«La politique de l'autruche ne sert à rien face au changement climatique»

Un mois après la catastrophe de Blatten (VS), où l'effondrement du glacier du Birch a rayé quasiment tout le village de la carte, la climatologue Sonia Seneviratne revient sur ces événements. Elle relève les différentes incidences du réchauffement sur notre pays.
30 juin 2025 Marjorie Spart
© Keystone/Gaëtan Bally

Le 28 mai dernier, un éboulement a presque entièrement enseveli le village de Blatten (VS). Qu’avez-vous ressenti en voyant ces images?

Comme je pense la plupart des gens, j’ai été très choquée de voir disparaître ce village, sous nos yeux. C’est un événement triste, d’autant qu’il a coûté la vie à une personne. Mais il nous fait aussi réaliser les risques auxquels nous faisons face.

Les premiers experts interrogés ont été réticents à tisser un lien direct entre le réchauffement climatique et l’effondrement du glacier. Pourquoi?

Dans le monde scientifique, on étudie d’abord tous les détails d’un événement pour pouvoir le comprendre. Et ensuite en tirer des conclusions.

Aujourd’hui, avec un mois de recul, pouvez-vous faire ce lien?

Oui, cela ne fait aucun doute que le réchauffement a joué un rôle. Le dégel du permafrost est une conséquence directe de la hausse des températures. Une fiche d’information sur l’événement a été préparée à l’EPFZ, dans laquelle nous mentionnons aussi le rôle du changement climatique. De nombreux scientifiques continuent d’actualiser ce document.

Bio express

Née le 5 juin 1974 à Lausanne, la climatologue suisse occupe le poste de professeure ordinaire au département des sciences des systèmes environnementaux. Elle est directrice de l’institut des sciences de l’atmosphère et du climat à l’École polytechnique de Zurich et membre du comité du GIEC, spécialiste des événements climatiques extrêmes.

Avec comme objectif de pouvoir anticiper les catastrophes?

Dans le but de mieux comprendre ce qui provoque ces catastrophes, qui souvent ne peuvent pas être évitées. L’observation des zones à risques est la clé pour empêcher les drames. Le glacier du Birch était sous monitorage depuis longtemps, ce qui a permis de faire évacuer la population à temps. En revanche, nous devons entamer une réforme de fond, pas seulement pour les dangers de déstabilisation des zones montagneuses, mais aussi ceux liés aux inondations, car les cartes des dangers naturels ne sont plus actuelles. Nous sommes confrontés à un climat qui change extrêmement vite.

Vous parlez du changement climatique en Suisse?

Oui. La température moyenne en Suisse a augmenté de 2,9°C par rapport à l’ère préindustrielle alors qu’en moyenne mondiale, la hausse est de 1,4°C. Avec l’amplification du réchauffement due au manque d’action politique pour sortir des énergies fossiles, les conditions actuelles n’ont rien à voir avec celles qui nous toucheront dans dix ans.

Quelles sont les conséquences de cette amplification du réchauffement pour la Suisse?

Nous voyons les événements météo extrêmes se multiplier. En se réchauffant, l’atmosphère permet à l’air de contenir plus d’eau et les pluies sont plus violentes. Les régions de montagne sont très exposées: les glaciers et le permafrost fondent, ce qui peut provoquer des laves torrentielles, des inondations et des glissements de terrain. Les épisodes de canicule s’intensifient aussi. Ils font surchauffer les villes, accroissant les risques pour la santé des personnes vulnérables. Les épisodes de sécheresses augmentent le risque d’incendies de forêt et fragilisent l’agriculture.

Est-ce raisonnable d’exposer la population à des dangers que l’on ne peut pas éviter, et de la dédommager ensuite?

Cette évolution va-t-elle même remettre en question le simple fait de vivre en montagne?

On doit effectivement mener une réflexion de fond. Veut-on vivre dans un endroit où les risques sont élevés? C’est une discussion à mener à plusieurs échelons. Politique d’une part: est-ce raisonnable d’exposer la population à des dangers que l’on ne peut pas éviter et à la dédommager ensuite? D’autre part, la population est-elle consciente des risques qu’elle prend à certains endroits? Et sur le plan de la science, nous devons être là pour observer, analyser les zones à risques et prévenir des dangers. Mais nos analyses et recommandations doivent être prises en compte et permettre d’agir.

Le rôle des scientifiques est primordial. Pourtant, la science est dénigrée notamment par des figures politiques comme Donald Trump. N’est-ce pas démoralisant?

Je garde courage, car j’ai conscience du rôle important que nous jouons, notamment dans l’information de la société. On ne peut pas nier l’évidence ni ignorer les faits, comme ceux de Blatten. Et c’est triste d’arriver à des catastrophes pareilles pour ouvrir les yeux. La politique de l’autruche ne sert à rien. En Suisse, au lieu de couper dans les fonds alloués à la recherche, on devrait investir pour pallier ce qui ne se fait plus aux États-Unis.

Un groupe d’experts vient d’annoncer qu’il n’était désormais plus possible de limiter le réchauffement à 1,5°C. On ne peut donc plus revenir en arrière?

Nous devons limiter le réchauffement au maximum. Il en va de la vie des générations futures. Si nous ne pouvons pas stabiliser le réchauffement global à 1,5°C, 1,6°C serait encore beaucoup plus sûr qu’un réchauffement global de 2°C. En ce moment, nous sommes sur une trajectoire vers un réchauffement global de 3,2°C, plus du double de maintenant. Nous devons réduire nos émissions de CO2 en décarbonant la mobilité, le chauffage, en réduisant notre consommation. Pour cela, il est essentiel de limiter au maximum l’utilisation des énergies fossiles. Dans le meilleur des cas, nous pouvons stabiliser les changements à peu près aux conditions que nous avons actuellement. Et pour limiter les conséquences d’événements climatiques extrêmes, il faut aussi consentir aux investissements nécessaires dans les infrastructures.

Nouveaux scénarios pour la Suisse

L’institut des sciences de l’atmosphère et du climat de l’EPFZ et MéteoSuisse publieront de nouveaux scénarios climatiques pour la Suisse le 4 novembre prochain. Il s’agit de projections calculées sur la base de modèles climatiques à haute résolution pour différents scénarios d’émissions. Ces scénarios climatiques se focalisent pour l’instant sur les changements atmosphériques (canicules, précipitations) ainsi que les sécheresses. Des études d’impacts plus poussées seront conduites après la publication des scénarios.

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