Décryptage
Vu le climat changeant, l’alpage du futur devra mieux gérer eau et herbe

Le réchauffement climatique fait désormais partie des paramètres à prendre en compte dans la gestion des alpages, notamment pour son impact sur les ressources en eau et en fourrage.

Vu le climat changeant, l’alpage du futur devra mieux gérer eau et herbe

En Suisse, les températures ont augmenté d’environ 1,7 degré en 150 ans, modifiant le contexte climatique pour le secteur agricole dans son ensemble. Les alpages, fortement dépendants de la ressource en eau venue du ciel et du sous-sol, sont particulièrement à la merci du climat. «Les épisodes de sécheresse sont toujours plus fréquents et intenses. Ils constituent désormais l’inquiétude première des alpagistes», observe Éric Mosimann, du bureau spécialisé dans les aménagements d’alpage Montanum. Les alpages du Jura vaudois ont ainsi subi trois sécheresses coup sur coup en 2013, 2015 et 2018, obligeant le canton à déclencher des plans Orca-sécheresse pour les réapprovisionner en eau.
«Les esprits ont été marqués par ces épisodes, et les pratiques commencent à changer, admet le président de la Société vaudoise d’économie alpestre Jean-Luc Humbert. Mais la problématique de l’eau dans l’arc jurassien ne date pas d’hier, et les alpagistes ont toujours eu l’habitude de faire des réserves.» Avec 1800 mm de précipitations annuelles, le Jura est théoriquement bien arrosé, mais en raison de la nature filtrante de ses sols, les déficits hydriques sont monnaie courante. Force est de constater que la disponibilité en eau pour abreuver le bétail, tout comme les précipitations assurant la qualité des pâturages, fait de plus en plus souvent cruellement défaut.

Étang ou citernes
«Faire des captages ou construire des conduites afin de redistribuer l’eau, c’est certes une bonne chose. Mais il faut avant tout pouvoir stocker cette eau, en la récupérant par exemple lors la fonte des neiges», explique Éric Mosimann. L’agriculteur José Jeanmonod, qui estive avec une cinquantaine de vaches laitières depuis bientôt vingt ans à l’alpage de Sétif, au-dessus de Provence (VD), y a réalisé un étang de stockage en 2017. «On utilise 300’000 litres d’eau pour tenir nos 120 jours d’alpage. Auparavant, je devais en charrier plusieurs fois par semaine. Nous avons fini par construire un étang, moins coûteux que des citernes.» Une rétention de 350 m3 a été creusée puis bâchée en un point culminant de l’alpage, à 1300 d’altitude. Un kilomètre et demi de conduites ont été ensuite tirées pour approvisionner sept abreuvoirs, alimentés par simple gravité. L’ouvrage devisé à 80’000 francs a été financé aux trois quarts par le Canton. «On a gagné en qualité de vie et, surtout, on envisage l’avenir plus sereinement», confie l’alpagiste.

Bien valoriser le fourrage
Autre problématique de taille liée au changement climatique, la disponibilité du fourrage. La production des prairies est en effet diminuée en période de sécheresse et ce d’autant plus dans l’arc jurassien, zone particulièrement vulnérable au déficit hydrique. En 2015, les pertes de rendements de fourrage se sont ainsi élevées à 40% pour certaines régions. «À court terme, les achats de fourrage sont le plus souvent privilégiés. Mais cette logique conduit peu à peu à une perte d’autonomie et remet en question la traçabilité de la production», regrette Éric Mosimann. C’est pourquoi il recommande plutôt aux alpagistes de revoir leurs pratiques en termes de gestion des herbages, et de chargement à l’hectare. Mieux valoriser l’herbe au printemps peut s’avérer une stratégie payante. José Jeanmonod alpe ainsi son bétail chaque année un peu plus tôt. «En 2019, nous avons battu le record et sommes montés le 12 mai! On a ainsi pu profiter pleinement de la première pousse d’herbe, qui intervient de façon toujours plus précoce.» L’exploitant évite ainsi de se faire dépasser par la pousse des pâtures une fois la saison bien lancée. «On ne peut pas se permettre de se retrouver avec de l’herbe sèche sur pied, moins appétissante et moins nutritive pour le bétail.» Convaincu que les importations massives de fourrage ne sont pas une solution au changement climatique, Éric Mosimann évoque encore l’importance d’apprendre à mieux gérer ses herbages: «Produire du lait à la montagne à base d’herbe sera toujours possible dans cinquante ans, mais s’avérera sans doute plus complexe.»

Adapter la taille du troupeau
Une restructuration de l’exploitation peut également être une piste à étudier. Au Mont-Bailly, au-dessus de Gimel (VD), Sophie Croisier ne finira la saison d’alpage qu’avec des génisses et des vaches taries. «Nos laitières seront redescendues sur notre exploitation de Gimel fin juillet, faute d’herbe en altitude.» Éric Mosimann pousse la filière alpestre à s’interroger sur la taille et le type des troupeaux alpés. «Il existe des types de vaches mieux adaptés au pâturage et aux températures élevées. On peut modifier ses buts d’élevage ainsi que le chargement de bétail en fonction du potentiel réel de l’alpage.» De son côté, José Jeanmonod a par exemple réorganisé sa stabulation, de façon que ses vaches puissent être plus aisément détenues à l’intérieur du chalet. «Par temps chaud, je rentre facilement mon bétail, qui souffre ainsi moins des températures et consomme par conséquent moins d’eau.»

Texte(s): Claire Muller
Photo(s): Claire Muller

Sources taries à Fribourg

Dans les Préalpes fribourgeoises, l’approvisionnement en eau fait également partie des préoccupations des alpagistes: «Les sécheresses successives ont placé l’eau au cœur de nos priorités, reconnaît le responsable de la Société d’économie alpestre fribourgeoise, Frédéric Ménétrey. On observe ainsi que certaines sources qui n’avaient jamais posé problème se tarissent depuis l’an passé.» Si la disponibilité en fourrage n’inquiète pas spécialement le Fribourgeois, il reconnaît la nécessité pour chaque alpage de revoir les possibilités existantes en termes de stockage, avant de chercher de nouvelles sources, voire d’envisager de mettre en réseau plusieurs alpages.