Val-de-Travers: les secrets du vallon d'émeraude

La vallée neuchâteloise recèle bien des trésors. Outre ses sites naturels incontournables, elle propose des produits du terroir d'exception. Direction le pays de la fée verte, à la rencontre de certains des artisans qui font rayonner ce coin du canton.
18 septembre 2025 Oriane Grandjean
Abgelegen im Herzen der Windungen des Jura-Massivs könnte das Val-de-Travers Irland seinen Beinamen „Grüne Insel“ streitig machen.
© Adobe Stock
Der Absinth war fast ein Jahrhundert lang verboten. Erst seit zwanzig Jahren ist er wieder zugelassen.
© Oriane Grandjean
Der Absinth war fast ein Jahrhundert lang verboten. Erst seit zwanzig Jahren ist er wieder zugelassen.
© Oriane Grandjean
Philippe Martin produziert den Absinth La Valote Martin. Und der Apfel fällt nicht weit vom Stamm, denn bereits sein Vater destillierte die Grüne Fee, als es noch verboten war.
© Oriane Grandjean
Die Familie Stähli besitzt rund 300 Büffelkü¬he. Ihre Milch wird zu schmackhaftem Mozzarella verarbeitet.
© Oriane Grandjean
Die Familie Stähli besitzt rund 300 Büffelkü¬he. Ihre Milch wird zu schmackhaftem Mozzarella verarbeitet.
© Oriane Grandjean
Die Familie Stähli besitzt rund 300 Büffelkü¬he. Ihre Milch wird zu schmackhaftem Mozzarella verarbeitet.
© Oriane Grandjean
Édouard Morand ist der Meister- Chocolatier des 1949 gegründeten Unternehmens Jacot. Er verwandelt Kakaobohnen in unwiderstehliche Kunstwerke.
© Oriane Grandjean
Der Schinken, der im Asphalt gegart wird.
© Oriane Grandjean
Areuse-Schluchten.
© Adobe Stock
Creux-du-Van.
© Adobe Stock

Il y a le vert profond des hauts épicéas qui encadrent la route, masquant un soleil qui ne réapparaît que lorsque nous atteignons le fond du vallon. Le vert impérial des pâturages tout juste séparés par le gris-bleu des murs en pierres sèches. Et puis il y a le vert absinthe, bien sûr, cette teinte pastel nommée d’après la plante ayant fait la renommée du Val-de-Travers. Cette région qui, isolée au cœur des replis du massif du Jura, pourrait disputer à l’Irlande son surnom d’île d’émeraude.

La première étape de notre périple s’impose d’elle-même: haute bâtisse blanche plantée au cœur du village de Môtiers (NE), la Maison de l’Absinthe incarne le dynamisme d’un coin de pays bien décidé à capitaliser sur son terroir pour exister sur les cartes touristiques. Musée, bar, épicerie et même bureau de poste, l’établissement ouvert il y a un peu plus de dix ans est devenu un lieu central à l’échelle régionale. Moderne et lumineux, on y vient pour les visites guidées qui se terminent par une incontournable dégustation, mais aussi pour ses ateliers de cuisine explorant le potentiel gastronomique de la fée verte. Il accueille près de 15 000 visiteurs par année. «Ce bâtiment abritait autrefois un poste de police, s’amuse Raphaël Gasser, directeur de l’établissement. Joli pied de nez à l’histoire, non?»

Vingt ans après sa réhabilitation, impossible d’évoquer l’absinthe sans mentionner le quasi-siècle de prohibition qui frappe cet alcool mythique: une initiative populaire aboutit en 1910 à l’interdiction de distillation et de vente d’une fée verte dont on dit qu’elle peut faire perdre la raison. Et à l’apparition d’alambics clandestins dans les foyers du Val-de-Travers, où ce savoir-faire ancestral se perpétue de génération en génération, alimentant une légende au parfum de scandale. Dans les épaisses forêts du vallon, une cache secrète est aménagée à proximité de chaque fontaine, ou presque, dans laquelle le promeneur initié trouvera une bouteille de «bleue» qui n’attend que d’être troublée à l’eau fraîche.

Une recette secrète

Le temps ayant fait son œuvre, l’absinthe est passée du statut de sulfureuse muse des poètes à celui d’alcool tendance servi dans les bars branchés de New York ou de Londres, et les derniers clandestins ont transmis le flambeau à leurs héritiers. Philippe Martin incarne cette nouvelle génération de distillateurs à la fois respectueux de leur héritage et solidement ancrés dans leur époque.

Pour goûter l’absinthe, on la dilue dans de l’eau, bien fraîche et sans glaçons. Jamais de glaçons!

Le long de la route qui suit la vallée se tient une ancienne bâtisse fraîchement rénovée. C’est ici, à Couvet, que l’absinthe La Valote Martin est produite depuis le début de l’année. «J’arrive dans un instant, c’est un moment crucial dans le processus de distillation», lance Philippe Martin pour toute entrée en matière. Il réapparaît quelques minutes plus tard, drapé d’une capiteuse odeur herbacée. Certains diraient qu’il a l’absinthe dans le sang. Et ils n’auraient pas tout à fait tort: le père de Philippe, Francis Martin, est une figure de la clandestinité. «Bien sûr que mes sœurs et moi savions ce qu’il faisait, confie l’entrepreneur. On savait aussi qu’il ne fallait pas en parler. Les jours où il distillait, il prêtait attention au moindre détail, comme la direction du vent, qui aurait pu le trahir en diffusant les vapeurs s’échappant de son alambic.» Philippe Martin a quitté Boveresse pour s’installer dans ce bâtiment datant de 1868. «Maintenant que j’ai un site plus accueillant, je mets sur pied des dégustations durant lesquelles je profite de raconter l’histoire de l’absinthe, avec quelques anecdotes personnelles.»

Devant l’édifice, le jardin abrite quelques-unes des plantes nécessaires à la préparation de l’alcool: grande et petite absinthe, menthe, mélisse et hysope. Le fenouil et l’anis qui complètent la liste viennent de l’étranger. «Ma recette est la même que celle de mon père. Pour la goûter, on la dilue dans de l’eau, bien fraîche et sans glaçons. Jamais de glaçons!» La gamme de la Valote Martin compte neuf absinthes, dont une version bio et une autre affinée en barrique. «J’aime la tradition, mais je tiens aussi à tester des approches plus modernes.»

Débats en vue d’une IGP

Philippe Martin n’en reste pas là pour faire rayonner l’emblématique breuvage, puisqu’il lui offre son visage et sa voix: il préside l’interprofession de l’absinthe depuis 2022. «Nous sommes en discussion pour lui obtenir une indication géographique protégée (IGP). Cela n’a pas encore pu aboutir, notamment parce que des distillateurs, dont je fais partie, sont partisans d’exiger une provenance locale de certaines plantes, ce que d’autres ne souhaitent pas.»

Le débat est loin d’être clos. En attendant, depuis la légalisation de l’absinthe, des agriculteurs du vallon se sont mis à cultiver les plantes nécessaires à l’élaboration de la fée verte. «Passez voir la famille Baur, au Mont-de-Travers», nous conseille Philippe Martin. Quelques minutes de route et une série de lacets plus tard, nous voilà sur un plateau typiquement jurassien, de longs pâturages et des bosquets de conifères sous un ciel qui s’alourdit. Sur la droite, une bande d’un vert reconnaissable entre mille attire notre attention. Aucun doute, c’est une parcelle d’absinthe, diagnostic confirmé par l’odeur caractéristique douce-amère des feuilles lorsqu’on les frotte entre deux doigts. Elles seront récoltées dans quelques jours avant d’être mises à sécher.

Jambon à l'asphalte

Cuire du jambon dans l’asphalte? C’est sans doute la tradition locale à ne pas manquer. À l’entrée des mines d’asphalte de la Presta, exploitées jusqu’en 1986, on peut déguster ce plat historiquement préparé par les mineurs pour la fête de la Sainte-Barbe. La recette est simple: elle consiste à plonger un jambon à l’os, soigneusement emballé, dans le minerai chauffé pour le cuire lentement. Désormais confectionnée par la boucherie Dänzer de Travers et l’équipe du Café des Mines, cette spécialité attire un public venu de loin.

+ d’infos Mines d’asphalte, site de la Presta, Travers, mines-asphalte.ch

De la mozzarella de la vallée

Le vert est différent lorsque nous retrouvons la vallée. Çà et là, des mares dans lesquelles se baignent d’étonnants bovidés. Ce sont des bufflonnes dont le passe-temps favori consiste à s’immerger dans l’eau boueuse. Contrairement aux touristes, les Vallonniers ne s’étonnent plus: voilà vingt-cinq ans que la famille Stähli a fait le pari d’élever ces bovidés pour produire des fromages, la fameuse «mozzarella di bufala» en tête. «L’idée a germé en 1996, mais c’est en 2000 que le projet a pu se concrétiser, explique Georges Stähli. Aujourd’hui, nous détenons près de 300 bêtes.»

Les deux frères Stähli se sont réparti le travail: Georges gère les animaux et Daniel fabrique le fromage. «On valorise environ 250 000 kg de lait par année. Avec 8% de matière grasse, le lait de bufflonne est bien plus riche que celui de vache; il en faut donc moins pour faire de la mozzarella.» En un quart de siècle, leurs fromages se sont fait une place aussi bien dans la grande distribution que dans la restauration, tandis que le magasin familial de Travers constitue une halte de choix pour les épicuriens.

De la fève au chocolat

Si l’on connaît principalement le Val-de-Travers pour ses alcools et ses sites naturels (lire l’encadré), on ignore souvent que la vallée verte exporte aussi des chocolats. «Haute chocolaterie», clament de grandes lettres apposées sur le crépi blanc cassé d’une ancienne ferme rénovée au cœur de Môtiers. Nous sommes chez Jacot, une entreprise fondée en 1949, six boutiques de Genève à Zurich, un positionnement résolument haut de gamme et un laboratoire toujours situé dans la vallée neuchâteloise. Ici, on change les fèves de chocolat en véritables œuvres d’art.

L’entreprise pratique ce qu’on appelle le «bean-to-bar», soit la production de chocolats à partir de fèves brutes. En Suisse, ils ne sont qu’une dizaine d’artisans à appliquer cette approche radicale et technique. Dans un local attenant au laboratoire patientent des dizaines de sacs en jute frappés de noms qui évoquent les plus grands terroirs à cacao de la planète: îles Salomon, Sao Tomé, Madagascar, Pérou, République dominicaine… Dans les boutiques de Jacot, les créations contemporaines voisinent avec des clins d’œil aux traditions locales, à l’instar des Clous de Noiraigue ou des incontournables Clandestines, rehaussées d’un trait d’absinthe de Philippe Martin.

La boucle est bouclée: dans le vallon d’émeraude, on conjugue le patrimoine au présent. Le Val-de-Travers est vert dans tous les sens du terme, puisqu’il vient de rejoindre le programme Swisstainable, label national qui souligne l’engagement de la région dans une approche durable du tourisme. Le soleil décline sur le fief de la fée verte qui, sous un dernier reflet vert bouteille, disparaît peu à peu dans la pénombre. La région a encore bien des secrets à dévoiler.

Deux coins «nature» incontournables

Les gorges de l’Areuse

Prenant sa source en amont du village de Saint-Sulpice (NE), l’Areuse parcourt tout le Val-de-Travers avant de se frayer un chemin vers Boudry et le lac de Neuchâtel. La sage rivière se fait torrent sauvage alors qu’elle se faufile dans d’étroites gorges prisées des randonneurs. Ponts, passerelles et tourbillons sont au programme.

Le Creux-du-Van

Impressionnant cirque de calcaire, le Creux-du-Van est atteignable à pied: il faut quelques minutes depuis la ferme-restaurant du Soliat, et 2h depuis Noiraigue par le mythique Sentier des quatorze contours. Ce vertigineux théâtre naturel de 200 m de haut abrite une faune riche, que les lève-tôt auront sans doute la chance d’observer avant l’arrivée des nombreux touristes qui affluent vers ce site naturel unique en son genre.

Envie de partager cet article ?

Icône Boutique Icône Connexion