«La Suisse est un terreau fertile pour le développement des technologies durables»
Commençons par la base: comment définir ce qu’on regroupe sous le terme de cleantech?
Les cleantech regroupent les technologies, produits et services qui visent une utilisation durable des ressources et permettent la production d’énergie renouvelable. Elles ont pour fonction de ménager les systèmes naturels et, surtout, traduisent une attitude, des réflexes et un art de vivre qui amènent les individus et les entreprises de toutes les branches à agir en préservant les ressources de manière globale.
Quel est le rôle de CleantechAlps dans ce contexte?
CleantechAlps a pour vocation d’accélérer le déploiement des innovations visant la décarbonation de la société ainsi que son évolution vers davantage de durabilité. C’est la plateforme intercantonale de promotion de la durabilité et des cleantech en Suisse occidentale, qui est née en 2010 à l’initiative des cantons romands.
Quels sont les grands enjeux actuels dans le domaine des cleantech?
Nous sommes en train d’assister à une véritable révolution qui marque la transition d’un monde ancien vers un monde nouveau, dans un environnement pour le moins chahuté. Les entreprises sont confrontées à des défis sans précédent qui révèlent par exemple la vulnérabilité des chaînes d’approvisionnement face aux crises. La résilience des entreprises, soit cette capacité à résister aux perturbations, autrefois considérée comme une vertu commerciale, est devenue une nécessité urgente. Du côté des cleantech, de nombreuses solutions qui vont nous permettre de passer d’un monde carboné à un monde plus durable et basé sur les énergies renouvelables existent déjà.
En Suisse, plus de 600 start-up cleantech développent leurs idées et technologies.
De quels types de solutions parle-t-on?
Elles touchent à tous les aspects de notre société. Côté mobilité, on pourrait citer MobyFly, qui offre une alternative efficace et rentable au transport de masse avec ses bateaux électriques à foil, rapides, efficients et sans émissions de CO2. Du côté du traitement des déchets, je pense à DePoly, dont la solution de recyclage des déchets PET en matières premières de qualité vierge lui a valu la première place du Top100 Swiss Startup Awards.
Peut-on dire que la Suisse est un terreau fertile dans le domaine des cleantech?
Notre dernier rapport a révélé qu’en Suisse, plus de 600 start-up cleantech développent leurs idées et technologies. Quelque 90% des start-up recensées depuis 2000 sont encore actives aujourd’hui, ce qui montre un taux de faillite limité. La Suisse est donc en effet un terreau fertile, ce qui peut s’expliquer notamment par l’environnement d’accompagnement professionnel mis en place en Suisse. Des incubateurs, soit des structures consacrées au développement des entreprises, ont été créés dans tout le pays, du Campus Energypolis et de la Fondation The Ark à Sion à la Blue Factory de Fribourg en passant par l’EPFL Innovation Park (EIP) à Écublens (VD). Une large palette de services d’accompagnement, dont le coaching de start-up, mais aussi des programmes d’accélération et de formation à l’entrepreneuriat, des compétitions d’idées ou des forums d’investisseurs ont vu le jour. Des instruments de cofinancement ont aussi été étoffés, notamment via l’OFEN et l’OFEV. La force de la Suisse est la continuité de cette approche depuis une vingtaine d’années. Cela dit, ces instruments sont actuellement remis en cause par le chef du DETEC, Albert Rösti, et c’est préoccupant: on risque de casser la dynamique actuelle par ce coup de frein incompréhensible.
Le financement, défi numéro un
Développer de nouvelles technologies propres, ça coûte cher. Ainsi 59% des start-up cleantech citent-elles le financement comme principal défi. Il provient de deux sources: les fonds publics d’abord, qui permettent de faire mûrir les technologies (à l’instar par exemple des programmes pilotes de l’Office fédéral de l’énergie), ouvrant la porte au second plan, soit les financements privés via, le plus souvent, des fonds d’investissement.
Quel est le poids de la Suisse romande par rapport à la partie alémanique? Existe-t-il un Röstigraben des cleantech?
Il n’y a pas de Röstigraben en tant que tel. Cela dit, la densité de start-up par habitant est plus élevée que la moyenne en Suisse romande, en particulier dans les cantons de Vaud et du Valais. Cela s’explique par des politiques d’innovation fortes qui ont mis l’accent notamment sur des programmes de soutien aux installations et pilotes préindustriels.
Comment se passe le transfert technologique de la recherche à la mise en marché de solutions cleantech à l’échelle helvétique?
On observe majoritairement deux cas de figure. Le premier: un scientifique décide de commercialiser la technologie qu’il a développée pendant son master ou sa thèse. Dans ce cas, le transfert se fait automatiquement au travers du porteur de projet. Un autre cas de figure est qu’un porteur de projet se rapproche d’un institut qui possède l’expertise manquante pour développer sa technologie, et une collaboration étroite se met en place pour assurer le transfert de connaissance. Dans les deux cas on n’est qu’au milieu de la rivière, la seconde partie de la traversée représentant l’industrialisation du produit. Cette partie nécessite souvent de collaborer avec des industriels maîtrisant cet aspect.
Justement, côté industriel, dispose-t-on en Suisse de tous les atouts pour produire à large échelle de nouvelles solutions?
L’expertise helvétique en microtechniques et en ingénierie de précision combinée à la présence de grandes entreprises comme ABB, Lonza, Nestlé, Syngenta ou Roche et à une culture de l’excellence favorise l’industrialisation de nouvelles solutions. Cependant, la Suisse fait face à plusieurs défis pour une production à grande échelle: des coûts élevés, un manque d’infrastructures pour la production de masse, une difficulté à lever des fonds rapidement, une dépendance aux matières premières et aux composants étrangers, notamment pour les métaux rares et le silicium. La Suisse excelle dans la R&D et sur des marchés de niche.
Le marché national est trop petit pour assurer à lui seul le développement des acteurs suisses.
Pour se développer à grande échelle, il faut aussi se faire connaître. Les cleantech suisses savent-elles se vendre?
Parler de durabilité dans une période de crise et de coupes budgétaires est un exercice délicat. Le réchauffement climatique et ses effets, par exemple les catastrophes naturelles que l’on a vécues ces derniers temps, de l’ouragan à La Chaux-de-Fonds à la lave torrentielle dans le val de Bagnes en passant par le débordement de la Morges ou du Rhône, soulignent la nécessité de prendre des mesures. Les cleantech permettent de réaliser ces mesures, et dans ce sens, oui, elles savent se vendre, bien que l’on ne soit encore qu’au début de leur déploiement à large échelle.
Quels ajustements seraient nécessaires pour accélérer ce déploiement, notamment sur le plan du cadre réglementaire?
Les fonds alloués à la transition et en particulier aux projets proches de l’industrialisation, juste avant le déploiement sur le marché, sont clairement insuffisants. Une solution serait d’augmenter le montant des programmes de soutien, de les réunir et les gérer dans quelques gros programmes, tout en simplifiant les critères d’attribution. Malheureusement, en ce moment, le Conseil fédéral fait exactement le contraire: la procédure de consultation sur les coupes budgétaires, lancée en janvier dernier, implique la suppression de quasiment tous les programmes de soutien, en particulier ceux qui concernent des projets proches du marché… qui est justement le maillon manquant sur le plan du financement en Suisse!
Dans le contexte de la concurrence avec des géants de la tech, quels arguments a-t-on en Suisse pour se faire une place sur ce marché ultraconcurrentiel?
Notre postulat, chez CleantechAlps, c’est que le marché national est trop petit pour assurer à lui seul le développement des acteurs suisses. Il n’est qu’une première étape dans le développement du secteur et doit servir de tremplin pour ouvrir la porte de l’internationalisation. Si la Suisse a beaucoup d’atouts pour atteindre ce marché, elle doit passer la vitesse supérieure et mieux se coordonner.
Si l’on regarde vers l’avenir, dans quels domaines voyez-vous le plus grand potentiel en Suisse?
La Suisse est connue pour avoir de véritables pépites parmi ses PME. On les appelle les «hidden champions», ou champions cachés, car ce sont des leaders mondiaux dans leur secteur tout en étant inconnus du public helvétique. Pour les cleantech, c’est pareil: on a des leaders dans quasiment chaque secteur sans autant pouvoir parler d’un leadership dans un domaine particulier. Si je devais absolument citer deux secteurs phares, je dirais les agritech et la chimie durable.
+ d’infos cleantech-alps.com
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