Des chercheurs genevois élèvent des champignons mangeurs de polluants
Chaque année, des milliers de tonnes de matériaux d’excavation issus de chantiers genevois doivent être assainis. En cause: des décennies d’activités industrielles menées sans grand souci de l’environnement, qui ont causé une forte pollution. Si des décontaminations thermiques et chimiques peuvent être effectuées, ces techniques gourmandes en énergie sont loin d’être satisfaisantes. «Cela provoque une forte altération des sols. Ainsi, en Romandie, la quasi-totalité des minéraux pollués est enfouie dans des décharges, ce qui coûte cher aux entreprises. De plus, déplacer des limons et des sables génère un intense trafic de poids lourds, qui a un impact environnemental important», expose Léa Carlesso.
Cette ingénieure spécialiste des sols travaille au sein de la société genevoise Edaphos, créée en 2018, qui a mis au point une méthode alternative de dépollution biologique à l’aide de champignons. Si ce principe nommé mycoremédiation fait l’objet de recherches dans le milieu académique depuis cinquante ans, cette entreprise est la première de Suisse romande à s’être lancée dans son application concrète. Son but: dégrader une grande quantité de polluants organiques sur place, afin de permettre une réutilisation des matériaux. «Nous ciblons principalement les hydrocarbures, largement présents dans les sous-sols en milieu urbain, ainsi que les déchets industriels contaminés par les résidus médicamenteux et les pesticides.»
Le pouvoir des souches locales
Pour ce faire, Edaphos se base sur le principe du biomimétisme, qui consiste à s’inspirer du vivant pour trouver des solutions. «Dans la nature, de nombreux champignons se nourrissent de la lignine, l’un des composants du bois. Or, ces molécules sont semblables à celles des hydrocarbures, issues de l’industrie du pétrole. Ces végétaux ne font donc pas la différence entre ces deux substances et les décomposent de la même manière. Nous ne faisons qu’accélérer un processus naturel», relate la spécialiste. Dans un premier temps, plusieurs espèces ont été prélevées localement puis cultivées en laboratoire en présence de polluants, afin de créer une mycothèque d’une trentaine de souches voraces adaptées à différents milieux naturels.
Puis, le mycélium – la partie végétative des champignons – a été intégré dans des capsules de quelques millimètres enrichies avec du substrat. «Ces dernières ressemblent à de petites billes noires, mais cela peut aussi prendre la forme d’une poudre», décrit l’ingénieure. Seule une quantité infime est requise pour que leur pouvoir de décomposition agisse. «Au bout de quelques semaines, les filaments de mycélium deviennent visibles à l’œil nu. Cela veut dire que les champignons se répandent pour s’alimenter, avant de mourir quand la nourriture viendra à manquer.»
Grâce à l’énergie
Créée en 2013, la société genevoise Exlterra est aussi active dans le domaine de la dépollution grâce à sa technologie NSPS (Nucleus separation passive system). Celle-ci prend la forme de tiges en polyéthylène enterrées selon une géométrie spécifique, permettant de tirer parti des énergies renouvelables telles que la gravité ou les champs magnétiques. «Nous accélérons le processus naturel qui brise les liens entre les molécules qui constituent la pollution. Ainsi, métaux lourds, produits chimiques et déchets radioactifs peuvent être dégradés», affirme le CEO Frank Muller. Après un test concluant sur le site de Tchernobyl, l’entreprise cherche des partenaires pour se lancer sur le marché suisse.
Filtrer pour éviter le gaspillage
Pour l’heure, un seul chantier de dépollution a eu lieu dans le canton, l’an dernier, sur le site d’un ancien local de stockage d’engins. «Au bout de quatre à six mois, une diminution de 75% de la pollution a été constatée», se félicite Léa Carlesso, qui informe que plusieurs entreprises du bâtiment sont désormais intéressées. «Cette technique engendre des frais de départ, car il faut créer un espace de stockage des matériaux sur place. Mais à long terme, c’est une solution plus économique et écologique. Il est nécessaire d’organiser les chantiers en amont, afin de lutter efficacement contre la pollution.»
Dans le canton, un projet distinct baptisé mycH2Opure vise à appliquer ce même principe à la décontamination des eaux de ruissellement. À sa tête, Clément Deprade, paysagiste, et François Lefort, professeur à la Haute école du paysage, d’ingénierie et d’architecture de Genève. Leur objectif: dégrader les hydrocarbures in situ. «Ces derniers sont particulièrement présents dans les eaux au bord des routes, polluées par le goudron, les résidus de carburants, les huiles et les poussières de pneumatiques.
En parallèle, de l’eau propre doit être amenée pour arroser les plantations à ces mêmes endroits. Ce gaspillage est un non-sens», regrettent-ils. Pour remédier à ce problème, ils ont imaginé des filtres à champignons qui pourraient être installés dans les fossés, ainsi que dans des stations d’épuration, des bassins de rétention, des champs agricoles ou certaines rivières infestées par des résidus médicamenteux. Plusieurs projets pilotes seront lancés cette année. «Les résultats sont concluants et l’intérêt grandissant. Il faut désormais multiplier les expériences pour convaincre un maximum d’acteurs à l’échelle cantonale et généraliser cette pratique.»
Questions à Adrien Matter, collaborateur scientifique au sein du groupe sols et substrats de l’HEPIA, à Genève
La mycoremédiation est-elle efficace?
Ses avantages sont connus depuis longtemps, mais les applications sur le terrain sont loin d’atteindre les résultats en laboratoire. De plus, l’efficacité des processus varie en fonction des polluants et des spécificités du sol. C’est encourageant, mais peu de projets à large échelle ont vu le jour.
D’autres types de dépollution biologique sont-ils prometteurs?
La décontamination grâce aux plantes, ou phytoremédiation, est utilisée pour traiter certains métaux lourds. Problème: ceux-ci sont ensuite stockés dans les végétaux, qu’il faut incinérer. Il existe aussi des bactéries qui dégradent les polluants organiques. Mais des combinaisons de plusieurs micro-organismes sont souvent nécessaires et dans le cas des dioxines, le risque est de produire des métabolites plus toxiques que les molécules initiales. Ainsi, seules des solutions rigoureuses au cas par cas peuvent être mises en place.
Des mesures ont-elles été prises pour réduire les émissions de polluants?
Oui, des filtres ont été installés dans les usines d’incinération et de métallurgie. Nous devons désormais réparer les dommages et limiter les autres polluants, dont les microplastiques.
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