À Satigny, il sculpte de ses mains une forêt miniature de bonsaïs
Au cœur d’un quartier résidentiel de la campagne genevoise, un jardin se distingue poétiquement de ceux des maisons avoisinantes. Ici, nul besoin de pelle ou de râteau, mais de petits ciseaux et d’une pince miniature. Nous sommes dans le musée vivant de Nicolas Amann, à Satigny, un havre de sérénité et de précision inspiré du Japon.
Sublimer et non contraindre
Après avoir passé l’hiver dans une serre sur la terrasse, ces arbres en pot ont retrouvé leurs quartiers d’été depuis deux semaines. Alors que les premières feuilles et fleurs pointent le bout de leur nez, l’heure est au rempotage. Une activité particulièrement chronophage, à laquelle ce chef d’entreprise s’adonne le soir et le week-end.
«Je coupe environ la moitié des racines pour qu’elles puissent s’affiner et se multiplier. L’idée est que la plante garde sa petite taille, tout en restant en bonne santé», explique-t-il. Si toutes les essences peuvent être transformées en bonsaïs, les érables japonais, pommiers, genévriers et pins s’y prêtent particulièrement bien. «Ils peuvent vivre plusieurs siècles si on s’en occupe avec constance et sérieux.»
Semis ramenés du Japon
Afin de créer une véritable forêt miniature, Nicolas Amann a ramené plusieurs semis de ses voyages au Japon, qu’il a modelés selon les codes esthétiques de cet art traditionnel. Les styles les plus courants sont les bonsaïs droits ou penchés. Ces arbres à la belle conicité ont généralement une cime aplatie et plusieurs étages de branches», expose-t-il en montrant un pin blanc particulièrement réussi.
«Une impression d’harmonie doit s’en dégager. Les vides doivent mettre en valeur les pleins.» Pour y parvenir, cet autodidacte utilise la technique de ligature, qui consiste à enrouler du fil de cuivre pendant plusieurs mois autour des branches pour modifier leur position.
L’art du metsumi
Au printemps, certaines jeunes pousses sont ensuite coupées, afin d’obtenir de courtes ramifications et de petites feuilles. On parle alors de pincement, ou metsumi. «Il ne s’agit pas de contraindre l’arbre, mais de le densifier et de le sublimer», tient-il à préciser. Une taille fréquente des rameaux supérieurs permettra de maintenir sa forme durant l’été.
«Il faut contrecarrer la dynamique de la plante, qui pousse naturellement vers le haut. Dix ans de travail sont nécessaires pour qu’une bouture prenne la forme désirée. Mais ce n’est jamais terminé. C’est le travail d’une vie!» Désireux de jardiner au naturel, le quadragénaire n’utilise toutefois aucun produit chimique, si ce n’est des boîtes anti-fourmis, pour éviter l’apparition de pucerons.
Le jardinier
Hobby chronophage
Amateur de la biodiversité sous toutes ses formes, Nicolas Amann possède également plusieurs yamadori, soit des arbres directement prélevés dans la nature. «Ces spécimens ont plus de caractère, avec des restes de bois mort. Ils transmettent une réelle émotion, avec un côté dramatique», dit-il, en illustrant ses propos avec un remarquable genévrier sabine venu d’Espagne.
Son préféré reste toutefois un orme du Japon, l’une de ses premières acquisitions. «Pendant une partie de basket avec mon frère, il s’est cassé et il a fallu le restructurer entièrement. Plus tard, une autre branche s’est brisée. Je l’ai alors récupérée pour en faire une bouture. J’y tiens beaucoup!»
Des arbres partis en fumée
Une autre histoire, plus sombre, a marqué ce père de famille. Un incendie survenu il y a quatre ans, qui a dégradé une quinzaine de bonsaïs qui bordaient sa clôture. «Des années de travail sont parties en fumée. Il a fallu leur imaginer une nouvelle destinée en fonction des dégâts», raconte-t-il en pointant le tronc encore noirci d’un genévrier de Chine.
Malgré tout, la collection a fière allure et a déjà été exposée dans de nombreux salons spécialisés, en France, en Belgique et en Italie. Lors de ces événements, chaque bonsaï est associé à un kusamono, une plante d’accompagnement faisant office de marqueur de saisonnalité. Dans le jardin genevois, ces compositions miniatures se comptent par centaines.
Attention aux vacances
«Quand je pars en voyage, je ramène toujours des plantes locales dans cette optique», glisse-t-il. Quant à la poterie choisie, Nicolas Amann assure qu’elle a autant d’importance que le bonsaï en lui-même. «Pour les conifères, une céramique non émaillée est plus adaptée, afin que la plante respire mieux», détaille-t-il, en montrant fièrement les sceaux de potiers japonais sous certains de ses arbres.
En attendant la tenue d’une prochaine exposition, le bonsaïka a installé une ombrière au-dessus du jardin pour protéger les précieux végétaux des fortes chaleurs. À la belle saison, deux arrosages par jour seront nécessaires, «et ce même par temps de pluie, car l’apport en eau doit être homogène», précise ce grand perfectionniste.
Et les vacances dans tout ça? «C’est toute une organisation, reconnaît-il. Il faut trouver une personne de confiance pour s’en occuper. Mais j’aime cette idée de rigueur et de ténacité. Dans une société marquée par l’immédiateté, la patience dans l’art du bonsaï est une belle philosophie.»
En chiffres
80 bonsaïs et 200 kusamono font partie de sa collection
1 serre en hiver
2 arrosages par jour à la belle saison
Plus de 1000 ans, l’âge de cet art traditionnel japonais
Au moins 10 ans de travail pour façonner un bonsaï à partir d’une bouture
1 étang avec 7 carpes koïs