Reportage
Les panthères des neiges apprennent à être soignées sans anesthésie

Afin de limiter les risques liés à la manipulation des fauves et autres animaux sauvages, de nouvelles techniques ont fait leur apparition. Elles évitent souvent le recours à la narcose. Découverte au zoo de Servion (VD).

Les panthères des neiges apprennent à être soignées sans anesthésie
La récente naissance de deux panthères des neiges au zoo de Servion (VD) a suscité un intérêt considérable du grand public, curieux de découvrir cette espèce en voie de disparition. Ce matin-là ne fait pas exception, un jeune garçon s’émerveillant devant les boules de poil qui ressemblent à de gros chatons. Sous l’œil attentif de leur mère, les jeunes s’amusent à se poursuivre, puis se couchent, dévoilant des coussinets XXL. «Malgré leur aspect sympathique, les panthères adultes sont des fauves d’une grande puissance qui pourraient facilement blesser un soigneur d’un coup de patte, explique Noah Corrado, gardien d’animaux. Nous ne nous aventurons jamais dans leur enclos en leur présence.»Dans ces conditions, contrôler leur état de santé est loin d’être évident. Par exemple, vérifier l’absence de blessures au niveau du thorax ou la longueur des griffes s’avère quasi impossible. Certaines pathologies risquent dès lors d’être décelées trop tardivement, mettant la bête en danger.Afin de remédier à ce problème, Noah Corrado utilise une méthode nommée medical training ou entraînement médical. Développée aux États-Unis sur les mammifères marins dans les parcs aquatiques, ainsi que sur les éléphants, elle repose sur la coopération de l’animal lors des soins. «Cette approche novatrice permet notamment d’éviter au maximum d’avoir recours à une narcose, toujours risquée, se réjouit Roland Bulliard, directeur du zoo de Servion. Je dois avouer que je suis étonné des résultats obtenus par ce jeune soigneur, qui est à l’origine de la mise en place de cette technique chez nous. On peut parler de révolution dans la façon de gérer ces félins.»

Un contrôle visuel
Il est temps de passer à la pratique. Guilda, la femelle panthère des neiges, est encouragée à venir toucher du nez une boule rouge fixée sur un bâton, puis à rester un moment immobile. Le gardien présente l’outil à travers le grillage, à diverses hauteurs, incitant le fauve à se dresser sur ses pattes arrière. Dès que Guilda exécute correctement le mouvement, Noah Corrado siffle un coup et lui donne un morceau de viande en récompense. Ce renforcement positif aide à ancrer des automatismes. À terme, le son suffira à féliciter l’once, le temps d’assimilation étant relativement rapide.

Pendant que la mère répond avec brio à la demande du soigneur, les deux jeunes essaient de l’imiter, intrigués par cette balle rouge. Dans quelques mois, ils se plieront également à cet apprentissage, mais pour l’heure, place au jeu. «Je veille toujours à ce que cette expérience soit positive, souligne le soigneur. De plus, elle ne doit pas s’inscrire dans une routine trop régulière, sous peine de ne plus susciter d’intérêt. On joue avec leur curiosité naturelle, en commençant par des exercices de base relativement simples.»

Noah Corrado en profite pour vérifier l’absence d’inflammation des tétines – la mère allaitant encore ses petits. Néanmoins, un visiteur, intrigué, a une tout autre perception de la scène et demande pour quelle raison l’animal est entraîné à faire le beau pour un numéro de cirque. «Nous avons régulièrement ce type de réaction, confie-t-il. Notre objectif n’est pas de dresser les panthères sans raison, mais toujours d’atteindre un but précis lié à l’observation ou aux soins.» Grâce à cette approche, les gardiens ont ainsi pu contrôler l’évolution d’une inflammation de la peau qui a nécessité un suivi durant plusieurs semaines.

Lien de confiance à établir
Après la femelle vient le tour du mâle, Kafka. Bien qu’il soit capable d’ouvrir la gueule sur commande – bien pratique pour examiner l’état de la dentition –, ce jour-là, le félin ne se montre pas coopératif, préférant continuer sa sieste sous les arbres. Tout l’art consiste alors à aller au rythme du mammifère, en respectant son individualité et son état émotionnel. «Il est libre d’accepter ou non l’exercice, à moi de m’adapter. Le consentement volontaire de l’animal, qui doit être en confiance, est au centre de cette méthode.»

Si, à terme, d’autres espèces – tigres et lions notamment – devraient bénéficier de cette technique, pour l’heure, seules les panthères y ont droit. Car instaurer un tel entraînement demande beaucoup de temps et de rigueur, soit une vingtaine de minutes plusieurs fois par semaine. Noah Corrado rêve, lui, d’effectuer avec ses protégés un exercice que certains zoos étrangers ont réalisé: une prise de sang au niveau de la queue – dans un espace spécifique –, alors que l’animal est libre de s’en aller.

 

Texte(s): Véronique Curchod
Photo(s): Mathieu Rod

Une pratique de plus en plus répandue

Le zoo de Servion n’est pas la seule structure en Suisse romande à recourir à l’entraînement médical. Le Bioparc de Genève et La Garenne, à Le Vaud (VD), ont aussi mis en place des exercices similaires. À Aquatis, à Lausanne, on utilise notamment cette technique pour faciliter les échographies sur les dragons de Komodo, ainsi que pour déplacer plus aisément les crocodiles sacrés ou leur faire une injection d’antibiotiques. Elle permet également à la raie du Xingu d’accepter d’être touchée sur tout le corps, afin de contrôler sa peau, sensible aux mycoses. «Au-delà de l’aspect soins et observation, l’enrichissement au quotidien pour les animaux est bénéfique à leur bien-être», se réjouit Michel Ansermet, directeur d’Aquatis. Les zoos de Bâle et de Zurich appliquent cette méthode, entre autres, pour les éléphants, les rhinocéros, les girafes et les phoques.

Chats et chiens aussi concernés

Si cette approche a d’abord été développée pour faciliter les soins d’espèces dites «dangereuses», elle est désormais aussi utilisée auprès des animaux de compagnie. Quelques éducateurs canins de Romandie, comme AoA formation à Perly (GE) ou Bossdog à Lausanne (VD), proposent des cours spécifiques pour aborder cette technique. Accepter sans stress la coupe des griffes ou la prise orale d’un médicament, rester statique chez le vétérinaire lors d’une injection ou tolérer d’être touché sur tout le corps par un ostéopathe: l’entraînement médical – appelé également soins coopératifs – facilite le quotidien de l’animal et de son propriétaire. S’il est plus facile de commencer avec un jeune individu, tous peuvent apprendre.