Sur une colline lucernoise, le paprika profite du soleil pour s’épanouir
A priori, le paprika, accoutumé à un climat sec et plutôt chaud, ne semble pas vraiment destiné à s’adapter aux terres lucernoises… De fait, pour Toni Büchler, l’aventure a commencé de façon fortuite: «Il y a six ans, j’ai récupéré dans un magasin une cinquantaine de plantons de ces piments doux, qui allaient finir au compost, raconte l’agriculteur, du domaine Isehuet à Altbüron. Je les ai ajoutés à mes rangs de poivrons et nous en avons d’abord vendu les fruits frais, puis séché l’excédent, tout en recueillant les graines afin d’en faire de nouveaux plantons. Ils ont trouvé preneur sans difficulté parmi notre assortiment de légumes en vente directe, mais le séchage prenait beaucoup de temps. Réduire les paprikas en poudre était l’étape suivante.»
Aujourd’hui, une vingtaine de variétés de ces piments poussent chaque année sur 12 ares. «Un quart d’entre elles sont plutôt douces, une proportion équivalente plutôt fortes, et nous avons également des chilis qui entrent eux aussi dans la composition de nos mélanges d’épices», précise Toni, qui a repris l’exploitation familiale, située à deux pas de la frontière cantonale entre Berne et Lucerne, il y a douze ans. À quelques dizaines de mètres au-dessus de la ferme, ses cultures maraîchères bénéficient de sols plus profonds et riches qu’en contrebas, ainsi que d’un ensoleillement très régulier été comme hiver. Si les deux tiers des paprikas sont installés en pleine terre, le reste profite des tunnels montés au même endroit.
Diverses compositions
«Ces couverts servent à garantir une récolte, les plantes étant très sensibles au gel, même de 1°C ou 2°C sous zéro, explique le producteur. On y met les variétés les plus importantes pour la saveur des mélanges finaux.» Grâce à la chaleur relative offerte par le plastique, le maraîcher peut y disposer ses plantons – faits maison durant l’hiver grâce aux semences recueillies année après année – dès la mi-avril, soit plusieurs semaines avant la plantation des paprikas en pleine terre. «En général, on prélève ceux-ci avant les premières gelées d’octobre, et ceux des tunnels à la mi-novembre, indique Toni. Les fruits doivent être bien rouges, sans quoi ils ne développent pas leur goût caractéristique.»
Le séchage intervient dès la récolte, dans l’installation qui sert également aux herbes aromatiques. Ensuite, les fruits sont assemblés en fonction de leur force, après avoir été broyés et réduits en poudre selon un procédé à propos duquel Toni reste évasif – «notre petit secret de fabrication» élude-t-il en souriant. Toni et Fabienne proposent trois compositions, de «fort» à «doux» en passant par «edelsüss», un assemblage caractérisé par un petit arrière-goût sucré. «Ce sont ces deux derniers mélanges qui sont les plus appréciés de la clientèle, fait-il remarquer. On effectue beaucoup de dégustations, en mettant à contribution famille et amis, avant d’obtenir le résultat recherché.»
Une production qui reste marginale
En Suisse, le piment s’avère un cas particulier du poivron… qui est lui-même un paradoxe helvétique: s’il occupe la troisième place des légumes préférés des consommateurs, sa culture reste totalement marginale, avec moins d’une vingtaine d’hectares sur l’ensemble du territoire, dont la moitié environ en agriculture biologique. Quant à la production annuelle, elle dépasse rarement le millier de tonnes: 836 l’an dernier, à mettre au regard des 45‘550 tonnes importées dans le même laps de temps.
Est-ce une question de climat? «En réalité, celui-ci ne joue qu’un rôle secondaire, la production se faisant presque exclusivement sous serre, explique Markus Waber, directeur adjoint de l’Union maraîchère suisse. Si elle n’est pas plus importante dans notre pays, c’est surtout parce que cette denrée n’a pas de protection à la frontière. Et cette culture étant très complexe et onéreuse, il n’est pas possible de rivaliser avec les coûts moins élevés à l’étranger.»
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Couverture permanente
Outre un terroir favorable, c’est surtout l’attention soutenue que Toni Büchler porte à ses sols qui a sans doute facilité l’épanouissement du piment doux à Altbüron. «La couverture permanente est un principe, en pleine terre et sous les tunnels, confie l’agriculteur. En ayant constamment amélioré la vie et la santé de nos sols, elle nous permet de compenser des apports en fumure un peu knapp (ndlr: maigres). Et on parvient sans peine à éviter les problèmes de concurrence; par exemple, je sème le couvert sur les jeunes paprikas d’un mois, lorsqu’ils sont suffisamment résistants.» Des rotations adéquates entre les six tunnels aident en outre à maintenir constamment les terres en bonne forme.
Labellisé Bio Bourgeon depuis douze ans et Demeter depuis trois ans, Toni Büchler y voit un soutien à sa philosophie de culture personnelle plutôt qu’un cadre strict à respecter. «Je passe beaucoup de temps à observer mes sols, en étant attentif à tous les éléments, même intangibles, note-t-il. En fin de compte, c’est une conviction forgée sur l’intuition qui doit déterminer si un traitement doit être fait ou pas.»
En chiffres
14 hectares en propre, 40 hectares en association avec un voisin: telle est la surface du domaine Isehuet où sont cultivés des hautes tiges, des légumes ainsi que des salades en pleine terre et en tunnels.
Une vingtaine de vaches allaitantes, veaux et remontes compris.
Deux spécialités: les herbes aromatiques et le paprika.
Un axe de commercialisation quasi exclusif: la vente directe à la ferme, par e-shop et dans les marchés régionaux.
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www.isehuet.ch
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