Reportage
Les rennes donnent au Haut-Valais un air de Grand-Nord

Reto Summermatter est l’un des rares éleveurs de rennes de Suisse. Si certains misent sur ce cervidé pour produire de la viande, le Valaisan poursuit un seul but: passer du temps avec ces animaux qui le fascinent.

Les rennes donnent au Haut-Valais un air de Grand-Nord

Herbriggen est un petit village sur la route de Zermatt que l’on traverse sans même le remarquer. À moins d’y apercevoir, en jetant un œil par la fenêtre de la voiture ou du petit train rouge qui remonte l’étroite vallée, les silhouettes insolites des rennes de Reto Summermatter. Corps trapu, épaisse toison grise, ramure spectaculaire, il y en a sept, qui coulent des jours paisibles dans ce coin du Haut-Valais déjà plongé dans l’hiver. Car ils ne sont pas destinés à la production de viande ni à jouer les animaux de spectacle en période de Noël. Non, entre Reto Summermatter et ses rennes, c’est une simple histoire de passion.
«Les rennes me fascinent depuis que je suis petit, confie l’éleveur. Ce n’est pas vraiment à cause de leur lien symbolique avec les fêtes de Noël, mais plutôt de mon attirance pour les pays nordiques et de mon goût pour le froid.» Fils de paysan, électricien de formation devenu employé communal, Reto Summermatter découvre ces animaux en Suède, où il travaille pendant un hiver comme conducteur de chiens de traîneau. De retour dans son Valais natal, il négocie avec son père une parcelle escarpée perchée en amont du village de Herbriggen où paissaient les veaux de la famille. «C’était il y a six ans, se souvient-il. J’ai passé tout un été à construire l’enclos, qui compte 1200 mètres de clôture et 400 piquets, puis trois ans à me former et à obtenir les autorisations nécessaires. Puis j’ai enfin pu acheter mes quatre premiers rennes à un éleveur bernois.»

Références à la culture nordique
Le rituel est le même chaque matin: sitôt levé, Reto Summermatter vient nourrir ses rennes avant de prendre son petit déjeuner et de partir travailler, puis il repasse pour le nourrissage du soir. Il s’assied sur une souche ou un bloc de roche qui émerge du pâturage, allume sa pipe et contemple ses protégés. «Mon plaisir, c’est de les observer, confie-t-il. Le renne est un animal fascinant. Chacun d’entre eux a sa personnalité propre.» Il y a Norway et Anima, qui figurent parmi les premiers cervidés adoptés par Reto Summermatter et restent à bonne distance des visiteurs, sans oublier la timide Ylvi, reconnaissable à ses taches blanches sur le nez ou la câline Géraldine, que tout le monde appelle Chérie. La petite boule de poil qui, curieuse, vient glaner une caresse, c’est Loki, 6 mois. Où Reto Summermatter trouve-t-il l’inspiration pour nommer ses jeunes? «Cela dépend, mais il s’agit le plus souvent de références à la culture nordique. Au début, Loki avait une démarche un peu particulière, alors je lui ai donné le nom de ce dieu issu de la mythologie scandinave, une divinité un peu trouble, ni gentil ni méchant…» Leevi, quant à lui, a été baptisé du nom d’une ville du nord de la Finlande. Le voici justement qui s’approche, ramure en avant. «Il est en pleine crise d’adolescence, sourit Reto. Il a toujours besoin d’attirer l’attention…» Et Rudolph, alors? Il y en a bien un, que le Valaisan prête actuellement à un autre éleveur, mais il prend soin de préciser qu’il n’est pour rien dans le choix d’un nom bien trop lié au folklore de Noël à son goût. Au sein de la petite harde, la hiérarchie est solidement établie: «Ce sont les femelles qui commandent. Anima est l’animal alpha, c’est elle qui fait la loi.» Et l’éleveur d’ajouter qu’au printemps, lorsque les animaux perdent leurs bois – les deux sexes en sont pourvus –, le fier Leevi traverse une phase quasi dépressive. Heureusement, la ramure repousse vite: jusqu’à 6 centimètres par jour.

Une filière confidentielle
Dans l’enclos voisin, Ailo garde ses distances. Nouvel arrivé, ce mâle a une mission importante: apporter de la diversité génétique au troupeau. «C’est très difficile de trouver du sang neuf. Sur les quelques dizaines de rennes détenus en Suisse, deux tiers ont un lien de famille. Et la plupart des mâles restants sont castrés.» C’est pour contribuer à la bonne santé des populations que Reto Summermatter planifie soigneusement la reproduction de ses animaux. Il prévoit d’augmenter la taille de son petit cheptel jusqu’à une dizaine de bêtes. Il n’a d’ailleurs aucun mal à vendre ses jeunes: «Il y a beaucoup de demande. En trois coups de fil, ils sont placés.»
Les éleveurs suisses se comptent sur les doigts d’une main. Si la viande constitue certes un débouché, les animaux sont, dans la grande majorité, destinés à des animations en public ou à des séances photo. Pas de ça chez Reto Summermatter: «J’accueille volontiers des visiteurs ou des médias si j’ai le temps, et il m’arrive d’être sollicité par des enseignants du village, mais mes rennes ne sont pas des bêtes de foire.» Sans surprise, les demandes explosent durant le mois de décembre. La question que l’on pose le plus souvent au Valaisan? «Si les rennes peuvent voler», sourit-il.

Texte(s): Clément Grandjean
Photo(s): Clément Grandjean

Lichen, mon délice gastronomique

La base de l’alimentation du renne dans son environnement natal, c’est le lichen. À la mauvaise saison, il gratte la neige pour extraire cette manne, véritable bombe de glucides proliférant même en milieu extrême. Il faut toutefois un solide estomac et une flore intestinale bien particulière pour extraire les nutriments de ce champignon. Revers de la médaille: le ruminant a besoin d’un temps d’adaptation lorsqu’il arrive dans un endroit inconnu, pour que son organisme soit en mesure de métaboliser la végétation du lieu. S’il leur donne du lichen qu’il va parfois chercher jusque dans les Grisons, Reto Summermatter nourrit ses rennes avec du foin, des pellets de maïs et un mélange spécifiquement destiné à ces cervidés.

Emblème du Nord

Originaire de l’hémisphère Nord, le renne est exploité de l’Alaska à la Russie, en passant par la Scandinavie. C’est là que vivent les Samis, peuple nomade dont l’année est rythmée par d’immenses troupeaux semi-domestiqués qu’ils dirigent d’une pâture à l’autre dans la toundra. Reto Summermatter a rencontré des Samis, qui lui ont parlé de leurs rennes… Jusqu’à ce qu’il évoque son désir d’en élever en Suisse. «Ils n’ont plus dit un mot! Les rennes, c’est leur business. Demander à un Sami combien il en possède, c’est comme demander à un Suisse combien il a sur son compte en banque. Cela ne se fait pas.»