Reportage
Une serre futuriste fait pousser les salades de demain

Dans le Nord vaudois, la start-up CleanGreens produit des légumes en aéroponie, une des techniques les plus récentes de culture hors sol. Prometteur, le système a récemment été adopté par un maraîcher genevois.

Une serre futuriste fait pousser les salades de demain
À première vue, c’est une serre ordinaire. Plantée en bordure de champ à Molondin (VD), non loin d’Yvonand, la structure abrite toutefois un univers surprenant: les salades n’y poussent pas dans la terre, mais en suspension, selon la technique de l’aéroponie, l’une des plus récentes dans la culture hors sol. Si cette dernière a déjà fait ses preuves à l’étranger, notamment en Allemagne, aux États-Unis ou au Japon, elle n’en est qu’à ses balbutiements en Suisse.
D’importantes économies en eau
À Molondin, la méthode doit ses avancées à CleanGreens, start-up vaudoise de 14 collaborateurs fondée en 2013. Sur place, nous sommes accueillis par Stéphane Carrichon, responsable agronome du projet. À l’intérieur de la serre, le spectacle tient presque de la science-fiction: sur 250 m2, une multitude de batavias, laitues romaines, blettes, céleris-branches, ciboulette ou encore persil sont alignés sur des plaques fixées à plus de 1m60 du sol. En dessous, un système mobile de buses automatisées diffuse une fine brume sur les racines qui pendent à l’air libre. Le liquide non absorbé par les plantes ruisselle sur un sol étanche, puis rejoint une cuve, avant d’être filtré, désinfecté et rechargé en nutriments pour réintégrer le système d’arrosage.«Nous fonctionnons en circuit fermé avec 250 litres de solution inspirée des nutriments naturellement présents dans la terre», poursuit Stéphane Carrichon. Une méthode qui permet d’économiser 90% d’eau par rapport à une culture de salades en plein champ. Et c’est bien là l’atout majeur de ce système novateur. «À l’heure où la population mondiale ne cesse de croître tandis que les surfaces et les ressources en eau diminuent, c’est une solution pour l’avenir de l’agriculture», s’enthousiasme l’agronome.
Semis sans terre
La technique ne nécessite en effet pas le moindre centimètre carré de terre, pas même pour la germination des plantes. Celle-ci s’effectue juste à côté, dans la nursery. Les semis se font sur de petits cubes de substrat neutre, qui serviront de supports aux plantes. Trois semaines plus tard, ceux-ci sont fixés sur les plaques de culture pour permettre aux légumes de terminer leur croissance grâce aux buses. «À la belle saison, notre vitesse de production est exactement la même que dans une serre traditionnelle, soit entre 30 et 35 jours pour une salade. Mais l’avantage de l’aéroponie est qu’elle permet de produire à ce rythme toute l’année, alors qu’en champ, cela demande près de 90 jours en hiver. Autre atout non négligeable, la technique n’exige aucune rotation des cultures, puisqu’elle s’affranchit complètement du sol», poursuit Stéphane Carrichon. La serre est également peu gourmande en énergie, éclairée essentiellement par la lumière naturelle et légèrement chauffée à la saison froide.Chez CleanGreens, les plantes cultivées sont pour l’heure exclusivement des légumes-feuilles. «Au lancement de la société, le fondateur s’est penché sur les salades du fait que ces dernières sont particulièrement vulnérables lors des transports et sujettes au gaspillage.» La mission de CleanGreens vise à proposer une technique capable de cultiver des salades locales, en quantités importantes et produites sans pesticides, sans herbicides et sans insecticides. L’entreprise ne peut toutefois prétendre au label bio, car en Suisse celui-ci ne s’applique pas encore aux cultures hors sol.Investissement important
«Lorsque nos premières productions sont sorties de notre serre, nous les avons fait goûter à plusieurs chefs cuisiniers. Le résultat fut un succès, tant en termes de texture que de saveur», explique Stéphane Carrichon. Le site de Molondin n’a cependant pas de vocation de production. «Il s’agit avant tout d’une serre expérimentale. Le but de notre société est de commercialiser le système auprès de maraîchers.» En France, il a déjà séduit l’un des leaders de la salade en sachets. Côté suisse, un premier producteur s’est lancé récemment à Genève (voir encadré), et la start-up vaudoise dit avoir d’autres demandes en cours. Reste que le pas à franchir entre la culture traditionnelle et le hors-sol n’est pas anodin. «Ce changement peut faire peur, car il implique de nouvelles technicités et d’importants investissements», reconnaît Stéphane Carrichon. Soit plusieurs centaines de milliers de francs, en fonction de la taille et l’infrastructure choisies.

Fort de son succès, CleanGreens souhaite étendre son système à d’autres plantes. Car l’entreprise l’assure: tout ou presque peut être produit en aéroponie. Avec un bémol toutefois en ce qui concerne les légumes-racines, puisque ces derniers poussent par définition sous terre, et que l’essentiel de leur saveur en dépend. Actuellement, nous sommes donc surtout sollicités pour des fruits et légumes à fleurs. Une démarche qui implique l’intervention de pollinisateurs, ce qui représente un paramètre supplémentaire à gérer. Mais nous étudions notamment la possibilité de mettre en place des lâchers de bourdons», conclut Stéphane Carrichon. Bientôt, qui sait, tomates, aubergines et courgettes pousseront à leur tour dans les airs à Molondin.

Texte(s): Aurélie Jaquet
Photo(s): Guy Perrenoud/DR

Questions à...

Jeremy Blondin, du Domaine des Mattines, à Perly-Certoux (GE)
Qu’est-ce qui vous a décidé à opter pour la culture en aéroponie?
Il y a quatre ans, nous nous sommes lancés dans l’hydroponie, mais n’étions pas convaincus par la qualité de nos salades. L’aéroponie permet de produire des plantes plus grosses, avec des feuilles épaisses et surtout sans pesticides de synthèse. Nous sommes passés à ce système le 1er octobre dernier avec une première serre de 300 m2 seulement, car l’investissement est important. Le but est de produire 50 000 salades par an. Nous venons de récolter les premières et sommes très satisfaits de leur qualité.Ce nouveau mode de culture a-t-il modifié le prix de vos salades?
Très légèrement, du fait que l’investissement a majoré nos coûts de production. Mais le but est que ceux-ci diminuent à terme grâce à l’augmentation de notre productivité. Nos prix se situent pour l’heure à mi-chemin entre ceux d’une salade traditionnelle et bio.

Système novateur

L’aéroponie consiste en une version améliorée de l’hydroponie, technique déjà bien connue dans la culture hors-sol. À la différence de celle-ci, qui fait pousser les plantes dans des bassins, la production en aéroponie laisse les racines à l’air libre et les brumise d’une solution nutritive imitant celle présente naturellement dans la terre. L’avantage réside principalement dans le fait que les racines des légumes ne sont pas en contact entre elles et ne subissent pas de pression bactériologique ni de manque d’oxygène, principaux problèmes de l’hydroponie.