Agriculture
Vache star du Salon de l’agriculture, Neige s’apprête à monter à Paris

Du 26 février au 6 mars, la manifestation se déroulera à la Porte de Versailles. Rencontre avec la tête d’affiche de l’événement, portant haut les couleurs de la race d’Abondance, dans son étable de Haute-Savoie.

Vache star du Salon de l’agriculture, Neige s’apprête à monter à Paris

Elle vous accueille l’œil distrait et le mufle altier, avec l’air blasé des célébrités qui enchaînent les interviews. Il faut dire que c’est le cas: depuis quelques mois, Neige est au cœur d’un tourbillon médiatique. Choisie pour être l’égérie du Salon international de l’agriculture (SIA) de Paris, elle est partout. Campagnes d’affichage, articles de presse, reportages télévisés, elle porte sur ses solides épaules l’image d’une agriculture de montagne qui veut se montrer sous son meilleur jour.

Cela sent déjà le printemps sur les hauteurs du Grand-Bornand. Un doux soleil matinal baigne la cour de la ferme de la famille Missillier, éleveurs de père en fils dans ce coin de la Haute-Savoie. Trépieds, flashes, réflecteurs, chaîne des Aravis en toile de fond, tout est en place pour une séance photo de la star locale. Qui a toutefois décidé de jouer les divas: pas question pour la vache de sortir de la tiédeur de l’étable. Il faut au maître des lieux force caresses et encouragements pour la décider à mettre un pied dehors. Enfin, la voilà qui déboule dans la cour: 1 m 47 au garrot, une demi-tonne de muscles recouverts d’une livrée acajou qui chatoie sous le soleil.

 

Taillée pour la montagne

Dans la région, on aime dire que l’Abondance est blanche seulement où l’or blanc peut l’atteindre: sur les jambes, le ventre et le museau. Avec sa robe luisante, ses lunettes sombres autour des yeux, ses cornes ouvertes et sa mamelle portée haut, Neige remplit tous les critères de la race. «Regardez ses pieds, note Philippe Missillier. Ils sont extrêmement robustes. C’est l’une des principales caractéristiques de l’Abondance qui, avec ses excellents aplombs, est une marcheuse parfaitement adaptée à la vie à l’alpage. Elle supporte les grandes variations de température et valorise bien le fourrage grossier.» L’éleveur sait de quoi il parle, lui qui préside l’Organisme de sélection des races alpines réunies et côtoie ces rustiques laitières d’aussi loin qu’il s’en souvienne.

C’est en 1990 que les Missillier s’installent dans cette ferme perchée au-dessus du Grand-Bornand. «Nous avons fondé un groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC) avec mes parents, se remémore le quinquagénaire. Puis le temps a passé, ils ont pris leur retraite et Pauline et Arnaud, ma belle-fille et mon fils, sont entrés dans le groupement.» Ce qui ne change pas, c’est le rythme de la vie à la ferme du Maroly, dicté par les deux traites quotidiennes, les soins aux bêtes et la fabrication du reblochon fermier, spécialité locale qui fait vivre une bonne partie des exploitations haut-savoyardes: «80% de notre lait est transformé sur place en reblochon, explique Philippe Missillier. Le reste est destiné à produire tommes et raclette.»

 

Carte de visite agricole

L’air se réchauffe à mesure que le soleil prend de la hauteur. Dans quelques semaines, la montagne reverdira et les 47 vaches prendront la route de l’alpage du Maroly, qui a donné son nom au domaine: un coin de nature de près de 60 hectares qui s’étend à 1600 m d’altitude sous le col de la Colombière. C’est là-haut qu’un jour d’août 2017, Neige a pointé le bout de son museau, pile sous les câbles d’un télésiège.

Mais avant de revoir l’alpe, un voyage d’un autre genre attend l’animal: dans une dizaine de jours, elle grimpera dans un camion avec 20 autres représentantes de la race d’Abondance pour rallier la Porte de Versailles. Là, postée à la place d’honneur, elle accueillera le demi-million de visiteurs attendus lors de la 58e édition du SIA. Pour l’éleveur, il y a bien sûr la fierté de voir sa bête sur le tapis rouge. Mais il y a aussi, plus largement, la conscience qu’il s’agit d’une occasion unique de mettre en lumière une race peu connue – ses effectifs ont beau connaître une légère croissance, l’Abondance représente à peine 1% du cheptel bovin national avec 60000 vaches –, une région soucieuse de promouvoir son terroir et une agriculture de montagne sous pression. «Le nombre d’exploitations diminue dans la vallée, constate Philippe Missillier. La main-d’œuvre est toujours plus rare et les jeunes rechignent à embrasser cette profession qui laisse peu de temps pour des loisirs. La solution réside peut-être dans la collaboration entre plusieurs générations, comme on le fait ici.» En parallèle de sa vocation de vitrine des traditions et de l’innovation agricole, le SIA de Paris promet de susciter l’intérêt de la relève, et c’est aussi pour cela que le Haut-
Savoyard tient à y être.

«Doucement, allons!» Rien à faire: Philippe Missillier a beau s’arc-bouter face à Neige, mains crispées sur la corde nouée à son licol, elle a décidé que la séance photo avait assez duré et reprend irrésistiblement le chemin de la ferme. Franchissant la porte en coup de vent, elle retrouve sa place dans l’étable. Avant de briller dans la capitale, la star a bien droit à un peu d’intimité.

Texte(s): Clément Grandjean
Photo(s): Clément Grandjean

La Suisse sera au rendez-vous

Porte d’entrée incontournable pour toucher le marché français, le Salon de l’agriculture de Paris est une événement qui compte pour le terroir suisse. Depuis près de vingt ans, la faîtière Switzerland Cheese Marketing et l’association Terroir Fribourg envoient une délégation promouvoir les saveurs helvétiques dans la Ville Lumière. La nouveauté de 2022? «Bouébot», premier robot capable de préparer la fondue, mis au point par la start-up valaisanne Workshop 4.0, sera du voyage.

+ d’infos www.fromagesuisse.ch

La longue saga des égéries bovines

Elles s’appellent Candy, Valentine, Aronde, Haute, Bella, Cerise ou Filouse; elles sont vosgienne, gasconne, normande, bazadaise, tarentaise, aubrac ou flamande, et elles ont un point en commun: elles ont toutes été les têtes d’affiche du Salon de l’agriculture. Si, depuis l’an 2000, les organisateurs de la manifestation parisienne choisissent chaque année une vache pour égérie, c’est pour attirer la sympathie et promouvoir une race souvent méconnue, mais également parce que les bovins font partie intégrante de l’histoire des expositions paysannes. Les premiers concours d’élevage, qui ont lieu au milieu du XIXe siècle, leurs sont réservés. L’approche a beau avoir un succès certain auprès du grand public, des voix s’élèvent depuis quelques années contre cette stratégie de communication valorisant une agriculture qui tient de l’image d’Épinal: races d’antan, décors pittoresques, modèle agricole extensif, on reproche aux égéries d’être plus proches de la carte postale que de la réalité de l’élevage français.