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Une patrouille sillonne le canton de Genève au trot

Depuis début mai, des policiers parcourent à cheval la campagne genevoise. Une première en Suisse romande! Nous avons suivi deux agentes lors d’une journée d’intervention.

Une patrouille sillonne le canton de Genève au trot

Un martèlement sourd et régulier attire l’attention. Deux chevaux débouchent d’un chemin vicinal. Si voir des cavalières dans ce coin de campagne genevoise n’a rien d’inhabituel, leur tenue, bleu et noir, a cependant de quoi surprendre. Les automobilistes ralentissent d’ailleurs prudemment à leur passage. Les deux femmes arborent en effet l’uniforme de la police cantonale genevoise. Appartenant à la brigade équestre, elles patrouillent ce jour-là dans la commune de Satigny d’un pas tranquille. Mais ne vous fiez pas aux apparences, il ne s’agit pas d’une simple balade. Toutes deux ne sont pas là pour parader: elles effectuent un vrai travail de police de proximité. «Vol à la tire, infraction aux règles de la circulation, cambriolages ou violences domestiques: nous pouvons intervenir dans toutes les situations, nous confie la sergente Karin Girard. Seul notre mode déplacement change.» Pistolet, menottes, spray au poivre et radio font d’ailleurs partie de leur équipement de base.

Un contact plus spontané

Les deux agents peuvent compter sur la collaboration de Kenzo et Satinka. Ces deux solides franches-montagnes ont été formés pour répondre aux besoins de la police. Leur caractère posé leur permet de faire face sans peur aux situations les plus inhabituelles. Après avoir arpenté le vignoble de la plus vaste commune viticole suisse, les deux policières se rendent en début d’après-midi aux Jardins familiaux de la Petite Garenne. «L’engagement, à raison d’une fois par semaine, est planifié en fonction des demandes des communes, ainsi que des renseignements récoltés par la police de proximité, relève la sergente. Notre objectif premier est la prévention de la criminalité. Les cabanons ont été récemment victimes d’une vague de cambriolages. Notre patrouille se veut dissuasive vis-à-vis d’éventuels malfrats et permet également de rassurer la population.» Juchées sur leur monture, les deux policières effectuent une ronde dans les chemins qui quadrillent les jardins, observant ici et là toute présence suspecte. Grâce à la hauteur de leurs chevaux, elles ont une vision périphérique beaucoup plus étendue qu’à pied. Haies de thuyas, clôtures en bois ou champs de colza ne masquent pas leur horizon. «Si un cambrioleur est annoncé dans le secteur, on a de meilleures chances de l’apercevoir», souligne l’appointée Audrey Renaud.

La réaction des locataires de ces jardins est pour le moins positive. «On a besoin de vous ici, il faudra repasser.» La présence des chevaux fait même le bonheur d’un jardinier, tout content de récupérer le crottin pour ses plantations. «Le cheval permet d’engager plus facilement le dialogue avec la population», estime la sergente Karin Girard. Cet animal bénéficie en effet d’un fort capital de sympathie. Mais il impressionne également par sa taille et sa prestance. Certains passants changent d’ailleurs de trottoir. Dominé par les deux policières juchées en hauteur, on ne fait guère le malin… La brigade poursuit sa ronde. Que cela soit à pied ou en voiture, il est difficile de la suivre. Les chevaux sont en effet un bon moyen d’accéder à des lieux non carrossables. De plus, ils avancent beaucoup plus vite qu’à pied, permettant de parcourir ainsi des distances importantes.

Vos papiers, s’il vous plaît!

Sur un chemin menant à Satigny, la patrouille installe un contrôle de circulation. Arrêter des voitures roulant à vive allure, sans prendre de risques pour les cavalières et leurs montures, nécessite une certaine technique. Une policière se place à la hauteur du véhicule, alors que la deuxième y fait face, pour éviter un démarrage intempestif. «Madame, veuillez éteindre le moteur. Les papiers du véhicule, s’il vous plaît!»

Le contrôle, standard, ne diffère pas de ceux pratiqués de façon plus classique. Seule la conductrice est plutôt surprise de devoir tendre son permis de conduire à une cavalière. Tout étant en règle, les deux policières laissent repartir le véhicule, en enjoignant à la conductrice de ne pas oublier sa ceinture. L’orage commence à gronder au loin. Les deux agentes mettent leurs chevaux au petit trot, afin de rejoindre la gare de Satigny. Voilà près de six heures qu’elles patrouillent. Mais la journée n’est pas terminée pour autant. Il va encore falloir ramener Satinka et Kenzo au Refuge de Darwin, avant d’effectuer un dernier pansage.

Texte(s): Véronique Curchod
Photo(s): Guillaume Mégevand

Questions à Karin Ducommun, capitaine et responsable de la brigade équestre

Comment est né ce projet?

Le chef de la police de proximité, le major Broch, cherchait un moyen pour que celle-ci soit plus visible dans les régions excentrées. Les zones suburbaines bénéficiaient en effet jusqu’alors d’une présence proactive réduite de la police. Plusieurs moyens ont été étudiés, comme le VTT, mais le cheval a retenu toute notre attention. Les expériences à l’étranger ont démontré que la présence de patrouilles équestres contribue à améliorer le sentiment de sécurité de la population. Si l’effet positif de celles-ci n’est pas directement mesurable, on constate a contrario souvent une recrudescence de la petite criminalité en cas d’absence.

Qu’est-ce que le cheval apporte de différent?

Il facilite l’accès à des zones difficilement atteignables en véhicule de police. Ce moyen de transport rapide nous permet ainsi d’intervenir dans de nouveaux domaines, comme l’occupation illicite de la forêt, les décharges interdites en pleine nature ou le camping sauvage. Grâce à la position élevée du cavalier, le cheval permet une meilleure observation de l’environnement. De plus, la conversation est bien plus facilement engagée lorsque le policier se trouve à cheval que lorsqu’il patrouille en véhicule. On peut donc parler de réelle police de proximité. Notre objectif est d’améliorer la sécurité de l’espace public, de lutter contre le trafic des stupéfiants et d’être actifs dans la prévention des cambriolages, tout en aidant à la recherche de personnes.

Le coût n’est-il pas un frein à la pérennisation d’un tel projet?

En aucun cas, car il est plus que raisonnable. La première année, le budget est plus important, en raison de l’achat de l’équipement nécessaire, mais il est ensuite inférieur à 5000 francs par an. Je tiens à souligner que ce projet est complètement différent de celui mis en place dans les années 2000, où des policiers à cheval patrouillaient dans les parcs au centre-ville de Genève. Le but visé était alors très différent, car ceux-ci ne s’occupaient pas de répression, mais uniquement de prévention, contrairement à la brigade d’aujourd’hui.

Un sauvetage réussi

Le Refuge de Darwin est chargé de fournir les montures à la brigade équestre. Ce centre, situé à Sézenove (GE), recueille les chevaux maltraités, destinés à l’abattoir ou dont les propriétaires ne peuvent plus s’occuper. Véritable rescapé, Kenzo est l’un des quatre franches-montagnes à patrouiller. Faisant partie d’un troupeau d’une vingtaine de chevaux, il avait été recueilli pour maltraitance par le Refuge de Darwin en 2006. Le poulain était alors âgé d’à peine 1 an. «Lorsque nous l’avons découvert, il vivait dans des conditions inadmissibles, témoigne Anouk Thibaud, présidente du refuge. Son garrot touchait le plafond de l’écurie, tant le sol était recouvert de fumier. Il était sous-alimenté et dans un état sanitaire indescriptible.» Malgré ses débuts de vie difficile, Kenzo a toujours été confiant en l’être humain. Sa gentillesse lui a valu sa sélection comme monture pour la police.

D'autres tentatives en Suisse romande

Au cours des quinze dernières années, plusieurs villes romandes ont déjà tenté d’intégrer une section montée à leurs polices municipales ou cantonales. Les pavés de Martigny, Yverdon et Monthey ont ainsi résonné au son des sabots de leur brigade équestre. Contrairement à Genève, les policiers y utilisaient leurs propres montures. Cependant, à ce jour, aucune d’entre elles n’est encore active, selon nos renseignements. La raison le plus souvent évoquée pour expliquer la difficulté de pérenniser de tels projets est le manque d’effectifs. En Suisse allemande, la police cantonale bernoise est l’unique corps de police de Suisse à avoir une section montée ininterrompue depuis plus de cent ans. Pour les engagements, les chevaux sont loués au Centre équestre national. Cette unité patrouille deux ou trois fois par semaine dans les zones ouvertes du zoo de Berne, le long de l’Aar, ainsi qu’au centre-ville. Elle est également présente sur les parkings lors de grands rendez-vous sportifs ou à la BEA.