Reportage
Et si on arrivait à faire pousser des légumes sur la Lune?

À l’occasion des 50 ans du premier pas de l’homme sur la Lune, nous consacrons une série d’articles à cet astre si familier et pourtant encore si mystérieux. En exclusivité, visite d’un laboratoire pas comme les autres.

Et si on arrivait à faire pousser des légumes sur la Lune?

Un plant de basilic, des pousses de tomates et de cresson grimpent derrière une vitre vers la lumière artificielle qui fait luire leurs feuilles d’une teinte bleutée. Rien de spectaculaire, du moins jusqu’à ce que le regard se pose sur le substrat, un sable couleur rouille, dans lequel les plantes plongent leurs racines: c’est le sol de la planète Mars. Nous sommes à l’Institut de recherche environnementale de Wageningen, au centre des Pays-Bas. C’est dans ce haut lieu de la recherche agronomique que Wieger Wamelink est parvenu à faire pousser des légumes dans des échantillons de sol martien et lunaire. Ou plutôt dans des reproductions de ces sols, créées à partir des données collectées lors des dernières missions spatiales. Cela n’enlève rien à la prouesse du chercheur hollandais, le premier à prouver la possibilité d’une production alimentaire de grande ampleur dans des sols extraterrestres considérés jusqu’ici comme incultivables: hydrofuges car extrêmement denses, formés de cristaux abrasifs et chargés en métaux lourds, ils constituent en effet un véritable défi agricole. Mais Wieger Wamelink est parvenu à ses fins: «Les résultats ont dépassé nos attentes.» Trèfle, lupin, cresson, blé, seigle, tomates, radis, pois, roquette, poireaux, pommes de terre ou cacahuètes, des dizaines de variétés ont germé puis poussé dans les terres spatiales avec pour seul fertilisant quelques déchets végétaux, donnant des récoltes abondantes à l’équipe du laboratoire.

Bientôt des colonies spatiales? 
Repoussant sa chaise, Wieger Wamelink quitte son bureau et se dirige vers l’ascenseur. Quelques minutes plus tard, nous pénétrons dans l’une des immenses serres du campus. Carte magnétique, sas, portique de désinfection des mains et des chaussures, l’entrée est intimidante. C’est ici que le chercheur a lancé sa première expérience culturale, en 2013. Presque exclusivement financé par des donateurs privés, le projet a vite pris de l’ampleur, et le scientifique a fait les grands titres de la presse mondiale en 2016, lorsqu’une analyse spectrométrique a prouvé que ses légumes spatiaux étaient consommables sans risque.
L’objectif de Wieger Wamelink est à la fois simple et un peu surréaliste: nourrir les premiers colons qui, d’après lui, ne sauraient tarder à s’installer sur la Lune, puis sur Mars. Il faut dire que les moyens financiers colossaux engagés par diverses puissances mondiales dans leurs projets spatiaux ne sont pas pour le contredire: «La Chine a posé un module sur la face cachée de la Lune en début d’année, les États-Unis y enverront un équipage l’an prochain, et l’Inde, le Pakistan ou Israël nourrissent également de grandes ambitions, note le chercheur, qui échange régulièrement avec la Nasa et son équivalent européen, l’Agence spatiale européenne. À ces démarches étatiques s’ajoutent celles de compagnies privées, qui voient dans l’espace un business lucratif.»
Envoyer des humains sur la Lune ou sur Mars, c’est une chose. Leur assurer un moyen de subsistance sur le long terme en est une autre. Alors, comment celui qui est à la fois un spécialiste de botanique et un fan de science-fiction voit-il les champs martiens de demain? «Oubliez l’idée, véhiculée par le cinéma, d’une colonie installée en surface, explique Wieger Wamelink en traversant la serre baignée de soleil. Les radiations cosmiques imposent une implantation souterraine. Imaginez un bunker enterré, avec des cultures éclairées artificiellement et une atmosphère contrôlée.» Tandis que d’autres chercheurs planchent sur des méthodes de culture spatiale en hydroponie – c’est le cas du projet IGLUNA, présidé par le Swiss Space Center et présenté au public début juin –, Wieger Wamelink est convaincu de l’importance du sol: «On ne peut pas tout cultiver en hydroponie. Impossible de produire des pommes de terre, qui présentent un excellent rapport entre propriétés nutritives et surface nécessaire. Par ailleurs, cultiver le sol crée un débouché pour les matières organiques.»

Créer un écosystème
Si ses tests ont prouvé que l’on pouvait faire pousser des légumes sur la Lune et sur Mars, le scientifique planche désormais sur la conception d’un écosystème agricole viable en milieu confiné: «Cela implique de prendre du recul et d’inclure dans l’équation des vers de terre, qui aèrent le sol pour faciliter le développement racinaire tout en mangeant les déchets végétaux, des bactéries qui permettent le recyclage des excréments humains, ou encore des pollinisateurs. Nous allons effectuer des tests avec des bourdons, capables de supporter un voyage de six mois – le temps nécessaire à un trajet Terre-Mars – dans l’espace.» Saisissant un pot contenant un plant séché de cresson, Wieger Wamelink effleure les tiges cassantes pour en recueillir les graines. «C’est aussi un point central: les pionniers de l’espace devront maîtriser la reproduction de leurs plantes pour survivre.»
Autant dire que les projets ne manquent pas pour le chercheur hollandais et son équipe. Invité dans le monde entier pour partager son expérience, courtisé par les acteurs de l’exploration spatiale, il tient cependant à ce que ses recherches ne profitent pas qu’à d’hypothétiques missions extraterrestres: «En fait, je ne fais que chercher à faire pousser des plantes dans un désert, sourit-il. Savoir créer un écosystème sain, c’est indispensable dans l’espace, mais aussi sur Terre.»

Texte(s): Clément Grandjean
Photo(s): Clément Grandjean

A qui appartient le sol lunaire?

Sur le papier, la perspective de produire des aliments sur le sol lunaire ou martien sonne comme un passionnant projet scientifique. Dans les faits, elle soulève des questions éthiques: de quel droit l’humain interviendrait-il, en apportant des semences et des bactéries terriennes sur des planètes dont on ignore encore si elles abritent des formes de vie? On touche là à l’épineuse question de la propriété des corps célestes. Si un traité de 1967 stipule que l’espace ne peut pas faire l’objet d’appropriation, les règles qui régissent son exploitation sont plus floues.
Le regain d’intérêt pour les campagnes spatiales devrait sans doute pousser la communauté internationale à renforcer rapidement la législation.