Energie
Une cathédrale hydroélectrique profondément enfouie sous la roche

À l’heure où les barrages suisses peinent à rivaliser avec les fournisseurs étrangers, les Forces motrices Hongrin-Léman ont foi en l’avenir. La société inaugure aujourd’hui sa nouvelle centrale de pompage-turbinage de Veytaux (VD).

Une cathédrale hydroélectrique profondément enfouie sous la roche

De l’extérieur, on ne voit qu’une grande porte carrée plaquée contre la roche, à quelques mètres du château de Chillon. Mais les apparences sont trompeuses: cette discrète ouverture donne accès à une véritable cité souterraine. Le tunnel qui s’enfonce dans le flanc de la montagne bruisse d’activité. Sous la lumière des néons, des ouvriers vissent, soudent et peignent. Ils peaufinent les derniers détails de la centrale Veytaux 2.
Une centrale hydroélectrique existait déjà dans le rocher, Veytaux 1, construite en 1971. «C’était l’une des premières centrales de pompage-turbinage de Suisse, explique Gaël Micoulet, ingénieur civil et chef du projet FMHL+. Ses quatre turbines offraient déjà une puissance de 240 mégawatts (MW). Les deux groupes de la nouvelle centrale doublent ce potentiel et font passer la puissance totale à 480 MW.» Avec un milliard de kilowattheures par année, les turbines des Forces motrices Hongrin-Léman (FMHL) permettront de couvrir les besoins de 300’000 ménages.

Un puits blindé
Il faut marcher pendant quelques minutes dans le tunnel pour parvenir au cœur de la nouvelle centrale de pompage-turbinage, la «caverne». Une immense cathédrale souterraine de 100 mètres de long et de 57 mètres de hauteur qui abrite les deux groupes de production dernier cri, fabriqués sur mesure. «Chaque centrale hydroélectrique est différente, explique Gaël Micoulet. La particularité de celle-ci est que les deux installations, l’ancienne et la nouvelle, fonctionnent avec le même circuit d’eau. Nous n’avons pas eu à reconstruire de conduites.» L’eau qui fait tourner les turbines de la centrale FMHL+ vient du lac de retenue de l’Hongrin, une réserve de 52 millions de m3 d’eau située à 1255 mètres d’altitude dans laquelle on puise lorsque le besoin s’en fait sentir. L’eau emplit alors les conduites forcées et part vers la plaine, prenant une vitesse faramineuse en chutant dans le puits blindé en pente raide qui l’amène 880 mètres plus bas.
Au détour d’une galerie, nous découvrons un immense tube horizontal peint dans un turquoise éclatant. Nous sommes dans la chambre des vannes, où arrive l’eau qui descend de l’Hongrin. Les milliers de litres de liquide lancés à pleine vitesse sont ensuite dirigés vers l’une des deux turbines Pelton situées à l’étage inférieur. «Vous n’avez pas le vertige?» La question posée par le chef de projet nous fait baisser les yeux dans la cage d’escalier. Sous nos pieds, les marches en treillis métallique laissent deviner la profondeur de l’édifice souterrain. Un grondement sourd indique que l’une des turbines est en fonction, ce que confirme l’écran lumineux d’un panneau de contrôle. Derrière une épaisse couche de métal, la roue tourbillonne au rythme infernal de 500 tours par minute. Un axe entraîné par sa course transmet la puissance de l’eau à un alternateur qui la change en courant électrique.

Électricité à la demande
Plus bas encore, les deux pompes constituent l’extrémité inférieure des groupes de production. Placés en dessous du niveau du lac Léman, ces monstres d’acier laqué pèsent chacun plus de 500 tonnes. Lorsque la demande en énergie est faible, elles repoussent l’eau en sens inverse dans les conduites et la renvoient vers le réservoir du barrage de l’Hongrin. «On passe du pompage au turbinage en environ 6 minutes et du turbinage au pompage en environ 20 minutes, note Gaël Micoulet. Tout est dirigé par ordinateur. Cela permet d’adapter la production à la demande en temps réel. Si l’on annonce des nuages sur l’Allemagne, on sait que leur production photovoltaïque va baisser et l’on peut donc se préparer à turbiner. Le pompage-turbinage est la seule technique qui permet de produire de l’électricité propre à la demande.» On ne parle certes pas de mouvement perpétuel: l’énergie nécessaire à ramener l’eau vers le haut est supérieure à celle qui est produite par turbinage. La perte moyenne est évaluée à environ 20%.
Si la centrale Veytaux 2 n’est officiellement inaugurée qu’aujourd’hui, elle fonctionne à plein régime depuis plusieurs mois déjà. «Les derniers ajustements ne peuvent être faits que lorsque les turbines tournent, explique Gaël Micoulet. Comme la plupart des installations sont des pièces uniques, nous sommes en contact permanent avec les fabricants pour régler de petits détails.» Des réglages qui marquent la fin d’un chantier titanesque sous la montagne. Le chef de projet nous raccompagne dans une succession de tunnels. Le bruit des turbines et du chantier s’atténue dans notre dos. Nous revoilà bientôt à l’air libre. Difficile d’imaginer que derrière nous, dans le secret de la roche, une centrale produit de quoi alimenter l’équivalent du canton de Vaud en électricité.

+ D’infos Journée portes ouvertes à la centrale FMHL+ ce samedi 13 mai. www.fmhl.ch

Texte(s): Clément Grandjean
Photo(s): Clément Grandjean

En chiffres

1971, l’année de mise en service de la centrale Veytaux 1.
10 ans ont été nécessaires à la construction de Veytaux 2.
480 mégawatts, la puissance cumulée des 6 turbines des deux centrales.
1 milliard de kilowattheures seront produits chaque année, soit de quoi alimenter 300’000 ménages.
331 millions de francs investis.
450’000 tonnes de rochers excavées.

Questions à Pierre-Alain Urech

Pierre-Alain Urech, président des Forces motrices Hongrin-Léman (FMHL)

Le contexte est difficile pour les fournisseurs d’électricité. Ce projet est-il un pari risqué?
Le projet FMHL+ est né il y a dix ans. Même si la conjoncture était alors très différente, notre objectif était de répondre aux défis de l’approvisionnement électrique futur de notre pays. Avec le développement des énergies éolienne et photovoltaïque, l’énergie de réglage fournie par les centrales de pompage-turbinage est indispensable pour garantir la sécurité d’approvisionnement.

FMHL+ permettra-t-il d’atteindre la rentabilité qui fait défaut aux barrages suisses?
Avec les prix actuels, les premières années d’exploitation de la nouvelle centrale vont probablement être difficiles. Mais un tel investissement doit être considéré sur le long terme. Le rôle clé des centrales de pompage-turbinage devra être rémunéré à sa juste valeur.

Swisselectric propose de subventionner l’hydroélectricité. Est-ce une solution?
L’énergie hydraulique représente 60% de l’électricité produite en Suisse et elle est un pilier de la Stratégie énergétique 2050. Il faut donc introduire rapidement des mesures transitoires permettant de sauvegarder cette production indigène et de lui rendre sa rentabilité.