avant l’arrivée des premiers flocons.

«En 2023, nous avons produit 30 000 tonnes de sel à Bex, dont 20 000 ont servi pour le déneigement des routes vaudoises et valaisannes. Le reste est transformé en divers produits et condiments alimentaires, précise Arnaud Tamborini, chef du site et de la production. Sa composition est la même que le sel de table, mais il ne subit pas le même traitement ni le même conditionnement.»

Fin d'un monopole

N’étant pas bordée par la mer, la Suisse était dépendante des importations de sel jusqu’au XIXe siècle. Berne se fournissait alors principalement en Bourgogne, la Romandie en Camargue, selon le Musée national suisse. Cela change en 1836 lorsque le spécialiste allemand du forage, Carl Christian Friedrich Glenck, découvre un gisement près de Muttenz et fonde la saline de Schweizerhalle.

En 2014, ce site s’allie avec ceux de Riburg et de Bex, qui ne desservait jusque-là que les Vaudois, pour former les Salines suisses. Elles produisent entre 400 000 et 600 000 tonnes de sel par an.

+ d’infos www.salz.ch

Des filons bien fournis

Les fortes chutes de neige à la fin de l’année dernière et le froid de janvier font que l’octogone est pour l’heure à moitié vide. Il se remplit lentement mais sûrement, chaque jour davantage. «Tous les matins, les équipes se retrouvent pour faire le point sur la météo à venir et les commandes qui en découleront, poursuit Arnaud Tamborini. Certains clients sont prévoyants et ont des stocks à disposition, d’autres le sont moins. Nous devons être réactifs, car la sécurité des automobilistes prime.»

«Jusqu’en 2014, le sel de Bex servait uniquement à saler les routes vaudoises, il y avait un monopole historique sur cette production, renchérit Caroline Duparc, responsable marketing des Salines suisses (lire l’encadré). Depuis qu’il est tombé, on peut approvisionner également le Valais, mais selon les années, notre production ne suffit pas.»

Les deux autres salines du pays, plus productives, prennent alors le relais. Celle de Riburg, par exemple, peut stocker à elle seule plus de 240 000 tonnes de sel par an, de quoi dégivrer des kilomètres de bitume. Elle le livre ensuite en camions ou par wagons entiers, à travers le pays.

Recherche sur le Plateau

Bien qu’étant le plus ancien gisement de sel découvert en Suisse – par un berger au XVe siècle –, le site de Bex est aussi le plus petit. Ses ressources sont cependant loin d’être épuisées. «Ces dernières années, on a réalisé des forages et des modélisations en trois dimensions de nos filons, qui contiennent entre 3 et 10% de sel, précise Arnaud Tamborini. On voit que, bien que ce site soit exploité industriellement depuis 1940, nous disposons encore d’importantes réserves. Elles sont suffisantes pour assurer notre activité pendant des décennies.»

Parallèlement, les Salines suisses recherchent de nouveaux gisements, le sel étant présent sur l’ensemble du Plateau. La tâche n’est pas aisée: les couches salinières se trouvent à différentes profondeurs et surtout, à des concentrations diverses.

Des forages exploratoires

À Bex par exemple, le chlorure de sodium a été préservé au fil des millénaires par une roche composant ce massif, l’anhydrite. Imperméable, elle a évité que le sel ne soit lessivé par la pluie, comme cela s’est produit à d’autres endroits du pays, où les sous-sols sont calcaires.

«Nous effectuons régulièrement des forages exploratoires. En Ajoie, nous avons récemment trouvé du sel à 1000 m de profondeur, mais n’allons pas le prélever. Cela complexifie son extraction par rapport au site de Riburg, par exemple, où on en trouve dès 200 m, note Arnaud Tamborini. Ces prospections sont importantes, afin d’accroître nos connaissances géologiques, mais pas uniquement. Le rôle des Salines suisses est de pouvoir assurer, en tout temps, l’approvisionnement du pays.»

Impact limité sur la faune et la flore

L’Institut fédéral suisse des sciences aquatiques Eawag a analysé l’impact du salage des routes sur l’environnement. Pour les scientifiques, les concentrations de chlorure de sodium (NaCl) mesurées sont trop faibles pour y avoir des effets concrets. Ils ont toutefois noté que si «tous les lacs de la zone présentaient des teneurs en chlore comprises entre 1 et 4 mg/l dans les années 1940, les plus petits comme le lac de Morat et le Greifensee en renferment aujourd’hui près de 20 mg/l, tandis que les teneurs sont restées plus modérées dans les lacs plus importants et moins exposés comme ceux de Neuchâtel (11 mg Cl/l) ou de Bienne (9 mg Cl/l)». Le seuil de tolérance est fixé à 40 mg Cl/l.

Dans les rivières, les teneurs maximales en chlorure restent généralement inférieures à 20-30 mg/l. «Étant donné que le domaine de concentration jugé toxique pour les poissons est de l’ordre du gramme par litre, en cas d’exposition prolongée sur plusieurs jours, le salage des routes ne semble pas entraîner de situation préoccupante dans les cours d’eau», estime l’Eawag. En revanche la végétation des bords de route souffre de cette saumure et des embruns salés qui causent son brunissement.

+ d’infos www.eawag.ch

Envie de partager cet article ?

Achetez local sur notre boutique

À lire aussi

Accédez à nos contenus 100% faits maison

La sélection de la rédaction

Restez informés grâce à nos newsletters

Icône Boutique Icône Connexion