Rencontre
La vie du lynx rythme celle de ce naturaliste et vidéaste breton

Laurent Geslin piste le lynx sur les hauteurs du Jura depuis onze ans. Il a cette fois troqué son appareil photo contre une caméra avec l’intention d’entrer dans l’intimité de ce félin aussi discret qu’insaisissable.

La vie du lynx rythme celle de ce naturaliste et vidéaste breton

Le chemin serpente à travers champs. La maison de Laurent Geslin se cache sur les hauts de Gorgier (NE), à l’écart sans être totalement perdue. Malgré la brume, la vue laisse deviner le lac de Neuchâtel et la nature alentour est belle, typique des contreforts du Jura. Nous nous installons dans la petite cuisine chaleureuse. À parler projets, il ne sait par où commencer… Un ouvrage consacré au renard est en préparation en vue d’une parution l’an prochain avec la revue Salamandre. Il devrait également collaborer avec le Muséum d’histoire naturelle de Neuchâtel. Mais le lynx se taille toujours la part du lion parmi ses occupations. Après deux livres dédiés au félin, dont un publié cette année en anglais, le naturaliste planche sur un documentaire filmé qui devrait sortir en 2020.

Le bourlingueur a posé ses valises
Si le lynx est devenu le sujet favori de Laurent Geslin, ça n’a pas toujours été le cas. Le naturaliste est né en Bretagne, il y a de cela bientôt 47 ans. Enfant, son père l’initie à la vie sauvage et il profite des vacances chez ses grands-parents pour se plonger dans la forêt, toute proche de celle, mythique, de Brocéliande. Il suit un BTS en communication publicitaire, mais son inclination pour la nature prend le dessus. Il se forme en autodidacte, tout comme à la photo qu’il commence dans une association. Toujours en Bretagne, il exerce comme guide ornithologique sur un bateau. «Je devrais être amoureux de la mer, mais dans le Jura, je me sens dans mon milieu», dit-il en évoquant ses origines, qu’il ne renie pas pour autant. «Je bourrine le crâne de mon fils Maël en lui disant que le meilleur plat est la galette bretonne», s’amuse-t-il. Il vit ensuite en Afrique du Sud, en Namibie, se pose à Londres pendant près de dix ans, durant lesquels son travail de photographe professionnel alterne entre faune urbaine dans la capitale anglaise et animaux exotiques dans les parcs nationaux du monde entier, du Kenya à l’Éthiopie, de l’Inde au Brésil. Plusieurs fois primé, il publie ses clichés dans des magazines spécialisés, tels que le National Geographic ou BBC Wildlife. C’est à l’amour qu’il doit son installation en Suisse, il y a onze ans environ. Il rencontre sa compagne à Londres, une anthropologue du sud de la France. Et lorsque Marion obtient un poste à Neuchâtel, tous deux sont conquis par la région. «Le lynx m’a vite impressionné et je trouvais dommage de s’intéresser aux animaux exotiques alors qu’il y avait sur place le plus grand félin d’Europe auquel aucun projet professionnel n’a été consacré dans son milieu naturel.» Aujourd’hui, le naturaliste pose d’ailleurs un œil critique sur son métier. Il a mis la pédale douce sur les voyages. «On ne peut pas moraliser tout le monde en disant que la planète va mal et sans arrêt prendre l’avion pour se rendre à l’autre bout du monde.»

La sonnerie du téléphone…
Voilà quatre ans que le projet ambitieux de documentaire sur le lynx mûrit. Il a d’abord fallu que le photographe s’approprie la caméra. Et puis le lynx est insaisissable. «Certaines années, on a la chance de le voir, d’autres pas du tout», relève le spécialiste. Par son travail, Laurent Geslin cherche à mieux faire connaître ce félin réintroduit en Suisse à partir de 1971. Il a d’ailleurs suivi les biologistes de l’association KORA, centre de compétences pour les grands prédateurs. «C’est une espèce controversée, mais fragile, dont la population peut très vite disparaître, comme dans les Vosges où il n’a fallu que cinq ans.» Souvent invité à des conférences ou expositions, Laurent Geslin est parfois confronté à des opinions bien éloignées des siennes. «Entre passionnés, les échanges peuvent être intenses, reconnaît-il. Mais tant que l’on se respecte mutuellement, la situation en devient parfois cocasse à percevoir la mauvaise foi de l’un comme de l’autre. Le plus important est qu’il y ait discussion.» La sonnerie du téléphone l’interrompt et au fil de la discussion, sa voix trahit une certaine fébrilité. «C’était un «informateur», sourit le Neuchâtelois d’adoption, il arrive que des agriculteurs ou des éleveurs m’appellent. Il est tellement difficile d’observer le lynx que tout indice est précieux.» D’autant qu’à présent que le scénario se dessine, le photographe souhaite filmer des scènes précises: «Des images du lynx sur une souche ou son appel en période de rut.» Les années de patience à suivre furtivement l’animal, à relever les pièges photographiques, à l’épier depuis son affût de jour comme de nuit, par tous les temps, font qu’il connaît les endroits où l’observer selon la saison. Il en est de tout proches de chez lui, comme le site où il y a six mois, il a repéré une proie de lynx, s’est camouflé en compagnie de son fils et après deux heures d’observation, a vu le garçon de 9 ans photographier l’animal pour la première fois. Il y en a d’autres, plus éloignés, dans le Val-de-­Travers, ou ailleurs encore sur la chaîne du Jura.
Marion admire la ténacité de son conjoint: «C’est quelqu’un d’exigeant et de persévérant, il se fixe des objectifs difficiles à atteindre, mais garde le cap là où d’autres se décourageraient.» Elle s’étonne toujours de son émerveillement encore intact qui fait briller ses yeux d’enfant dès qu’il croise la route d’un animal sauvage. Même si parfois, il arrive qu’une capture ou une piste de lynx lui fasse tout lâcher, quelles que soient les circonstances. D’ailleurs, je constate que mon hôte trépigne. Le coup de fil de tout à l’heure l’appelle vers la forêt. Je prends congé alors qu’il enfile ses chaussures de marche, déjà absorbé par ce qu’il va pouvoir observer, prêt pour une nouvelle rencontre avec le grand prédateur.

+D’infos www.laurent-geslin.com

Texte(s): Isablle Chappatte
Photo(s): Thierry Porchet

Centres d'intérêt

UNE LECTURE
«Unknown Eurasian lynx «Lynx lynx», de Vadim Sidorovich, Jan Gouwy, Irina Rotenko. «Je bouquine cette étude scientifique de plusieurs années sur les inter­actions entre loup et lynx en Biélorussie.»
UNE MUSIQUE
Pink Floyd. «Ces derniers temps, je me suis aussi remis à écouter des musiques des pays de l’Est.»
UN OBJET
Mon couteau Leatherman. «Je l’ai toujours sur moi et il m’a parfois sauvé la mise, comme lors d’une panne en Éthiopie.»
UN PLAT
La galette bretonne. «Là, je suis obligé, sinon mon fils va râler.»