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«Uniterre se bat pour la souveraineté alimentaire, mais aussi pour exister»

L’année 2018 marque le retour au premier plan d’Uniterre, qui a réussi à amener son initiative pour la souveraineté alimentaire devant le peuple. Malgré ce succès, le syndicat agricole peine à nouer les deux bouts.

«Uniterre se bat pour la souveraineté alimentaire, mais aussi pour exister»

Le peuple suisse votera le 23 septembre prochain sur la souveraineté alimentaire, une initiative que vous portez à bout de bras de longue date. C’est une première pour Uniterre!
➤ Michelle Zufferey Effectivement! La récolte de plus de 100 000 signatures et dés­ormais la présentation de notre projet devant le peuple, c’est en soi déjà une victoire. Mais le plus dur reste à faire! Il va nous falloir convaincre une majorité de citoyens d’ici au 23 septembre. Ces prochaines semaines, nous allons nous atteler à montrer que la souveraineté alimentaire est une réelle chance pour notre agriculture et notre société. De nombreux pays du sud nous regardent avec envie. Montrons l’exemple!

Un an après avoir voté sur la sécurité alimentaire, les Suisses vont devoir se prononcer sur le concept de souveraineté alimentaire. Le risque de confusion est grand! Ne craignez-vous pas que cela joue en votre défaveur?
➤ Michelle Zufferey C’est un risque et c’est bien malheureux! La souveraineté alimentaire est pourtant la bonne et l’unique réponse au constat partagé par tous les milieux aujourd’hui: l’agriculture paysanne se meurt, en Suisse et dans le monde! Avec cette initiative, Uniterre met le doigt là où il faut, et s’attaque à la racine du mal.

Ne considérez-vous pas l’inscription de la sécurité alimentaire dans la Constitution, pari réussi par l’Union suisse des paysans en septembre dernier, comme une première avancée?
➤ Berthe Darras C’est effectivement un pas qui va dans la bonne direction, mais bien insuffisant! Le contre-projet adopté par le peuple était trop flou et laissait trop de place à des interprétations diverses. L’adoption de ce texte n’a pas réussi à freiner les velléités libérales du Conseil fédéral! La preuve avec la «Vue d’ensemble PA22+» et le projet d’accord de libre-échange avec le Mercosur.
➤ Michelle Zufferey C’est la raison pour laquelle il faut aller plus loin et être plus larges dans nos exigences! Avec la souveraineté alimentaire, nous souhaitons ainsi mettre un cadre clair aux importations (voir l’encadré ci-dessous) et sortir du dogme libre-échangiste qui prévaut aujourd’hui. Notre initiative est un choix de société.
➤ Berthe Darras Notre initiative ne se contente pas de regarder sur le pas de notre porte. Nous voulons rendre conscients nos concitoyens de l’impact de nos pratiques sur les pays du sud. En misant par exemple sur l’engraissage intensif de nos bovins avec des aliments importés, on se rend responsables de l’accaparement des terres, de la déforestation et de l’épuisement des sols au Brésil!

D’aucuns reprochent à votre initiative d’être trop complexe et l’assimilent à un retour en arrière en voulant redonner à l’État un rôle de gestionnaire…
➤ Berthe Darras En étant clairs, précis et exigeants, bref, en ne laissant rien au hasard, on empêche les interprétations divergentes et les mauvaises surprises à l’arrivée!
➤ Michelle Zufferey Ce n’est pas un retour en arrière que de demander à l’État de prendre ses responsabilités et d’intervenir dans les relations commerciales. Au contraire, ça nous semble même un progrès. Mettre un cadre, ce n’est pas contingenter! La filière agroalimentaire helvétique est actuellement dans une situation parfaitement rentable, qui ne bénéficie qu’au seul commerce. Il faut pouvoir changer cela et seul l’État est en mesure de le faire.

Si Uniterre possède un réseau efficace en Suisse romande, votre organisation est nettement moins présent outre-Sarine. Est-ce que cela ne risque pas de vous coûter la victoire, sachant que vous ne pourrez guère compter sur le soutien d’autres organisations agricoles nationales?
➤ Michelle Zufferey Le fait que ces organisations laissent la liberté de vote, comme l’ont fait récemment Bio Suisse et l’Union suisse des paysans, est déjà une bonne chose. Et puis la souveraineté alimentaire n’est pas portée que par Uniterre! Au comité de l’initiative, on retrouve des partis politiques, de nombreuses associations et ONG de développement qui vont effectuer un travail de terrain efficace ces prochaines semaines. Et on sait qu’une partie de la population est d’ores et déjà acquise à la cause que nous défendons.

Ces derniers mois, vous avez à plusieurs reprises sollicité le ministre de l’Économie. Tout récemment, vous l’avez à nouveau interpellé sur la question du prix du lait. Quelles ont été ses réactions?
➤ Michelle Zufferey Pour lui, la Suisse est un petit paradis sur terre, dans lequel il ne faut surtout rien changer… Si on suit la réflexion de Johann Schneider-Ammann, le paysan n’a rien à dire. On pourra mettre tous les moyens de technologie modernes à sa disposition, il restera pieds et mains liés au système actuel et ne disposera pas de plus de marge de manœuvre pour négocier les prix de ses produits.
➤ Berthe Darras On a compris que rien malheureusement ne ferait changer de voie le ministre – il est bien décidé à ne pas entendre le message de la paysannerie suisse et à continuer de se servir de l’agriculture comme une monnaie d’échange. C’est pour cette raison que si on veut le changement, il faut passer par les urnes!

Parallèlement à tous vos coups de gueule, opérations et projets, vous venez de lancer un appel au secours pour des raisons financières… Tout n’est donc pas si rose pour l’organisation paysanne Uniterre?
➤ Michelle Zufferey Nous risquons en effet la faillite fin juin, faute de liquidités. Nos uniques sources de revenus, ce sont nos adhérents, soit un millier de personnes, dont 800 familles paysannes. À part cela, nous ne bénéficions d’aucun soutien étatique ni cantonal. Nous ne touchons pas un centime de la branche ou des chambres d’agriculture. Aucune cotisation ne nous revient, malgré le travail de défense professionnelle que l’on effectue et malgré nos combats pour rapprocher le consommateur du producteur. C’est malheureux, mais c’est ainsi! En parallèle de notre appel aux dons, nous venons d’élaborer un dossier de recherche de fonds, et poursuivons la recherche de nouveaux adhérents, pour assurer notre pérennité.

 

Texte(s): Claire Muller
Photo(s): François Wavre

Bio express

Michelle Zufferey est ethnologue de formation, sierroise d’origine. Elle travaille à Uniterre depuis un an. Auparavant, elle a collaboré une quinzaine d’années auprès d’Agridea. Elle a également travaillé comme coordinatrice au sein du label Max Havelaar et de l’organisme SwissAid. Berthe Darras est ingénieure agronome, d’origine française. À côté de son engagement chez Uniterre, elle est employée agricole chez un maraîcher de la région bernoise.

Bon à savoir

Parmi les trois objets soumis à la votation populaire du 23 septembre 2018, deux concernent l’agriculture et l’alimentation. Il s’agit de l’initiative pour des aliments équitables déposée par les Verts et de celle pour la souveraineté alimentaire, soutenue par Uniterre. «Deux ou trois fermes disparaissent chaque jour. Au cours des trente dernières années, le revenu agricole a diminué de 30% et plus de 100 000 emplois ont été perdus. Avec l’initiative pour la souveraineté alimentaire, nous proposons un changement de cap nécessaire dans la politique agricole», résume Michelle Zufferey. Outre la promotion d’une agriculture diversifiée et durable, l’initiative veut développer la production indigène, en prélevant des droits de douane sur les produits agricoles et les denrées alimentaires importés et en régulant leurs volumes. Elle prévoit en outre d’interdire l’importation de produits agricoles non conformes aux normes sociales et environnementales suisses et de ne pas accorder de subvention à l’exportation. «Nous préconisons aussi l’interdiction des manipulations génétiques et promouvons la production et la commercialisation de semences paysannes.» L’initiative met également l’accent sur la protection des terres arables et l’amélioration des conditions de travail dans l’agriculture. Enfin, Uniterre souhaite la création d’organisations paysannes chargées d’assurer l’adéquation entre l’offre des paysans et les besoins de la population et de déterminer des prix équitables dans chaque filière, permettant ainsi une meilleure transparence sur le marché.
+ d’infos www.souverainetealimentaire.ch