Le stockage des pommes de terre chauffées par le soleil: un défi
Son réveil sonne bien avant l’aube. Sébastien Pasche part à 4 h 30 récolter ses pommes de terre, cultivées sur 60 hectares autour de Thierrens (VD). «La chaleur de ces dernières semaines nous préoccupe beaucoup», avoue l’agriculteur, également vice-président de l’Union suisse des producteurs de pommes de terre. Si le Vaudois se lève aussi tôt, c’est pour bénéficier de la fraîcheur du petit matin. Elle lui permet de ramasser ses tubercules avant que ceux-ci n’aient eu le temps de se réchauffer.
Dès midi, en effet, le thermomètre dépasse les 20°C, ce qui risque d’avoir des répercussions sur la préservation des solanacées ces prochains mois. «Cette année, les patates mettent plus de temps à se refroidir. Afin de bloquer leur développement, il faut bien maîtriser la température lors du stockage, l’abaissant petit à petit jusqu’à atteindre 5°C», poursuit-il en pénétrant dans l’une de ses immenses halles qui peuvent contenir jusqu’à 600 tonnes de pommes de terre en fin de saison.
Contraintes multiples
Cette année, le Vaudois a accru sa surface cultivée de 20%, mais il s’attend à ramasser autant de tubercules que l’an dernier – et donc à accuser une perte à hauteur de 20%. Il n’est d’ailleurs pas le seul à noter une baisse importante, certaines régions ayant particulièrement souffert de la sécheresse en début de saison. L’Union suisse des producteurs de pommes de terre estime que les stocks ne devraient finalement pas dépasser 250 000 tonnes de patates, alors qu’elle en espérait 350 000.
Malgré tout, les agriculteurs doivent garantir l’approvisionnement des ménages et des industriels – chaque Suisse consomme 42,6 kg de patates par an. Les paysans sont donc contraints de garder leur production dans leurs frigos, jusqu’au mois de février. Perte de la teneur en eau ou transformation de l’amidon en sucre, germination indésirable: les contraintes sont multiples pour assurer la qualité des tubercules gorgés de soleil avant que ceux-ci ne soient placés dans les étals.
«Outre le rendement de nos récoltes qui ne cesse de baisser à cause du réchauffement climatique, la gestion du stockage est devenue beaucoup plus pointue depuis que plusieurs produits phytosanitaires de synthèse, comme le chlorprophame (CIPC), ont été interdits en Suisse (ndlr: lire l’encadré ci-dessous), note encore Sébastien Pasche. On joue avec le feu!»
Banni de l’Europe
Le but n’est pas de remplacer les exploitations existantes, mais de montrer que ce modèle à sa place. La demande pour des produits frais et de qualité en circuits courts s’avère croissante. Malgré les freins existants, de nombreuses petites structures sont viables et se portent bien. Par exemple, chez Système B, nous faisons un chiffre d’affaires de 80000 francs par année sans bénéficier des paiements directs. Nous en sommes fiers, car cela montre qu’une autre agriculture est possible. Afin de continuer à aller dans cette direction, il faut faciliter la tâche des micromaraîchers. Nous nourrissons la population locale, nous avons le droit d’être reconnus et légitimés dans nos pratiques.
Alternatives examinées de près
Conscientes de l’enjeu, les équipes de l’Agroscope travaillent depuis des années sur cette question, en collaboration avec Fenaco, Zweifel et Swisspatat. «Le chlorprophame était très efficace pour contrôler la germination. Une seule application en début de stockage pouvait être suffisante afin de conserver les pommes de terre pendant plusieurs mois sans germe, reconnaît Margot Visse-Mansiaux, collaboratrice scientifique à l’Agroscope, qui a réalisé une thèse sur le sujet.
Avec les alternatives disponibles, plusieurs applications sont nécessaires pour contrôler la germination, ce qui coûte souvent plus cher, prend davantage de temps et demande un contrôle plus minutieux des tubercules au cours de cette période.» Maîtriser ces nouveaux antigerminatifs ne sera pas le seul gage d’une conservation idéale. Les producteurs devront aussi adapter leurs pratiques de façon à éviter qu’une partie de leur récolte ne soit déclassée en fourrage pour le bétail, note l’Agroscope.
Améliorer l’isolation des bâtiments
«La température de stockage devra, par exemple, être plus basse que 4 ou 6°C, poursuit Margot Visse-Mansiaux, soulignant toutefois que certaines variétés sont sensibles au sucrage à basse température, c’est-à-dire que leur taux de sucres réducteurs peut augmenter, ce qui conduit au brunissement et à la production d’acrylamide lors du processus de friture. Il faudra également améliorer l’étanchéité des bâtiments de manière à prévenir les pertes de froid et de produits antigerminatifs.»
Une partie du problème pourrait toutefois être résolu en changeant la pratique même du déstockage. Quelle patate écouler en premier? Pour épauler les producteurs dans leur choix, l’Agroscope a développé un modèle afin de prédire les dates de dormance et, par conséquent, de germination d’une variété pendant une saison donnée sur la base des paramètres météo durant la période de croissance de la pomme de terre. «Nous devons continuer de travailler sur cet outil d’aide à la décision pouvant être utile à de nombreux agriculteurs», conclut la scientifique.
Produits naturels à la rescousse
Depuis 2015, l’Agroscope mène des tests afin de trouver une alternative au CIPC. En agriculture conventionnelle, la molécule 1,4-DMN (1,4-diméthylnaphtalène), commercialisée sous le nom de Dormir, peut être employée depuis 2020. Une limite maximale de résidus dans le produit final doit cependant être observée. Cette hormone naturellement présente dans les pommes de terre est synthétisée chimiquement de façon à être utilisée en tant qu’antigerminatif. L’hydrazide maléique, vendu notamment sous l’appellation Fazor, permet aussi de retarder la germination au stockage. En agriculture biologique, l’éthylène, hormone présente naturellement dans de nombreux fruits et légumes, bloque l’apparition des germes. Les agriculteurs peuvent également compter sur l’huile essentielle de menthe, contenant avant tout la molécule active L-carvone. «Nous espérons une homologation prochaine de l’huile d’orange (comportant du limonène), commercialisée sous le nom d’Argos, qui s’est montrée efficace lors de nos essais, précise Margot Visse-Mansiaux, de l’Agroscope. L’éthylène et les huiles ont l’avantage d’être autorisés en agriculture biologique dans la plupart des pays européens et en Suisse; il n’y a pas de limite maximale de résidus dans le produit final à respecter.»
+ d’infos
www.agrarforschungschweiz.ch
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