Animaux
Espiègles et joueuses, les chèvres sont aussi d’excellentes marcheuses

Des biquettes en balade, et pourquoi pas? À Enney et Épagny, en Gruyère (FR), Sandrine Amey propose des randonnées en compagnie de son troupeau de caprins. D’autres offres semblables existent en Suisse romande.

Espiègles et joueuses, les chèvres sont aussi d’excellentes marcheuses

C’est Vinz qui ouvre la marche. Un honneur qui revient logiquement au bouc rayé des Grisons âgé de
9 ans, à la fois le plus vieux et le plus imposant du troupeau. Il est talonné par Popcorn, probable successeur à cette tâche, qui n’hésite pas à jouer des cornes pour faire sa place. Derrière le duo suivent Biscôme, Flocon et Rosalie, le reste de cette joyeuse bande de caprins en balade dans la forêt de Chésalles. Nous sommes sur les hauts d’Enney, dans la commune de Bas-Intyamon, en Gruyère (FR).

Depuis le début de l’année, Sandrine Amey propose des promenades dans la région avec ses cinq chèvres de randonnée. L’idée? Allier plaisir de la marche et contact avec ses bêtes le temps de sorties de deux heures à une demi-journée. Et, à la croire, le concept a ses adeptes. «Je n’imaginais pas un tel engouement. L’offre plaît notamment beaucoup aux familles, car mes biquettes motivent les enfants à marcher tout en leur permettant de créer avec elles un lien privilégié», s’enthousiasme la Gruérienne de
40 ans.

 

Apprentissage au plus jeune âge

Accompagnatrice de montagne et employée de commerce à temps partiel, elle s’est lancée dans cette activité après avoir elle-même testé l’expérience l’été dernier. «Je campais près d’Interlaken (BE) avec mes filles et une dame proposait des balades dans la région. Moi qui pensais depuis toujours que les chèvres étaient peu dociles et fugueuses, j’ai été surprise de voir à quel point elles pouvaient au contraire se montrer coopératives et suivre en liberté», poursuit Sandrine Amey.

Elle apprend que l’éleveuse bernoise souhaite justement se séparer de son troupeau pour se concentrer sur son cheptel laitier. «Quelques mois plus tard, je repartais les chercher pour les ramener chez mon compagnon, qui est agriculteur à Épagny (FR).» Pour assurer la relève de son petit troupeau, Sandrine Amey a prévu d’adopter des cabris l’hiver prochain. Car la formation des chèvres de randonnée commence dès leur plus jeune âge. «Il faut les biberonner et développer très tôt un lien avec elles pour les habituer à me suivre. En somme, l’idée est qu’elles me prennent un peu pour leur mère de substitution.»

 

Laitières mieux adaptées

Bien qu’elles demeurent pour l’heure moins populaires que les excursions à dos d’âne ou de poney, les promenades avec des biquettes commencent gentiment à faire leur chemin en Suisse. À Grange-Veveyse (FR), Chouki-Chèvres propose des sorties similaires depuis le printemps 2021, et Jeanne-Charlotte Bonnard a démarré cette activité à Romainmôtier (VD) en 2015 déjà. Dans le canton de Saint-Gall, un couple organise même des treks de plusieurs jours avec leurs chèvres de bât.

La tendance n’étonne guère Katrina Wiesmann, biologiste spécialisée dans les interactions homme-animal et auteure d’une thèse de doctorat sur les caprins. «Ce sont des bêtes curieuses qui peuvent se montrer très proches des gens, surtout si elles sont habituées très jeunes à leur contact, et leur agilité en fait d’excellentes marcheuses qui ne craignent pas les chemins escarpés. Mais toutes ne sont pas adaptées au trekking. J’ai constaté que les laitières, élevées depuis leur naissance par les humains, sont souvent moins stressées que les races naines, dont les individus sont restés avec leur mère. L’explication se trouve certainement dans leur éducation, mais peut-être aussi dans la sélection génétique», prévient la spécialiste.

 

Inventifs et indépendants

Contrairement aux moutons, dont l’instinct grégaire est extrêmement fort, les caprins affichent un caractère étonnamment indépendant. Une qualité qu’ils doivent à leur organisation sociale. «Certes, comme pour tout animal de proie, la présence du groupe est importante, mais il est fréquent que des individus se hasardent seuls en quête de nourriture ou grimpent sur un arbre pour y attraper quelques feuilles. À l’origine, ces animaux viennent de régions très arides où l’alimentation est rare et difficile d’accès. C’est ce qui les a rendus au fil du temps aussi inventifs et aventureux», poursuit Katrina Wiesmann.

Il est donc plus facile d’isoler un membre du troupeau pour l’habituer à partir seul en balade ou lui proposer une séance d’éducation. Car, là encore, les caprins se révèlent de bons élèves, moyennant un peu de travail et beaucoup de patience. «Les chèvres savent résoudre des problèmes et semblent aimer cela. Dans une étude, nous avons constaté qu’elles pouvaient non seulement apprendre à ouvrir une petite porte coulissante avec leur museau pour attraper une récompense, mais qu’elles choisissaient cette option même lorsque la nourriture était disponible en libre accès devant elles», détaille Katrina Wiesmann.

Sandrine Amey, elle, se dit surtout impressionnée par les capacités sociales de ses biquettes. «Elles sont douces avec les enfants et leur présence met aussi les adultes en confiance. J’ai par exemple observé que certaines personnes d’ordinaire plutôt réservées s’ouvraient facilement à leur contact. Je suis très touchée par les liens que ces bêtes arrivent à créer entre les gens.»

+ d’infos Pour réserver une balade chez Sandrine Amey: www.decouverte-nature.ch

Texte(s): Aurélie Jaquet
Photo(s): Pierre-Yves Massot

Forte hiérarchie

Si les liens entre les individus d’un troupeau peuvent être très forts, les chèvres cultivent aussi une hiérarchie extrêmement marquée. Afin d’éviter les risques de blessures, de nombreux éleveurs choisissent de recourir à l’écornage de leurs bêtes. Mais les confrontations n’en demeurent pas moins musclées. Bénéficier d’un espace suffisamment grand, de la possibilité de s’isoler et de se mettre en hauteur sont autant d’éléments importants permettant aux animaux bas de rang de garder leurs distances avec les congénères dominants, rappelle Katrina Wiesmann.

Plusieurs races suisses menacées

Appelée la «vache du pauvre», la chèvre aurait été domestiquée vraisemblablement d’abord pour son lait, puis pour sa laine, sa viande, sa peau et son cuir, sur les plateaux de l’actuel Iran au début du néolithique, soit entre la fin du neuvième et le début du huitième millénaire avant notre ère. On compte aujourd’hui une multitude de races à travers le monde, et la grande adaptabilité de ces animaux leur a permis de trouver leur place sur tous les continents et dans les régions les plus arides de la planète. La Suisse dénombre onze races indigènes. La chèvre de Gessenay, originaire du Saanenland et de l’Obersimmental, excellente laitière, celle du Toggenbourg ainsi que l’alpine chamoisée sont les trois plus populaires. Mais plusieurs autres sont menacées – notamment la Nera Verzasca, la rayée des Grisons, la col noir du Valais ainsi que la chèvre paon – et bénéficient de programmes de protection et de soutien de la fondation ProSpecieRara.