Reportage
La Suisse mise sur les prometteuses qualités des plantes protéagineuses

Cet été, 190 paysans ont cultivé des féveroles et des pois jaunes destinés à l’alimentation humaine. Ils seront ensuite transformés en farine et en extrudés secs pouvant se substituer à la viande.

La Suisse mise sur les prometteuses qualités des plantes protéagineuses

Sur les hauts de Moudon (VD), une petite moissonneuse fait des allers-retours sous un soleil de plomb. Elle coupe des plants de féveroles, qui ont visiblement souffert, s’étant parfois cassés sous l’effet du vent des dernières semaines. Ils portent une multitude de cosses sèches, friables et noires, contenant de graines riches en protéines, et sont cultivés pour la première fois par l’École d’agriculture de Grange-Verney.

Autant dire que ce champ a été suivi de près, de la floraison à la moisson. «Nous avons mis en terre diverses semences de féveroles le 23 mars, explique Nicolas Debeer, responsable des cultures de Grange-Verney. Il s’agit de tests en conditions réelles – d’autres ont eu lieu à Delley-Portalban (FR) et en Suisse alémanique – pour étudier cette culture prometteuse. Nous connaissons sa valeur agronomique et son rendement. Nous voulons aujourd’hui déterminer quelles variétés correspondront au mieux aux besoins de l’industrie.»

 

Pari sur l’avenir
L’enjeu est important: ces graines servent à confectionner des farines et des extrudés secs, capables de se substituer à la viande, dont la filière – émettant des gaz à effet de serre – est aujourd’hui contestée. Or, les alternatives végétales élaborées à base de denrées locales s’avèrent encore rares. Désireuse d’y remédier, la Confédération a annoncé l’an dernier son soutien à la production indigène de protéines végétales, qui étaient jusque-là essentiellement cultivées afin de nourrir le bétail. Elle estime qu’elles prendront de l’importance dans l’alimentation de la population dans un futur proche (lire l’encadré). «Les cultures de niche pourraient contribuer à préparer l’agriculture aux défis posés par le réchauffement climatique, renchérit l’Agroscope dans un rapport paru en 2022. Elles pourraient rendre des services en tant que culture mixte ou comme alternative dans la rotation et apporter davantage de diversité dans l’assiette des consommateurs.»

 

Union dans un même but
Pour y parvenir, il a fallu créer une filière de façon à être en mesure de traiter ces matières premières indigènes du champ à l’assiette. Cette année, 30 exploitants ont ainsi planté de la féverole sur 50 hectares à la demande d’IP-Suisse, alors que 160 de leurs collègues ont opté pour des pois protéagineux sur 350 hectares.

«La majeure partie de la récolte sera livrée au Groupe Minoteries SA (GMSA) à Granges-près-Marnand, détaille Reto Ryser, responsable des grandes cultures pour IP-Suisse. Il existe différents canaux de vente pour les concentrés de protéines qui en résultent: une partie sera vendue par GMSA, une autre sera utilisée par le moulin lui-même qui fera des extrudés secs à base de protéines végétales. Ceux-ci seront transformés par la société joint-venture Protaneo, afin d’offrir ces produits à l’industrie alimentaire et aux consommateurs voulant manger local.»

 

Cultures en partie ravagées
Du côté de Moudon, l’école d’agriculture a également voulu réaliser ses propres expériences en semant une dizaine de variétés sur une langue de terrain. À l’heure de la récolte, la qualité des féveroles est plutôt décevante. De nombreuses graines sont constellées de taches noires, signe de maladie, alors que d’autres ont été dévorées de l’intérieur par la tordeuse, un ravageur qui prend la forme d’un petit papillon brun. «Je m’attendais à ce qu’elles soient plus belles, reconnaît Nicolas Debeer. On verra ce que l’on peut en faire.»

Celles des agriculteurs participant au projet sont actuellement livrées aux centres collecteurs régionaux. «Comme la récolte 2023 est la première, il existe encore de nombreuses inconnues qui pourraient apparaître tout au long de la chaîne, admet Reto Ryser. Le succès de ce projet dépendra aussi de la demande du marché.» Des succédanés de viande conçus avec des protéagineux locaux pourraient être mis en vente avant la fin de l’année.

Toutefois, une certitude se profile déjà: les professionnels montrent un intérêt certain pour ces plantes, dotées de propriétés bénéfiques. En effet, elles parviennent à fixer l’azote de l’air pour le délivrer dans les sols, ce qui favorise la pousse de la culture suivante. Les producteurs engagés cette année, assurés de pouvoir écouler leurs graines, ont déjà annoncé vouloir poursuivre le programme en 2024. Une liste d’attente a même été créée pour leurs confrères voulant rejoindre le mouvement, confirme IP-Suisse.

+ d’infos www.ipsuisse.ch

Texte(s): Céline Duruz
Photo(s): Céline Duruz

Un soutien en haut lieu

En fin d’année dernière, le Conseil fédéral a approuvé la modification de 19 ordonnances dans le domaine agricole. Parmi les dispositions qui sont entrées en vigueur le 23 janvier, on trouve le versement de contributions aux cultures de protéagineux destinés à l’alimentation humaine, tels que les pois chiches ou les lentilles, qui grignotent une partie des terres arables. Même si leur production reste marginale, les lentilles occupent ainsi 200hectares cette année, soit le double de l’espace qui leur était réservé en 2018, selon Swiss Granum. Les objectifs du Conseil fédéral sont multiples: tenir compte de la hausse de la demande en protéines alimentaires végétales et encourager le développement de l’offre de la production suisse, alternative à la filière de la viande qui rejette des gaz à effet de serre. Il a pris cette décision quelques jours après la parution d’un rapport de la Commission fédérale d’éthique pour la biotechnologie dans le domaine non humain, qui mentionnait que la Suisse veut réduire d’au moins 40% ses émissions issues de l’agriculture à l’horizon 2050.

+ d’infos www.admin.ch

Nouvelle filière

Fin 2022, le Groupe Minoteries a annoncé avoir conclu un partenariat avec IP-Suisse et Feldkost Food AG pour fonder la société Protaneo, qui unit producteurs et transformateurs. Elle concevra sur son site de Granges-près-Marnand (VD), qui a été équipé en conséquence, des extrudés secs à base de protéines végétales. Cette filière veut proposer aux consommateurs des variantes conçues avec des fèves et pois indigènes. Car jusqu’à présent, les produits pouvant se substituer à la viande mis sur le marché helvétique sont essentiellement élaborés avec des matières importées.