Reportage
Un refuge au-dessus des nuages de l’existence

Du côté alémanique Le couple de paysans zougois Viola Schmid et Marco Kunz accueille et accompagne des personnes ayant besoin de soutien. Et s’engage pour que soit davantage reconnu le rôle social de l’agriculture.

Un refuge au-dessus des nuages de l’existence

Ils s’appellent Aschi, Mostafa et Isabelle. Le premier a 53 ans et peine à reprendre pied dans la société après un épuisement professionnel de plusieurs années. Né en Afghanistan il y a dix-sept ans, le deuxième est arrivé en Suisse par les chemins de la migration en 2016. Quant à Isabelle, 69ans, ancienne directrice de Swissrecycling, elle souhaite profiter de sa retraite pour vivre une expérience de vie en communauté.

Si leurs trajectoires de vie sont sensiblement différentes, Aschi, Mostafa et Isabelle vivent aujourd’hui un nouveau chapitre de leur existence en commun. Là, sur les hauts du lac de Zoug, à 927 mètres d’altitude, entre un troupeau de daims, un immense jardin, quelques poules et cochons, ils ont trouvé refuge. Dans leur ferme située sur les hauts de Walchwil (ZG), Viola Schmid et Marco Kunz aident en effet depuis vingt ans des personnes à reprendre pied dans leur quotidien. «Cette ferme a toujours été un lieu d’accueil. Dans les années huitante, mon père travaillait déjà avec des personnes en rupture sociale, ou qui souffraient de dépendances», raconte Viola Schmid. Cette infirmière de formation s’est d’abord engagée comme famille d’accueil avant de reprendre le domaine familial et d’en faire un lieu dévolu à la réinsertion sociale, aujourd’hui reconnu.

Un havre de paix
À Hirschenhof, les journées commencent toujours par un moment d’échange: «Le briefing du matin permet à chacun d’exprimer ses souhaits, selon son état de forme, explique Marco Kunz. Les tâches sont ensuite distribuées de façon que chacun puisse travailler à son rythme.» Cet après-midi-là, Aschi, perché sur une échelle, fignole ainsi l’isolation d’une véranda jouxtant l’appartement qu’il occupe sur la ferme. «C’est un havre de paix, ici, commente-t-il, en observant le tapis de nuages qui s’est formé au-dessus du lac. La proximité avec la nature et le fait de pouvoir travailler de mes mains m’apportent beaucoup de sérénité.» Pendant ce temps-là, Mostafa enchaîne les allers-retours entre le

compost et le verger, transportant des feuilles mortes dans une brouette. Il évoque son périple à travers l’Iran, la Turquie et l’Italie, le parcours du combattant pour obtenir le statut de réfugié, ses difficultés pour s’insérer socialement. «Après ces épreuves psychologiquement éprouvantes, j’ai trouvé ici du calme. Je me sens rassuré», raconte le jeune homme, qui rêve de devenir contrôleur CFF. Comme d’autres avant lui, Mostafa est arrivé chez Marco et Viola via les organismes de placement et les services sociaux cantonaux. «Notre objectif, c’est qu’ils retrouvent confiance en eux, glisse Marco Kunz. Ça passe par la réalisation de tâches toujours plus importantes et la prise de responsabilité, avec les animaux par exemple.»

La mixité sociale, une richesse
En 2014, le Zougois et d’autres agriculteurs actifs dans le domaine agrisocial décident de fonder une association rassemblant les exploitations fournissant ce type de prestation. «On manquait cruellement de reconnaissance de la part des pouvoirs publics. Alors que l’accueil social sur une ferme, dans un cadre familial et par des paysans formés, constitue une réelle plus-value.» La plateforme «CareFarming», qui regroupe aujourd’hui une vingtaine de membres, offre davantage de visibilité à ces offres encore méconnues et permet aux paysans d’être eux aussi accompagnés dans leur mission. «Ce n’est pas un secret, le travail de la terre permet de se reconnecter à soi-même, et la nature aide l’homme en détresse psychique à recouvrer la santé plus rapidement, poursuit Viola Schmid. À l’issue d’un séjour chez nous, les personnes ont gagné en confiance et en autonomie.» L’aspect communautaire participe également à la reconstruction de leurs protégés. «Intégrés à la vie de la ferme, ils partagent les repas et les tâches, trouvent en l’autre des ressources pour avancer.» Ce n’est pas Isabelle qui dira le contraire. La dynamique septuagénaire est l’une des premières habitantes du logement communautaire pour seniors créé à Hirschenhof. «Ici, je peux m’investir autant que je le souhaite dans l’organisation de mon lieu de vie et je bénéficie des contacts avec les autres. C’est une richesse évidente.» En attendant que le restaurant réservé aux touristes rouvre, la Zurichoise s’active au potager, récoltant les dernières tomates dans la lumière déclinante, pendant qu’Aschi range ses outils et que Mostafa referme précautionneusement l’enclos des daims. «Nos trois destins sont reliés par la terre», sourit Isabelle.

+ D’info www.carefarming.ch

Texte(s): Claire Muller
Photo(s): Claire Muller

En chiffres

Hirschenhof, c’est…

  • 13 hectares de surface agricole utile en zone montagne II, entièrement dédiés à la production herbagère.
  • Une huitantaine de daims.
  • Une activité agritouristique – yourtes, places de caravaning et restaurant à la ferme.
  • Une structure d’accueil social et de réinsertion via le travail sur l’exploitation.
  • Une colocation pour seniors.

+ D’infos www.sueren.ch

Bientôt une plateforme romande

Alors que l’association Carefarming regroupant toutes les exploitations agricoles alémaniques pratiquant une activité sociale d’accueil existe depuis cinq ans, une poignée d’agriculteurs vaudois sont sur le point de créer un organisme similaire en Suisse romande. «Aujourd’hui, environ 200 exploitations pratiquent l’accompagnement de personnes sur les fermes romandes, explique François Devenoge, un des fers de lance de cette initiative. Créer une plateforme vise à fédérer ces acteurs «agrisociaux», qui travaillent tous en lien avec des institutions différentes.» Le jeune agriculteur de Dizy (VD) a pour objectifs de développer la prestation sociale que peuvent fournir les exploitations agricoles, de professionnaliser encore davantage la démarche et de la faire reconnaître par les pouvoirs publics.

+ D’infos www.carefarming.ch – En début d’année prochaine, une première rencontre sera organisée pour jeter les bases de cette plateforme romande. Tout agriculteur intéressé par ce projet peut d’ores et déjà prendre contact avec François Devenoge, francoisdizy@hotmail.com