À Nouvel An, les festivités ne seront pas au goût ni à l'ouïe de tout le monde
Les enjeux
Une initiative débattue lors de la dernière session parlementaire veut interdire les feux d’artifice, en prônant le bien-être animal.
Toutes les espèces ne réagissent pas de la même manière à ces engins pyrotechniques.
Les bêtes à l’ouïe fine et en période d’hibernation sont particulièrement touchées.
«Pour la protection des personnes, des animaux et de l’environnement.» C’est le sous-titre de l’initiative populaire «Pour une limitation des feux d’artifice», qui a mobilisé les élus du National jeudi 11 décembre. Sans être le seul argument, la santé animale fait partie des points centraux de ce texte, né d’un éducateur canin, qui a récolté près de 140 000 signatures en 2023.
L’initiative demande d’inscrire dans la Constitution deux éléments: que la vente et l’utilisation de pièces d’artifice faisant du bruit soient interdites, et qu’il incombe aux cantons de faire respecter la loi fédérale tout en pouvant accorder des autorisations exceptionnelles pour des événements comme le 1er août ou Nouvel An. Le but: renforcer le principe d’interdiction en créant «un cadre juridique clair, plus strict et valable dans toute la Suisse».
Limitation relative
Actuellement, user d’engins pyrotechniques nécessite des autorisations et reste limité. Si certains cantons tels Genève ou le Valais interdisent ou restreignent leur vente et utilisation, d’autres comme Neuchâtel l’admettent sans demande d’autorisation lors de deux périodes: le 31 juillet, le 1er août et le 31 décembre. Pour leurs feux officiels, les communes déterminent des périmètres dans leurs demandes d’autorisation aux autorités cantonales. Cette délimitation dans le temps et l’espace satisfont le Conseil fédéral et nombre de parlementaires, qui recommandent de rejeter l’initiative.
Chaque nuit de Nouvel An ou de 1er août, je dois calmer les bêtes.
Pour la membre du comité initiant Heidi Hirsiger, cela ne suffit pas: «Si ces restrictions étaient respectées, nous n’aurions pas lancé l’initiative et elle n’aurait jamais récolté autant de signatures, précise-t-elle. En réalité, on entend des feux d’artifice plusieurs jours avant et après les dates prescrites: c’est le signe qu’un réel besoin de limitation existe.» Elle déplore l’effet des engins pyrotechniques sur la faune sauvage: «En pleine période d’hibernation, elle subit parfois durant des jours des bruits qui l’effraient et la poussent à fuir, alors que son rythme naturel lui impose de ralentir.»
Pour les professionnels des soins aux animaux, ces effets ne sont pas discutables: ils s’observent sur le terrain. «Chaque nuit de Nouvel An ou de 1er août, je dois faire une ronde pour calmer les bêtes, note Tobias Blaha, vétérinaire et directeur du Bioparc, à Genève. On constate des signes de frayeur comme l’hypersalivation ou l’hyperventilation chez les lynx, servals et autres carnivores. Nos oiseaux, à majorité diurnes donc censés dormir la nuit, se réveillent. Ils sont nombreux à tenter de s’échapper et courent alors un grand risque de blessure ou d’accident.»
Difficulté à quantifier
Le directeur de la structure, qui accueille plus de 100 espèces, constate une grande disparité parmi leurs comportements: «Certaines sont plus sensibles que d’autres. Les prédateurs ou les petits animaux sauvages, ayant l’ouïe fine, réagissent fortement là où d’autres restent plutôt calmes.»
En pleine nature, cette disparité se constate aussi chez les volatiles. «Certains oiseaux d’eau comme les cygnes ne semblent pas du tout dérangés, alors que d’autres s’envolent au premier signe de bruit, indique Christophe Sahli, biologiste qui conseille les autorités cantonales et communales sur les périmètres de protection à introduire autour de leurs réserves naturelles. Il est donc difficile d’établir des règles claires.»
Auteur d’une recherche sur les effets des pièces d’artifice sur la faune ornithologique de la Grande Cariçaie lors du Nouvel An 2018-2019, il s’est heurté à d’autres obstacles: «Notre recensement était ciblé sur la rive sud du lac de Neuchâtel, connue pour servir de refuge aux oiseaux. Il était donc difficile de déterminer si leur présence dans cette zone était habituelle ou spécifiquement due à une fuite face aux feux d’artifice.» Mentionnant d’autres recherches – réalisées au moyen de caméras placées dans des nichoirs – qui attestent du dérangement des oiseaux, il constate de nombreux freins à une évaluation quantitative des impacts.
Des effets invisibles
Du côté des agriculteurs, l’avis sur les conséquences des célébrations pyrotechniques est plus nuancé. «Je ne me souviens pas que les effets des feux sur les bovins aient été un sujet parmi les éleveurs, relate Vincent Gruet, éleveur à Sermuz (VD) et représentant du secteur laitier chez Prométerre. En été, les génisses sont plutôt à l’alpage et les vaches en stabulation libre peuvent rentrer s’abriter. Et en hiver, elles sont de toute façon à l’intérieur et sont donc moins atteintes par le bruit.»
Il tempère néanmoins: «Un collègue agriculteur m’a un jour conseillé de déplacer mon troupeau car certaines de ses vaches s’étaient enfuies. Les miennes ne l’ont jamais fait, mais cela ne m’étonne pas que les bêtes situées à proximité des explosions soient plus stressées.»
Pour Heidi Hirsiger, la visibilité des effets est une question primordiale. «On nous oppose souvent que l’on a jamais vu d’animaux morts lors des festivités, mais cela se passe la nuit en forêt ou dans une écurie, où l’on peut difficilement constater les effets. Pour les bêtes comme les humains, cette souffrance reste cachée.»
Jeudi, les parlementaires ont plébiscité un contre-projet n’interdisant que les engins produisant uniquement des détonations. Une solution qui vide l’initiative de sa substance pour Heidi Hirsiger: «C’est de la poudre aux yeux, car malgré un effet visuel qui justifierait leur existence, les feux d’artifice nuisent toujours autant aux animaux, à l’environnement et aux personnes.» Le comité d’initiative évaluera en début d’année prochaine comment il souhaite poursuivre son combat.
+ D’infos feuerwerksinitiative.ch